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“Avec Martin Fuchs et Steve Guerdat, le travail d’entraîneur est facile”, Thomas Fuchs

Interviews mardi 26 juillet 2022 Mélina Massias

Cavalier à succès, comptant notamment deux participations aux Jeux olympiques, à Séoul en 1988 et Barcelone en 1992, marchand de renom et entraîneur de luxe, Thomas Fuchs n’est plus à présenter. Désormais dans l’ombre de ses cavaliers, parmi lesquels figurent son fils, Martin, le champion olympique Steve Guerdat, ou encore la jeune star montante de l’escouade helvète Edouard Schmitz, tous trois sélectionnés pour représenter leur pays aux championnats du monde de Herning, le Suisse n’en reste pas moins un maillon important de la réussite de sa nation. Rencontré au cœur du mythique CHIO d’Aix-la-Chapelle, qui avait couronné son frère, Markus, en 2004 avec le minuscule Tinka’s Boy, l’heureux grand-père s’est prêté avec sympathie au jeu des questions-réponses. Au menu : la réussite de son cadet, bien sûr, son rôle d’entraîneur, mais aussi son point de vue sur les questions de bien-être animal, l’élevage de chevaux de sport actuel ou encore le commerce. 

Vous êtes souvent décrit comme l’un des, sinon le meilleur entraîneur du monde, notamment en raison du succès des cavaliers que vous encadrez. Après avoir été vous-même cavalier à haut niveau, comment en êtes-vous venu au coaching ?

J’ai toujours entraîné quelques cavaliers, même lorsque je montais. Ma femme (Renata, ndlr), montait elle aussi à cheval. Je dois dire que j’ai arrêté de concourir assez tôt, même si je continue de monter à cheval. Je ne suis certainement pas le meilleur entraîneur du monde, mais j’ai deux des meilleurs cavaliers du monde. Alors, cela rend ma tâche beaucoup plus facile (rires).

Le fait d’avoir pratiqué la compétition par le passé vous aide-t-il dans votre rôle d’entraîneur ?

Je crois surtout que le fait d’entraîner de très bons cavaliers, qui ont du talent, est plus facile que de s’occuper de pilotes en formation. Il y a beaucoup de meilleurs entraîneurs qui encadrent des cavaliers encore un peu verts, jusqu’à ce qu’ils atteignent un certain niveau et engrangent de l’expérience. Ensuite, les parcours deviennent plus imposants et plus techniques. De toute façon, aujourd’hui, les cavaliers doivent avoir de très bonnes bases. On peut alors travailler à partir de là. Mais je ne crois pas qu’entraîner des débutants serait une bonne idée dans mon cas !

Thomas Fuchs, ici sur Conner Jei, la monture de son fils, à Aix-la-Chapelle. 

Comment décririez-vous votre philosophie, votre méthode de travail ?

Je dirais que nous essayons de garder les choses aussi simples et naturelles que possible. Nous n’avons peut-être pas les chevaux les mieux dressés du monde. Après avoir beaucoup évolué en compétition, je me suis investi dans le monde du trot. Là, j’ai eu le sentiment que, peut-être, les chevaux n’étaient pas forcément les plus forts, mais qu’ils étaient toujours mentalement à 100%. Nos chevaux de sport sont toujours dehors, au paddock ou au pré. Ils ont une vie heureuse. Ainsi, en piste ils sont plus enclins à aider leur cavalier à se sortir de situations difficiles. Ils aiment leur vie.

“Lors de ses trois dernières années de compétition, Clooney n’a pas sauté plus de trente obstacles à 1,40m à la maison”

Pour vous, qu’est-ce qui est le plus important lors d’une séance de travail avec l’un de vos cavaliers ?

Maintenant, avec Steve et Martin, je dirais qu’il s’agit souvent de les garder calmes, et peut-être faire quelques sauts en moins lorsque je suis là. Nous ne sommes pas des gens qui faisons sauter énormément nos chevaux. Nous les faisons bouger beaucoup, dans le sens où ils sont très souvent hors de leurs boxes, mais ils ne travaillent jamais trois heures par jour. Ils partent en balade, évoluent en terrain varié dans les collines, etc. Par exemple, lors de ses trois dernières années de compétition, Clooney 51 (le crack de Martin Fuchs, sacré champion d’Europe en 2019 et désormais à la retraite, ndlr) n’a pas sauté plus de trente obstacles à 1,40m à la maison. Il n’en avait pas besoin. Il faisait un peu de gymnastique et nous le gardions en forme, surtout mentalement.

Quels cavaliers encadrez-vous de façon régulière ?

Martin, Steve un peu également. Martin fait beaucoup de choses seul. La semaine dernière (entretien réalisé le 1er juillet, ndlr), je n’étais pas à la maison. Martin est allé s’entraîner avec Steve. Ils s’aident tous les deux. En bref, je n’ai pas besoin de m’inquiéter lorsque je suis absent ! Ils savent quoi faire et comment garder leurs chevaux en bonne forme. Ensuite, j’ai également quelques Juniors et Jeunes Cavaliers. En fait, je suis le coach de l’équipe Suisse. Je suis présent sur chaque CSIO. Cette semaine, comme il y a Aix-la-Chapelle, je ne suis pas à Budapest, mais j’ai entraîné la plupart de nos cavaliers cet hiver (le Zurichois encadre également le jeune Edouard Schmitz, tout juste sélectionné pour son premier grand championnat en Séniors, ndlr).

Edouard Schmitz honorera sa première grande sélection dès le mois prochain, à Herning, au Danemark. 

Avant un événement comme celui d’Aix-la-Chapelle, à quoi peut ressembler une semaine type de préparation ?

Cela varie. Certains chevaux peuvent avoir participé à une compétition la semaine précédant leur venue à Aix-la-Chapelle. D’autres ont peut-être eu une pause de deux semaines. Cela dépend du programme établi, mais nous en discutons toujours avec le cavalier. Nous savons si tel ou tel cheval a besoin de plus ou moins de compétition. Désormais, il y a tellement de concours importants qu’il faut avoir un plan et espérer ne pas le changer à tout bout de champ. Lorsqu’un cheval se blesse ou qu’il a besoin de repos, il faut parfois passer à côté d’un ou deux concours. On ne peut pas continuer avec le même cheval tous les week-ends. Ils doivent bénéficier de périodes de récupération.

“Martin rencontre beaucoup de succès, mais il n’est pas devenu arrogant pour autant”

Que vous inspire la réussite de votre fils, Martin, de retour au sommet de la hiérarchie mondiale depuis début juin ?

Bien sûr, nous sommes très fiers. Notre famille est ravie pour lui. Mais nous sommes aussi très heureux pour mon autre fils, Adrian, qui a deux enfants. Je suis désormais grand-père et j’ai de nouvelles choses à découvrir. Cela me plait beaucoup. En fin de compte, on doit aussi se réjouir lorsqu’on n’a pas la place de numéro un mondial, mais que nos enfants sont de bonnes personnes et restent normaux. Martin rencontre beaucoup de succès, mais il n’est pas devenu arrogant pour autant. De ce que j’entends de la plupart des gens, il reste naturel et lui-même.

Martin Fuchs et Leone Jei.

N’est-ce pas parfois difficile d’être l’entraîneur de son fils et de distinguer cela de son rôle de père ?

Martin a aussi ses propres idées. Maintenant, j’ai moins besoin de lui dire ci ou ça. Cet hiver, nous avons organisé des leçons avec un très bon entraîneur de dressage, qui est venu à la maison. Cela a été très bénéfique. Nous réitérerons l’expérience l’hiver prochain, avec quelqu’un qui vient et apporte de nouvelles idées dans notre système. Il y a un point où, parfois, le fils ne croit plus tout ce que le père raconte, surtout lorsqu’il a déjà gagné dix fois plus que ce dernier (rires). Mais ce n’est pas le cas entre nous. Nous sommes davantage dans la discussion. Il m'arrive de lui dit : "peut-être que c’est mieux si tu fais une foulée de plus”, ou alors de regarder le début du barrage avec son entrée en piste. Avant je peux lui dire : “ok, je crois que tu peux faire huit foulées là-bas”. Ainsi, il sait ce qu’il est en mesure de faire.

J’avais un professeur, lorsque j’étais petit et que j’allais encore à l’école, qui disait toujours “plus on en apprend, plus on réalise qu’on ne sait rien”. Et c’est exactement la même chose avec l’équitation. On peut toujours s’améliorer, apprendre davantage et élargir ses connaissances sur les chevaux. Chaque jour est un défi pour garder un cheval heureux et en forme. Parfois, aller un peu plus lentement au début fait gagner du temps pour la suite. Cela demande beaucoup de choses, mais je crois que le plus important est d’avoir du feeling avec les chevaux. Avec Martin et Steve, je n’ai plus besoin d’être strict. Il m’arrive de crier à quelques très, très rares occasions, mais c’est tout. Les gens qui nous regardent travailler lors d’un entraînement doivent se dire “il ne dit rien”. Mais mes cavaliers savent ; lorsque je leur demande de revenir sauter un obstacle une fois de plus, ils savent ce qui n’allait pas. Je n’ai pas besoin de leur dire qu’ils étaient trop près, ou qu’ils ont fait une foulée de trop. Alors, avec eux, le travail d'entraîneur est vraiment facile (rires).

Quel regard portez-vous sur l’effectif du clan helvète, qui semble ne pas manquer de profondeur ?

Nous essayons de constituer des équipes avec quelques cavaliers plus jeunes. Parfois, nous en testons un pour voir s’il a les moyens d’atteindre le très haut niveau, ou s’il est limité et a besoin de chevaux d’un autre calibre. Désormais, il est extrêmement difficile d’acheter de bons chevaux. Soit il faut débourser des sommes folles, soit il faut les acheter très jeunes. Il faut pouvoir compter sur un grand nombre de montures pour que quelques-unes d’entre elles soient finalement spéciales. C’est un travail constant et de longue haleine pour tout le monde de trouver des propriétaires, sponsors et chevaux.

De gauche à droite : Martin Fuchs, Pius Schwizer et Thomas Fuchs, ici à la reconnaissance du Grand Prix d'Aix-la-Chapelle.

“Je ne sais plus comment trouver des chevaux à l’heure actuelle”

Ces dernières années, le sport a énormément évolué, impliquant de plus en plus d’argent, d’événements, etc. Comment appréhendez-vous cela ?

Oui, c’est certain. Les chevaux ne vont pas se vendre moins cher à l’avenir. Il y a tellement de personnes aisées qui en achètent. J’ai l’impression que les choses peuvent être un peu difficiles pour les bons cavaliers qui ne sont pas forcément très sociables. Parce qu’ils sont discrets, ne parlent pas beaucoup ou seulement en suisse allemand, il peut être plus compliqué pour eux de trouver des propriétaires, par exemple. Cela devient de moins en moins facile d’atteindre le haut niveau. D’autres ne sont peut-être pas assez solides pour y parvenir, ou ne veulent pas forcément travailler pour une récompense financière quasi inexistante. Progresser devient alors plus difficile à son tour lorsqu’ils sont esseulés. Martin n’est jamais parti dans d’autres écuries et n’a jamais monté pour quelqu’un d’autre, mais nous avons toujours fait venir des instructeurs chez nous. Pendant des années, nous avons fait intervenir un entraîneur de dressage pratiquement chaque semaine pour lui donner des leçons sur le plat.

Le bien-être animal occupe de plus en plus les débats dans le monde équestre. Que pensez-vous de cela et par quels moyens serait-il possible de prouver aux personnes les plus réticentes que tout n’est pas noir dans le saut d’obstacles de haut niveau ?

Comment peut-on y parvenir ? Markus, mon frère, a dit un jour que ceux qui se plaignent le plus au sujet de notre sport sont sûrement ceux qui ont un gros chien Saint-Bernard enfermé au cinquième étage d’un immeuble, dans un tout petit appartement. Aujourd’hui, les gens ont tellement de temps pour se soucier de tout... En Formule 1, il y a quinze, voire trente mécaniciens autour de chaque voiture. De notre côté, nous avons en général deux grooms qui prennent grand soin des chevaux. Nous essayons toujours de faire de notre mieux pour nos chevaux. On ne peut pas abuser d’eux. Avec la guerre en ce moment, nous ne savons pas quelle tournure vont prendre les choses. Mais, peut-être que les gens devraient davantage prendre soin d’eux et s’assurer d’avoir de quoi manger l’hiver plutôt que de regarder ce que les cavaliers font avec leurs chevaux.

Steve Guerdat congratulé par le clan suisse à l'issue de son double sans-faute dans la Coupe des nations d'Aix-la-Chapelle.

Vous êtes également reconnu comme marchand de chevaux. Quelle est la clef pour trouver de bonnes montures pour le haut niveau ?

Je vais vous dire la vérité : je ne sais plus comment trouver des chevaux à l’heure actuelle. Lorsqu’un me plaît et que je me renseigne à son sujet, on me répond continuellement qu’il n’est pas à vendre ou alors à un prix indécent. Il faudrait acheter des jeunes de deux ou trois ans, mais nous n’avons pas la place nécessaire en Suisse. C’est aussi onéreux d’en avoir autant. Je pense qu’il faut surtout garder l'œil ouvert et avoir de bons propriétaires derrière soi, qui sont prêts à faire l’acquisition de nouveaux chevaux lorsque l’occasion se présente. Avoir un bon contact avec les gens, qui savent que l’on est prêt à acheter lorsqu’un cheval nous plaît, est aussi important. Malgré tout, cela reste difficile.

“Je suis complètement contre le recours aux embryons”

Que recherchez-vous chez un cheval, dont vous faites l’acquisition avec l’ambition de le voir évoluer en 5* ?

Je dois avant tout avoir un bon feeling. La couleur m’importe peu. Pour Martin, nous devons faire un peu attention à la taille, même si nous n’achetons pas des chevaux seulement pour lui. Nous essayons toujours d’acquérir de très bons chevaux, car ce sont ceux qui peuvent toujours être vendus. Nous aimons qu’ils soient assez faciles, ce qui les rend plus faciles à former. Sinon, s’ils ne sont pas les plus simples à monter, ils doivent avoir de très bonnes qualités. Surtout, ils doivent être en bonne santé et sains. Pour ce point, je m’attache davantage à mon ressenti qu’à des clichés radios. On peut faire des radios pendant deux heures, prendre cent images du dos, de la nuque, etc… Mon père a acheté plus de mille chevaux en Irlande et aucun n’est passé par la case visite vétérinaire. J’en parlais récemment avec François Mathy : nous n’avons jamais repris un cheval que nous avions vendu parce qu’il n’était pas sain. Il peut arriver que l’on reprenne un cheval parce qu’il s’arrête, se cabre, ou ne s’entend pas avec le cavalier. Avec les progrès de l’élevage, les chevaux sont moins souvent fragiles. Les conditions de vie des chevaux ont également progressé ; ils passent beaucoup plus de temps hors de leur box. En somme, je dois vraiment avoir le sentiment qu’ils sont en bonne santé, solides et sains, sans qu’ils aient forcément de super radios.

Thomas Fuchs et Conner Jei.

Vous intéressez-vous à l’élevage ? Que pensez-vous de la tournure que prennent les choses depuis quelques années, avec une démocratisation du transfert d’embryons, voire de l’ICSI, et donc une exploitation plus importante de certaines souches ?

Je me suis essayé un peu à l’élevage, mais je n’ai pas connu un grand succès (rires). Beaucoup d’éleveurs et d’étalonniers ne seront sans doute pas d’accord avec moi, mais je suis complètement contre le recours aux embryons. Pour moi, la mère biologique doit porter le poulain. À l’époque, lorsque j’achetais un cheval de sept ans dont la mère avait produit cinq vrais chevaux de Grand Prix, je savais que l’un avait été champion olympique, que l’autre avait gagné à Aix-la-Chapelle, le tout avec des pères différents. C’est donc la mère qui a la plus grande influence ; pas l’étalon. Mais, forcément, les étalonniers veulent vendre cinq-cents doses de semence de leurs mâles. Avec le transfert d’embryon, les juments peuvent avoir jusqu’à trois ou quatre poulains par an. Malgré tout, cela n’est pas pareil lorsque les poulains ne sont pas élevés par la même mère. Peut-être qu’ils se comporteront totalement différemment les uns des autres. Mais je ne suis pas un expert en la matière. C’est simplement ce en quoi je crois. Je ne suis pas un éleveur et je ne veux offenser personne. Je préfère ne pas acheter des chevaux issus de transferts d’embryons. En définitive, c’est la mère qui compte. Dans le monde des courses, les embryons sont complètement interdits. La jument doit aller jusqu’à l’étalon, ou inversement, et c’est tout. Dans le trot, il est possible d’avoir recours à l’insémination artificielle, ce qui est déjà complètement proscrit dans le galop. Il faut avoir l’étalon, un point c’est tout.

Crédit photo : © Mélina Massias. Photo à la Une : Thomas Fuchs à Aix-la-Chapelle.