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Valmy de la Lande, un concentré d’énergie et d’agilité sublimé par Jack Whitaker (1/2)

Sport samedi 30 avril 2022 Mélina Massias

Lors de la finale de la Coupe du monde Longines de Leipzig, Jack Whitaker a fait sensation avec un certain Equine America Valmy de la Lande. Ce Selle Français de treize ans, très remarqué lors de sa formation, en France, puis repéré et acquis dans la foulée par Michael Whitaker, tombé sous son charme, arrive à pleine maturité. Talentueux, sensible et diablement intelligent, le gris fait le bonheur de son cavalier, qui ose rêver des Jeux olympiques, mais aussi celui de son éleveur, Jérôme Leconte, qui voit ses longues heures de travail récompensées par les accomplissements de son protégé. Terre à terre, ce dernier s’évertue à perpétuer l’histoire de l’élevage de la Lande, riche de nombreux succès. S’il ne sera pas le dernier à briller sous cet affixe normand bien connu, Valmy reste bel et bien la star du moment. Portrait.

“Rien ne pourra m’enlever la réussite de Valmy et les émotions que cela me procure. Le rêve de tout éleveur est de voir, un jour, l’un de ses produits arriver à ce niveau et d’obtenir une vraie reconnaissance. Sa performance à Leipzig a fait remonter en moi tout l’historique de l’élevage de la Lande. J’étais vraiment très ému. En tant qu’éleveur, on mesure pleinement la valeur d’une telle réussite. Le but d’une vie est de vivre de sa passion. Lorsque cela se concrétise, que le rêve devient réalité, c’est un peu le summum.” Jérôme Leconte, fils du regretté Pierre, qui avait initié l’élevage de la Lande il y a plus d’un demi-siècle, ne peut que savourer la performance majuscule signée par son ancien protégé, Equine America Valmy de la Lande. Comme dans toute grande aventure, les anecdotes et multiples embûches ne manquent pas pour dresser le tableau complet ayant mené à la consécration, lorsque le fils de Mylord Carthago et Athéna de la Lande a achevé son premier championnat, à l’occasion de la finale de la Coupe du monde Longines de Leipzig, sans toucher la moindre barre en trois journées de compétition, aux rênes du talentueux Jack Whitaker.

Valmy de la Lande et Jack Whitaker à Leizpig. © Sportfot

Avant de conter l’histoire cachée derrière l’affixe de la Lande, Jérôme Leconte tient à souligner l’importance des éleveurs, travailleurs de l’ombre des sports équestres, trop souvent oubliés. “À travers la réussite de Valmy, j’aimerais faire passer un message, afin qu’il y ait plus d’osmose entre le monde de l’élevage et celui du sport, que tout le monde s’intéresse davantage aux poulains et à notre travail. Je crois qu’il serait intéressant pour les cavaliers de nouer de vrais partenariats avec les éleveurs. J’ai toujours nourri une certaine frustration, face au constat que les éleveurs prennent souvent tous les risques, sans avoir qui que ce soit pour les épauler. Dans le monde du trot, les choses sont différentes. Les naisseurs et propriétaires ont un retour sur investissement et les entraîneurs jouent le jeu, en donnant leur chance à de petits éleveurs, par exemple, et en tissant des relations sur le long terme. Ils ne négligent personne. J’espère que nous pourrons trouver des solutions positives pour avancer. Derrière notre travail d’éleveur, il y a de la passion, du temps, beaucoup de galères et d’incertitudes. Il faut rester les pieds sur terre, mais aussi avoir le courage de ses opinions pour évoluer”, note-t-il. “J’aimerais en profiter également pour remercier les Hommes de chevaux, notamment les Docteurs vétérinaires Alexia Colin, Hubert Avenel, Delarue et Boris Poutas, ainsi que toutes les personnes que j’ai pu côtoyer durant ces nombreuses années, à l’image de Monsieur Lepage et l’équipe d’Eurogen, Jacky Gerboin ou Nicolas Lebourgeois, sans oublier Michael Jack et toute son équipe, pour leur aide et leur bienveillance. Quelque part, la réussite de Valmy est aussi collective. Désormais, mon objectif, pour l’élevage de la Lande, serait de fidéliser des personnes en qui j’ai confiance, de leur confier des chevaux et de pouvoir continuer à développer mon travail, à travers la jeune génétique.”

La Lande, des décennies d’histoire

Baigné dans l’élevage d’équidés depuis son plus jeune âge, Jérôme Leconte a repris le flambeau, succédant à son père, Pierre. Fin connaisseur, le sympathique normand, installé à Périers, à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Saint-Lô, dans la Manche, est incollable et intarissable sur les souches développées sous l’affixe de la Lande. “Valmy n’est pas issue d’une génération spontanée. Il y a plus de cinquante ans de travail derrière”, souligne-t-il d’emblée. L’histoire du talentueux gris débute avec Vanille, une jument Selle Français née en 1965, issue du croisement entre les Demi-Sang Mikado et Fantasia, elle-même descendante de Nicanor. “J’ai connu Vanille alors que j’étais encore tout gamin. Elle appartenait à un voisin, dans les années 68. Il ne souhaitait pas la garder, car elle était seule et avait un peu de tempérament. Mon père a donc récupéré cette belle jument, au fort caractère. Elle ne faisait confiance qu’aux enfants et aux femmes. Nous l’avons mise à la reproduction au début des années 70. À deux kilomètres, nous avions une station des haras nationaux, où était hébergé le Pur-Sang Un Prince (El Relicario x Prince Bio), père, entre autres, de Flambeau C et Galant de la Cour (excellents performers en saut d’obstacles, crédités respectivement d’un ISO de 187 et 169). Je me souviens du regard de ce cheval, qui était hyper sensible : il avait vraiment quelque chose en plus”, narre l’éleveur. En 1972, Vanille donne naissance à son second produit, une pouliche baptisée Grive de la Lande. Malheureusement, la poulinière décède trois semaines plus tard, des suites de coliques. Évitant une “deuxième catastrophe”, Pierre Leconte élève sa pouliche au biberon, avant de la réintégrer à un troupeau. “Nous avons eu la chance que Grive ne soit pas trop amoureuse de l’Homme”, précise Jérôme. La belle grandit dans les pâturages normands, puis se consacre à la reproduction, la compétition n’étant pas franchement d’actualité à l’époque. Parmi ses descendants, Grive compte notamment Manon de la Lande (Tanael) et Prisiaise (Fend l’Air), ses deux meilleures représentantes.

Athéna de la Lande, la mère de Valmy, et Pierre Leconte. © Julien Counet/StudForLife

Si la première citée a connu le succès, grâce à de bons produits, à l’image d’Aiglon de la Lande (ISO 152, Count Ivor, PS), Quidam de la Lande II (ISO 140, Grand Veneur) Jadis de la Lande (ISO 137, Si Tu Viens) ou encore Duc de la Lande (Qrédo de Paulstra), qu’a monté Harrie Smolders à ses débuts - et qui semble apprécier la souche de son ancien complice puisqu’il pilote Bingo du Parc (SF, Mylord Carthago x Diamant de Semilly), un cousin de Valmy -, c’est surtout Prisiaise qui a eu une incidence considérable pour l’affixe de la Lande. “Prisiaise a vécu assez longtemps et a donné naissance à toute une ribambelle de bons chevaux, dont une pouliche, Athéna de la Lande II, une fille de Starter”, dévoile le Normand. “Starter est un fils de Rantzau (PS, Foxlight x Cavaliere d’Arfino). J’ai connu des palefreniers qui l’ont côtoyé. Certains l’adoraient, tandis que d’autres le détestaient. Il avait une profondeur de regard, des tissus magnifiques et faisait partie des chevaux avec lesquels il fallait savoir composer. En somme, il était moderne avant l’heure, mais les utilisateurs ne voulaient pas s’embêter avec de tels chevaux. Depuis quarante ans, notre souche est imprégnée des meilleurs courants de Pur-Sang. Cela fait la différence avec de nombreux autres élevages normands, puisque le sang Pur aussi rapproché n’était pas si plébiscité.”

Avec son précieux courant de sang, la fameuse Athéna va donner dix produits à l’élevage de la Lande. Le deuxième d’entre eux ne sera autre que l’excellente Manon de la Lande (ISO 164, Quito de Baussy), lauréate du Grand Prix des sept ans à Saint-Lô, face aux parcours relevés de Jean-Paul Lepetit, sous la selle de Franck Schillewaert. En 2007, lors de sa victoire, la Selle Français devance un certain Mylord Carthago (SF, Carthago x Jalisco B)… D’ailleurs, Pénélope Leprevost prendra les rênes de Manon deux ans plus tard, se montrant redoutable jusqu’à 1,45m, avant de laisser la fille de Quito de Baussy terminer sa carrière avec Fanny Guerdat-Skalli et sa soeur, Marion Skalli. D’un an l’aîné de Manon, le formidable Norway de la Lande, meilleur fils de Narcos II (SF, Fair Play III x Tanael) fait tout aussi bien, obtenant un indice de 161. Excellent lors de ses jeunes années, l’étalon confirme et permet à Franck Schillewaert de goûter au haut niveau, tout comme Marquis de la Lande (Quito de Baussy x Starter), issue d’une autre souche maternelle mais regroupant également les sangs de Un Prince et Starter. Après avoir engendré d’autres bons chevaux, Athéna donne naissance à son dernier poulain en 2009. Valmy de la Lande est alors baptisé et deviendra, quelques années plus tard, le meilleur représentant de la fille de Starter.

Manon de la Lande, une demi-sœur de Valmy, ici sous la selle de Pénélope Leprevost. © Sportfot

Valmy, du sang, du respect… et du caractère

“Poulain, Valmy était comme tous les chevaux de la maison : très susceptible. Il comprenait tout et était très intelligent. Parfois, il sentait les choses arriver et ne voulait pas coopérer. Il avait tout le temps son côté Pur-Sang qui ressortait”, se souvient Jérôme. “Il a rapidement testé les humains. Mais quand nous avons vu qu’il fallait le comprendre, tout a bien fonctionné. Axelle Lagoubie et Adélaïde Lautié s’en sont très bien sorties. Il faut privilégier les chevaux de qualité, modernes. Et ce sont aussi des étalons qui peuvent être montés par des cavalières. Valmy, tout comme son demi-frère, Norway, a été monté par des femmes. Cela montre que ce sont des chevaux plus sensibles et affectueux. Lorsqu’on les comprend, il n’y a pas besoin de rapport physique avec eux. Ils peuvent aller au feu pour leur cavalier. Mais ils n’y vont pas avec une paire d’éperons et une bride ; ils y vont parce qu’ils ont confiance et savent qu’ils vont dominer la situation.” 

Imprégné de sang, Valmy se révèle, dès ses premiers jours, comme un cheval de sport moderne. Très recherché en concours complet, le sang pur trouve de plus en plus sa place en jumping, en témoigne nul autre que Monaco, excellent complice d’Harrie Smolders, deuxième de la finale de la Coupe du monde. “La mode, c’est de ne pas y être”, sourit l’éleveur, fier d’avoir toujours ramené du sang dans ses croisements. Si le Holsteiner compte un propre frère performant dans le triathlon des sports équestres, Valmy a, lui aussi, un de ses apparentés qui s’est illustré dans la discipline. Le très délicat Tim de la Lande, particulièrement protégé et bichonné par Jérôme Leconte et Adélaïde Lautié pour révéler son potentiel, a fini par éclore sur la scène internationale, sous la selle de l’Italien Umberto Riva, jusqu’en CCI 4*-S. Fils, lui aussi, de Mylord Carthago, Tim partage des similarités avec Valmy dans sa souche maternelle, puisqu’il descend de Kiva de la Lande, une fille d’Aiglon de la Lande, un neveu d’Athéna.

Même si ses qualités, son énergie et son côté félin auraient sans doute permis à Valmy d’obtenir de belles performances en concours complet, le focus reste le saut d’obstacles. Après avoir grandi au pré, avec ses congénères, le gris entame sa vie de jeune homme, à trois ans. Première étape : le débourrage. La tâche est confiée à Adélaïde Lautié, alors âgée de vingt-trois ans, qui travaille pour l’élevage et a eu la chance de monter les excellents Norway et Marquis de la Lande, ainsi que Sabech d’Ha.

Le puissant Norway de la Lande. © Sportfot

“En liberté, Valmy sautait naturellement comme un extraterrestre”, Jérôme Leconte

“J’étais cavalière pour la famille Leconte et j’ai connu Valmy lorsqu’il était poulain. Tout jeune, il était vraiment joli et avait déjà beaucoup de sang. L’élevage de la Lande est très naturel, alors Valmy restait beaucoup au pré. À trois ans, j’ai commencé à le débourrer. Il n’était pas très facile et bondissait toujours lorsqu’on lui mettait la selle sur le dos. Il n’était pas le plus facile au début. Il m’a fait manger le sable quelques fois (rires). Mais lorsque les chevaux sont comme lui, et qu’ils ont autant de qualités, on leur pardonne. D’autant plus que Valmy était gentil”, explique l’amazone, désormais cavalière pour l’écurie Haury, en Suisse. “Il a continué à faire cela assez longtemps, au moins jusqu’à ses cinq ou six ans. Il n’était pas méchant, mais avait simplement du sang et était très sensible.” Ce tempérament affirmé, trait des plus grands, laisse rapidement entrevoir des qualités spectaculaires. “En liberté, Valmy sautait naturellement comme un extraterrestre, avec une facilité déconcertante. Ceux qui ne le connaissaient pas auraient pensé qu’il était trafiqué et je ne voulais pas de cela, donc je ne l’ai pas présenté aux concours étalons”, dépeint Jérôme Leconte, qui préfère préserver son protégé, conservé entier.

“On sentait déjà qu’il avait de bons moyens et une bonne technique. J’avais un bon sentiment. Quelques fois, il était un peu victime de sa qualité et de son surplus d’énergie. Il pouvait sauter un peu trop vers l’avant, mais je le laissais faire, parce que je savais qu’il serait un bon cheval. Je l’ai monté très simplement à quatre ans et nous n’avons pas fait beaucoup. D’ailleurs, il n’a pas été à Fontainebleau”, reprend Adélaïde Lautié. Et le naisseur du Selle Français d’ajouter : “À quatre ans, il était encore un peu vert, mais guerrier. Il ne s’est pas qualifié pour la finale, mais ce n’était pas un problème. Ensuite, ma cavalière a quitté l’écurie.”

Après quelques parcours à quatre ans et plusieurs sans-faute, Valmy passe aux rênes de Séverine Jaulent, qui le présente sur le circuit classique à cinq ans. Le petit gris poursuit sa formation sur la même lancée, puis change de selle en cours de saison, à l’été 2014. Axelle Lagoubie en prend alors les commandes. “L’élevage de la Lande m’a demandé de monter Valmy juste avant le régional des cinq ans, à Saint-Lô. Au pied levé, il a signé un double sans-faute”, se remémore la cavalière. “Il avait un coup d’épaule incroyable. Il sautait tout le temps très, très haut, mais pas par peur. Il était très courageux, sûr de lui. Son geste de derrière n’était pas toujours parfait et il n’était pas le plus pratique, car il avait une locomotion un peu difficile, mais il ne voulait jamais toucher les barres. Parfois, il pouvait avoir peur des tracteurs ou des bruits des machines. À pied, il avait un côté un peu inquiet, qu’il n’avait pas en piste.” Le couple se forme rapidement et Valmy poursuit sur les épreuves réservées aux chevaux de six ans, sans mal. “Il était de toute façon très doué, donc nous avons fait au plus simple. Avec les jeunes chevaux, nous ne forçons jamais ; s’ils ne sont pas prêts pour les Cycles classiques, ils sautent les épreuves Formations. Nous y allons toujours gentiment. Valmy, lui, a suivi le cursus normal hyper facilement”, poursuit Axelle Lagoubie. “Il ne touchait jamais les barres, ne s’arrêtait jamais. Sur toutes les photos, il était en haut des chandeliers, mais en confiance. À six ans, il a fait de nombreux sans-faute, a remporté des épreuves, puis a été à Fontainebleau. Il a signé un triple zéro et a terminé cinquième, classé Élite. Le respect est inné chez lui, il est né avec cette qualité dans la peau. Sa souche est excellente, puisqu’il est notamment le frère de Norway, qui était un vrai crack. C’était mon cheval de cœur et ils avaient vraiment le respect comme qualité commune. Valmy a toujours été très remarqué et très demandé, mais ses propriétaires ne souhaitaient pas le vendre.” 

 

Axelle Lagoubie et Valmy de la Lande à Fontainebleau. © Scoopdyga

La seconde partie de cet article est à retrouver ici.

Photo à la Une : Jack Whitaker et Valmy de la Lande, à l’Hubside Jumping de Grimaud. © Sportfot