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Vitiki, à cœur vaillant, rien d’impossible (1/3)

Reportages mardi 24 mai 2022 Mélina Massias

L’histoire qui lie Vitiki à son cavalier, Yuri Mansur, aurait pu se limiter à une simple rencontre, fruit des aléas de la vie, puis à une ascension fulgurante vers le très haut niveau. Mais l’existence de l’attachant alezan a pris une tout autre tournure lorsqu’il a foulé la piste d’Aix-la-Chapelle, La Mecque des sports équestres, pour la première fois de sa vie, en juillet 2018. À la réception d’un obstacle, le fils de Valentino s’est fracturé le paturon, laissant craindre pour sa vie. Grâce à une immense dose de courage de sa part, et la positivité sans limite, presque utopiste, de son cavalier et de son entourage, l'Hanovrien de quatorze ans a remonté progressivement la pente, après une longue convalescence faite de hauts et de bas, jusqu’à retrouver les sommets. Fin 2021, une nouvelle opération a éloigné ce crack des terrains de compétition. Mais, tel un phœnix, l’alezan a de nouveau déjoué tous les pronostics, terminant deuxième du Grand Prix de La Baule, début mai. Ses proches, cavaliers, soigneurs et autres vétérinaires retracent l’itinéraire d’un cheval pas comme les autres. Car avec Vitiki, rien n’est impossible.

“Ce que Vitiki est devenu est pour moi un miracle, quelque chose qui arrive une fois sur un million. Il a peut-être eu une part de chance avec le Covid et l’arrêt des compétitions, mais son histoire tient de l’invraisemblable. Il n’y a pas vraiment d’explication rationnelle. Et, surtout, plus il saute, plus il est bien. Il ne se dégrade pas, bien au contraire”, s’étonne encore Philippe Guerdat, sélectionneur de l’équipe brésilienne de saut d’obstacles. L’ancien chef de file des Bleus a suivi le retour sur le devant de la scène de Vitiki, complice adoré de Yuri Mansur et protégé de toute son équipe. À quatorze ans, l’alezan a emporté avec lui le cœur de milliers d’aficionados de sport, tant son histoire est touchante et unique. Entre patience, espoir et optimisme démesuré, tous les ingrédients ont été réunis pour sauver le soldat Vitiki, grièvement blessé à un antérieur en juillet 2018. Alors qu’il n’aurait plus jamais dû sauter de sa vie, l'Hanovrien s’est battu pour retrouver les sommets de son sport, frôlant la victoire dans le Grand Prix 5* de La Baule, le dimanche 8 mai 2022.

À la simple évocation du nom de Vitiki, le visage de Yuri Mansur s'illumine de mille feux. Le cavalier et sa monture sont liés l’un à l’autre d’une façon tout à fait singulière. L’histoire entre ces deux-là débute dans la deuxième moitié de l’année 2017. “J’étais dans une super période de ma carrière où je pouvais compter sur Babylotte et Unita. Un ami Brésilien (José Cristiano Pereira Wilken Bicudo, ndlr) qui a vécu de nombreuses années en Europe a eu un cancer et est retourné au Brésil. Il m’a alors parlé d’un cheval en lequel il croyait beaucoup. Il était très chaud et n’avait pas beaucoup d’expérience, puisqu’il n’avait jamais sauté plus d’1,30m. Luciana Diniz et Cassio Rivetti avaient eu la possibilité de l’essayer, mais cela ne s’était finalement pas concrétisé. J’étais un peu hésitant, mais j’ai dit à mon ami d’amener le cheval chez moi pour voir ce que cela pouvait donner. Dès le quatrième saut, j’ai dit ‘mais quel cheval, je l’achète tout de suite’ ! J’ai vraiment été étonné, je suis descendu et je l’ai acheté. Deux ou trois jours après, Rodrigo (Pessoa, ndlr) était à la maison. Je lui ai dit : ‘je pense que c’est le meilleur cheval que j’ai monté dans ma vie, essaye le pour me donner ton avis’. Il a fait quelques petits sauts et a été tout aussi étonné. C’était en septembre 2017”, se souvient Yuri, qui vient de rencontrer Vitiki, un fils du KWPN Valentino et de Finja, elle-même descendante de For Expo. Sorti de nulle part - ou presque, avec une souche assez peu étoffée -, l’alezan n’était sans doute pas destiné à une telle épopée. 

Yuri Mansur et Vitiki, lors de l'une de leurs premières épreuves en CSI 5*. © Sportfot

Des débuts remplis d’espoirs

Nouvellement formé, le couple Vitiki-Yuri prend ses marques, participant à quelques épreuves intermédiaires entre 1,30 et 1,45m, d’abord sur des CSI 2 et 3*, puis aux CSI 5* de Stuttgart et Bâle. L’hiver 2018 se poursuit sous le soleil de la Floride pour les deux complices. Engagé dans son premier Grand Prix 4* à Wellington, l’alezan sort de piste avec une faute, ce qui laisse son cavalier entrevoir un avenir prometteur. Un mois après son premier Grand Prix 4*, l’Hanovrien s’illustre en remportant une bonne épreuve à 1,50m à Ocala et en se classant troisième de la suivante. De retour en Europe, le couple concède une faute dans les temps forts du CSIO 5* de Samorin et du CSI 5* de Windsor. En Slovaquie, Vitiki dispute également sa première Coupe des nations (4+8). Le potentiel du fils de Valentino ne fait désormais plus de doute. “À partir de là, nous étions sûrs que Vitiki était une vraie machine, un super cheval”, confie Yuri, qui se retrouve propulsé à La Baule, pour disputer la Coupe des nations du CSIO 5* avec l’équipe brésilienne. Le clan auriverde triomphe en Loire-Atlantique, où l’inexpérimenté Vitiki effectue un premier tour parfait.

Échéance majeure de l’année, les Jeux équestres mondiaux 2018, organisés à Tryon, aux États-Unis, occupent les esprits de nombreux cavaliers. “Je n’étais pas sûr d’emmener Vitiki aux Jeux mondiaux. Il sautait extrêmement bien, mais je trouvais que cela était un peu tôt pour lui”, justifie le pilote. “Malheureusement, Babylotte s’est blessée et il était impossible qu’elle puisse prendre part à ce championnat. Alors, je me suis dit que j’allais continuer à préparer Vitiki, au moins jusqu’à Aix-la-Chapelle et que je prendrais ma décision ensuite.” Après plusieurs bonnes performances, notamment à Knokke et Chantilly, où le duo participe à la victoire de son équipe sur la Global Champions League (GCL), le grand jour se profile.

Vitiki devant le superbe château de Chantilly. © Sportfot

Mercredi 18 juillet 2018

“À Aix-la-Chapelle, j’ai engagé Vitiki dans l’épreuve majeure du mercredi, qui est le deuxième Grand Prix le plus important de la semaine”, débute Yuri. “Il a fait un premier parcours magnifique, sans-faute. Au barrage, j’ai pris des risques sur un oxer et la distance n’était pas bonne. Il a sauté l’obstacle comme il a pu et a fait une forte touchette des postérieurs sur le deuxième plan. Je suis tombé, mais pas Vitiki. En revanche, à la réception, il s’est mis à galoper sur trois pattes devant le public…” Dans le stade de la Soers, le temps s’arrête. Choqué, Vitiki est pris en charge par son entourage et les équipes vétérinaires. Une ambulance est dépêchée à l’entrée de piste et des draps sont érigés autour du cheval afin de procéder à de premiers examens.

En une fraction de seconde, le rêve de Yuri s’est transformé en cauchemar. Alors qu’il évoluait pour la première fois au sein du mythique complexe d’Aix-la-Chapelle, entouré par ses amis venus le soutenir, le sympathique brésilien a vu le destin de son adorable Vitiki basculer. “Tout le monde avait fait le déplacement à Aix-la-Chapelle ; il s’agissait d’un rêve d’avoir un cheval sur ce concours. Toute l’équipe était donc sur place, mais nous ne pensions pas qu’un tel événement se produirait. Nous voyons régulièrement des accidents sans conséquences majeures. Lorsque Vitiki s’est réceptionné, nous ne nous attendions pas à une fracture. Il a galopé vers la sortie, dans ma direction, et lorsque j’ai retiré la guêtre pour faire un premier examen, il était clair que sa jambe était fracturée et qu’il allait être très, très difficile de gérer cela”, révèle Marcello Servos, ami de Yuri et vétérinaire ayant participé à la chirurgie aux côtés de Jack Snyder.

Vitiki pris en charge à Aix-la-Chapelle juste après son accident. © Mélina Massias

“Nous l’avons emmené jusqu’à la clinique d’Aix-la-Chapelle, à pied. Il a marché jusqu’aux écuries parce qu’il refusait de monter dans l’ambulance tant il avait mal. Le chemin était long et tout le monde était mort d’inquiétude car Vitiki tremblait de douleur. C’était un désastre”, poursuit Louisie Weber, épouse de Yuri et immense artisane de la renaissance de Vitiki. “Lorsque nous sommes arrivés et que nous avons découvert qu’il avait une fracture, j’ai commencé à pleurer parce que, pour moi, c’était la dernière fois que je le voyais. La seule solution qui m’apparaissait alors était l’euthanasie. Je n’avais jamais entendu parler d’opérations pour de telles fractures, surtout situées aussi bas sur le membre. Yuri pleurait aussi, il était complètement sous le choc, et nos enfants étaient désespérés. Et puis, je me suis dit qu’il fallait que quelqu’un prenne les choses en main. J’ai alors dit : ‘sauvons-le’.”

La décision est prise : Vitiki sera opéré. Pour procéder à la chirurgie, les proches de l’alezan réclame un certain Jack Snyder, vétérinaire réputé. Par chance, l’Américain est sur place. Alors qu’il comptait profiter de l’événement pour regarder sa jument, Babalou 41, ancienne complice de l’Irlandais Darragh Kenny, sauter la Coupe des nations et le Grand Prix comme un propriétaire lambda, Jack est appelé à la rescousse et doit enfiler sa casquette de docteur.

La chirurgie de la dernière chance

“Je regardais l’épreuve et j’ai vu l’accident de Yuri. Vu la façon dont cheval s’était réceptionné, j’ai tout de suite pensé en moi-même qu’il avait une fracture. Après l’épreuve, je ne pensais pas que je serais impliqué sur son cas, mais, alors que je parlais avec d’autres personnes, mon téléphone s’est mis à sonner. On m’a demandé de venir à la clinique pour jeter un œil à Vitiki. Cela ne sentait pas bon dès le départ et j’étais quasiment sûr que j’allais devoir regarder une fracture. Une fois sur place, mes doutes se sont confirmés avec les radios et j’ai dit qu’il avait besoin d’une opération. J’ai laissé le temps de la réflexion aux proches du cheval et je suis retourné aux écuries. Le pronostic n’était pas bon, mais, une heure plus tard, j’ai reçu un appel me demandant de pratiquer l’intervention”, résume Jack Snyder. Le vétérinaire ne pose qu’une condition : pouvoir voir Babalou sauter la Coupe des nations le jeudi soir. La chirurgie est donc programmée le matin du 9 juillet, à sept heures tapantes, dans les infrastructures d’Equitom, en Belgique, à un peu plus d’une heure du site du concours. Après deux heures de procédure et une poignée de vis insérées dans son paturon fracturé, Vitiki est de retour dans son box… et Jack Snyder à l’heure pour voir sa jument en action !

Vitiki et Yuri à La Baule, lors de la Coupe des nations, quelques semaines avant l'accident d'Aix-la-Chapelle. © Scoopdyga

Comme rien n’est conventionnel dans l’histoire de ce cheval au grand cœur, son opération ne l’a pas été non plus. Après avoir étudié les radios une bonne partie de la soirée et échangé avec des confrères radiologistes, Jack Snyder a décidé de placer certaines vis à l’inverse du sens habituel, offrant, selon lui, de meilleures chances de guérison pour Vitiki. Après son opération, que l’équipe jugeait plutôt réussie, l’alezan a reçu la visite de toute la famille. “Il avait déjà son plâtre et c’était extrêmement étrange car il marchait dans son box comme si de rien n’était. En moins de vingt-quatre heures, tout avait changé. Alors, je me suis dit qu’un avenir était peut-être possible pour lui, qu’il pourrait peut-être être heureux au pré et s’adapter à sa nouvelle jambe”, se souvient Louisie. Et Marcello de reprendre : “L’opération était un vrai marathon. Il faisait très chaud ce jour-là et la climatisation était tombée en panne. Lorsque nous avons emmené Vitiki à la clinique, j’ai fait une petite vidéo où je disais que nous allions faire du bon travail et que nous allions prouver qu’il pouvait s’en sortir. En définitive, je crois que ce qu’il s’est passé ensuite était encore mieux que ce que j’espérais.” 

Patience et courage

Une fois la chirurgie effectuée avec succès, un long chemin fait de patience, de courage et de soins attendait Vitiki. Quelques jours après son opération, l’alezan a pu regagner ses écuries, aux Pays-Bas. Avec grande prudence, toute l’équipe l’a rapatrié sain et sauf chez lui, roulant à vingt kilomètres heure sur l’autoroute et Louisie veillant au plus près de son protégé, directement dans le van. Une fois installé dans son box, l’attachant hanovrien a passé de longs mois a laissé le temps faire son œuvre pour espérer pouvoir, un jour, profiter d’une retraite bien méritée. Pourtant, Yuri a toujours cru que le futur réservait de grandes choses à son ami. “Il a toujours été hors de question de laisser Vitiki. Jack Snyder a effectué un travail incroyable, mais, même lui me disait que Vitiki pourrait peut-être marcher et bouger normalement, voire sauter quelques petits obstacles, mais qu’il y avait peu de chances qu’il retrouve le haut niveau. Pourtant, dès le jour de l’opération, je lui ai dit que nous mangerions des sushis ensemble à Tokyo !”, sourit le Brésilien à la veste couleur soleil. “J’exerce depuis trente-deux ans et j’ai pratiqué de nombreuses opérations de fractures, peut-être une dizaine à cet endroit précis. Celle de Vitiki était conséquente. Dans son cas, le pronostic de retour à la performance de haut niveau était vraiment réservé”, complète Jack Snyder.

Vitiki à Wellington, en début d'année 2018. © Sportfot

Photo à la Une : Vitiki et Yuri Mansur à Wellington. © Sportfot

La deuxième partie de cet article est disponible ici.