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“J’aime construire une relation avec les chevaux que je monte”, Daniel Bluman (1/2)

Interviews mardi 12 juillet 2022 Mélina Massias

Tête d’affiche de l’équipe israélienne de saut d’obstacles, Daniel Bluman a remporté pas moins de deux Grands Prix 4* et un 5* la saison passée. Pouvant compter sur quelques excellentes montures, à l’image de Gemma W, Ladriano Z, Ubiluc ou encore Cachemire de Braize, l’ancien Colombien révèle préférer se concentrer sur un groupe de montures restreint, afin de tisser de vraies relations avec chacun de ses complices. Rencontré dans le cadre du mythique CHIO d’Aix-la-Chapelle, où il a obtenu plusieurs classements, le père de famille s’est livré sur ses chevaux actuels et d’avenir, son système de travail, la déception d’avoir manqué ses troisièmes Jeux olympiques pour une question administrative, son équipe nationale ou encore les grands sujets d’actualité. Enclin à partager sa vision des choses sur n’importe quelle thématique, le jeune trentenaire n’a éludé aucune question. Entretien en deux volets. 

Comment vous sentez-vous, ici, à Aix-la-Chapelle ?

Nous nous sentons bien. Mes chevaux ont très bien sauté jusqu’à présent, ce qui nous a permis de nous qualifier pour le Grand Prix de dimanche (entretien réalisé vendredi 1er juillet, ndlr), ce qui est toujours un super sentiment. J’ai été très chanceux de pouvoir me qualifier pour ce temps fort à chacune de mes venues ces cinq dernières années. C’est déjà très bien. Ladriano est en forme, alors j’espère que tout se passera comme on le souhaite dimanche (la paire a finalement abandonné, ndlr).

Pouvez-vous nous parler des trois chevaux qui vous accompagnent cette semaine : Gemma W (KWPN, Luidam x Unaniem) onze ans, Ladriano (Z, Lawito x Baloubet du Rouet) quatorze ans et Cachemire de Braize (SF, Quality Touch x Jaguar Mail) dix ans ? 

Ladriano a sauté aujourd’hui. Il est très important pour moi, depuis déjà plusieurs années. Il gagné de multiples Grands Prix 5* et c’est un cheval qui est normalement très à l’aise sur des parcours difficiles et imposants. Il est respectueux, a tous les moyens pour affronter les obstacles les plus hauts et il est intelligent. Il est vraiment très spécial, un cheval formidable.

Gemma W, qui a sauté l’épreuve majeure de mercredi, où nous avons commis une faute, est un peu plus jeune. Je continue de la former, mais elle a déjà sauté de bonnes épreuves et rencontré du succès. Elle dispute pas mal de Grands Prix 5* chaque année et aide beaucoup Ladriano, qui ne peut plus prendre part à autant d’épreuves majeures. Je le préserve pour les plus importantes. Gemma est rapide, respectueuse et très fiable. Enfin, j’ai amené Cachemire, qui a pris part aux épreuves à 1,50m et avec qui je me suis amusé dans l’épreuve de vitesse un peu plus tôt aujourd’hui. Il a très bien sauté. Il reste jeune, mais est très compétitif. Il est solide et concourt souvent. Il est sur les terrains de compétitions plus de semaines dans l’année que n’importe quelle autre de mes montures. Il est également très polyvalent ; on peut l’engager des épreuves de vitesse, des Grands Prix, à 1,50 ou 1,45m, etc.

Gemma W à Aix-la-Chapelle. © Mélina Massias

Avant de prendre part à l’épreuve de cette après-midi, qui s’apparente, quelque part, à une sorte de derby, vous vous étiez adonné à des entraînements de cross avec Cachemire. Comment êtes vous arrivé là avec ce Selle Français, qui avait été vendu un million de dollars aux enchères à sept ans ?

Lorsque nous avons initié notre partenariat avec Cachemire, lorsqu’il était encore un jeune cheval, il était très sur l'œil. Il avait donc peur des obstacles et de plein d’autres choses. J’ai alors pensé que l'emmener sur un terrain de cross lui donnerait plus de courage, le rendrait plus à l’aise et plus confiant envers moi. Et cela a fonctionné ! Cela a été très bénéfique pour son mental. Je l’ai engagé aujourd’hui dans cette épreuve pour m’amuser plus qu’autre chose. J’avais très envie de traverser le lac, ce que je n’avais pas fait auparavant, excepté lors de notre entraînement de cross. Il y est entré, ce qui est très positif. Maintenant, je sais que si je veux revenir l’année prochaine et être compétitif, je le peux. Je n’étais pas certain de la façon dont il allait réagir aujourd’hui, mais c’est un cheval qui peut faire plein de choses différentes.

Le Selle Français Cachemire de Braize, sur la piste de La Baule. © Sportfot

“Je n’apprécie pas particulièrement de travailler avec trop de chevaux”

Lors de l’étape du Longines Global Champions Tour de Paris, vous avez présenté Ubiluc (Meckl, Ubiko x Lucian), déjà vainqueur d’un Grand Prix 5*, ainsi qu’une nouvelle recrue, Ireland, dont le pedigree n’est pas répertorié en ligne. Qu’attendez-vous de ces deux montures ?

Ubiluc a aussi dix ans et nous continuons de grandir ensemble, d’apprendre à nous connaître. Il a une forte personnalité mais aussi, à n’en pas douter, beaucoup de talent. Mes attentes avec lui sont juste de poursuivre notre chemin dans le sport et l’engager dans les bonnes épreuves, afin de lui permettre de continuer à réaliser de bonnes performances. Ireland est un cheval canadien. Il a été acheté par Camilo Robayo, qui travaille avec moi. Il est comme mon frère et s’occupe des jeunes chevaux cette année en Europe. Il a trouvé Ireland au Canada et l’a formé jusqu’au niveau 2*. Nous avions convenu que je commencerais ensuite à le monter. Je n’ai pas encore participé à beaucoup de concours avec lui. Son père est en fait Zambesi, un fils d’Heartbreaker (KWPN, Nimmerdor x Silvano). Comme il a été élevé au Canada, ses origines n’apparaissent pas sur son passeport. Mais c’est un bon cheval, qui a, je pense, un avenir prometteur devant lui. Nous apprenons juste à nous connaître. À Paris, il s’agissait de l’un de nos premiers concours internationaux ensemble. Il me donne un bon sentiment et nous allons voir comment il progresse.

Ireland, ici à Knokke. © Sportfot

Comptez-vous d’autres chevaux dans votre piquet, qui seraient capables de fouler les pistes des concours 5* ?

Je l’espère. J’ai une jument de huit ans nommée Chabela (Hann, Chacco-Blue x Giovanni) qui semble très prometteuse. Nous avons également quelque sept ans intéressants. Nous devons simplement poursuivre notre travail et espérer qu’ils puissent atteindre ce niveau. C’est un travail à long terme.

“Je trouvais les chevaux très impressionnants, si bien que j’étais presque un peu effrayé”

Selon la base de données de la Fédération équestre internationale (FEI), vous montez chaque année en moyenne entre huit et dix chevaux sur la scène mondiale, soit un peu moins que nombre de vos homologues. Est-ce un choix de votre part ?

C’est une bonne question, qui ne m’avait jamais été posée avant. Oui, je me concentre sur un petit groupe de chevaux. J’aime construire une relation avec les chevaux que je monte, les amener jusqu’au haut niveau. Puis, une fois qu’ils sont au plus haut niveau, essayer de les y maintenir pour plusieurs années. Je n’apprécie pas particulièrement de travailler avec trop de chevaux. Je préfère me concentrer sur quelques uns et toujours essayer de former le prochain cheval qui pourrait prétendre à participer aux plus grandes compétitions du monde, qui aurait une chance de remporter un Grand Prix 5*.

Vous partagez votre temps entre les Etats-Unis et l’Europe. Comment fonctionne votre système et où êtes vous installé ?

Je dirais que notre point de base est New York, mais nous voyageons beaucoup. Nous passons quelques mois en Europe. Peut-être que nous passons la majeure partie de notre temps en Floride, ou à New York, qui sait. Mais nous sommes principalement basés entre ces deux endroits. En général, nous passons l’hiver en Floride, puis quelques mois en Europe. Nous partageons notre temps de cette façon et essayons de participer aux meilleurs concours, les Rolex, qui sont ceux auxquels je préfère prendre part. Le reste du temps que nous passons en Amérique, nous nous attachons à former les jeunes chevaux et à concourir sur d’autres terrains pour rester en forme.

Le charismatique Ubiluc à Paris. © Sportfot

Ce rythme de vie éreintant n’est-il pas parfois difficile à appréhender, qui plus est lorsqu’on est père de famille, comme vous ?

Ça l'est, surtout avec les enfants et tout le reste. Mais cela fait partie de ce que nous faisons et j’aime tous les endroits dans lesquels je vis. Être en mesure de passer du temps dans chacune de ses villes est déjà spécial en soi. Ce n’est pas simple, mais on s’habitue à cela, on apprend à faire avec et à organiser son temps et son planning. Comme je le dis toujours, si on a un cheval, ou un groupe de chevaux capable de sauter au plus haut niveau, il faut faire l’effort de venir en Europe et de concourir lors des événements majeurs. J’espère que nous aurons toujours des montures compétitives à ce niveau, mais il n’y a aucune assurance à ce niveau. Si jamais ce n’était plus le cas, je pense que nous resterions en Amérique, pour nous concentrer sur la formation de nos chevaux. Nous serions ainsi proche de la maison, parce qu’en fin de compte, nous sommes chez nous en Amérique.

“Jusqu’au jour où je mourrai, je serai près des chevaux”

Quel a été votre premier souvenir avec les chevaux ?

En Colombie, les chevaux de loisirs sont assez communs. Les fermes et exploitations agricoles en possèdent souvent. Ce ne sont pas des chevaux de sport, mais des chevaux que les gens gardent pour leurs loisirs. Je me souviens avoir monté et avoir rencontré les chevaux à un jeune âge. J’ai toujours eu beaucoup de respect pour les chevaux. Je les trouvais très impressionnants et puissants, si bien que j’étais presque un peu effrayé au début. J’ai toujours eu une très forte relation avec les animaux, et en particulier avec les chevaux. Ils m’apportent la paix et sont des animaux incroyables. Je ne sais pas ce que je ferais sans eux.

N’avez-vous jamais pensé à embrasser une autre carrière que celle de cavalier professionnel ?

J’ai choisi de devenir cavalier professionnel lorsque j’avais environ quatorze ans. J’ai songé à ne pas être cavalier, dans le sens où cela n’aurait pas été mon métier principal, mais je n’ai jamais envisagé le fait de ne pas monter, avoir ou travailler autour des chevaux. C’est quelque chose auquel je n’ai jamais, et ne penserai jamais. Jusqu’au jour où je mourrai, je serai près des chevaux, parce que c’est ce qui me procure le bonheur et la tranquillité. Si je continuerais à être un cavalier professionnel, ou à monter à haut niveau pour toujours, est une autre histoire. Cela dépend de nombreux facteurs, mais je resterais toujours près des chevaux, je vivrais toujours avec eux et continuerais à en élever quelques eux ; c’est certain.

La géniale Sancha LS dans ses oeuvres. © Sportfot

Bénéficiez-vous des conseils d’un entraîneur ?

Je n’ai pas vraiment d’entraîneur à proprement parler, mais j’ai un mentor, avec qui je travaille beaucoup : Hans Horn. Nous collaborons depuis quelques années, depuis qu’il est devenu le chef d’équipe d’Israël (en mai 2019, ndlr). Il est phénoménal. J’ai appris, et je continue d’apprendre énormément. Il est un véritable homme de cheval, une vraie légende et une super personne.

“Sancha LS me manque”

Comment se porte votre chère Sancha (LS, Chin Chin x Polydor), retraitée depuis fin 2019 ?

Sancha est en pleine forme. Elle vit en Italie en ce moment. Elle est chez Mares of Macha, où elle produit des embryons. J’en ai déjà quelques-uns moi-même. C’est une vraie reine. Elle restera là-bas tant qu’elle sera occupée avec sa carrière à l’élevage. Elle est hébergée dans de super installations. Je crois que je n’aurais pas pu lui offrir un meilleur endroit. Elle est très heureuse et profite à fond de sa retraite. Elle me manque et j’aimerais la voir tous les jours, mais je sais qu’elle est dans une bonne maison. Lorsqu’elle en aura terminé avec sa carrière de reproductrice, il est probable que je la récupère et la mette à la retraite en Amérique, où je pourrais la voir davantage.

Vous vous intéressez donc à l’élevage. Dans quelle mesure ?

Ce n’est pas un business pour moi, mais je fais un peu d’élevage avec mes bonnes juments. Nous avons des poulains de Sancha, Gemma, Believe (née Bukkato, KWPN, Ukato x Burgraaf), qui avait gagné le Grand Prix Rolex 3* de Central Park il y a quelques années (en 2015, ndlr). Nous essayons de choisir les meilleurs étalons pour elles. J’ai d’ailleurs un jeune étalon très, très intéressant et prometteur, fils d’Apardi (KWPN, Corland x Kannan, le propre frère du phénomène Bacardi VDL, ndlr) et Gemma, donc deux chevaux que j’ai montés. Cela me plait. Je le fais pour le plaisir, et ce n’est pas du tout dans un but lucratif, mais j’apprécie le processus.

Le tout bon Apardi, ici aux Jeux olympiques de Rio, en 2016, alors que Daniel Bluman évoluait toujours sous couleurs colombiennes. © Scoopdyga

La suite de cet entretien est disponible ici. 

Photo à la Une : Daniel Bluman et son fidèle Ladriano Z. © Mélina Massias