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“Le travail de Frank Rothenberger a été exceptionnel”, Fabienne Daigneux-Lange

Podium
Sport dimanche 21 avril 2024 Mélina Massias

Seul couple à avoir réussi à ne pas renverser de barre en cinq parcours lors de la quarante-quatrième édition de la finale de la Coupe du monde, King Edward Ress et Henrik von Eckermann ont ajouté un nouveau titre à leur collection déjà bien garnie. En trois ans, tous deux sont entrés dans la légende. À Riyad, le Suédois et son BWP né chez Wim Impens ont devancé Julien Epaillard, associé à Dubaï du Cèdre, ainsi que Peder Fredricson, troisième grâce à Catch Me Not S. Pour Studforlife, Fabienne Daigneux-Lange, cavalière, éleveuse, vétérinaire, coach et cheffe d’équipe de la Belgique pour les niveaux 3 et 4* aux côtés de Peter Weinberg dresse le bilan de cette finale de la Coupe du monde Longines. 

Qu’avez-vous pensé de l’ultime acte de la quarante-quatrième finale de la Coupe du monde, remportée par King Edward Ress et Henrik von Eckermann ?

Je pense que cette victoire n’est une surprise pour personne ! King Edward est le meilleur cheval du monde et Henrik von Eckermann est un crack cavalier, un cavalier fantastique. Il aurait pu concéder une faute, comme l’a fait son compatriote Peder Fredricson (troisième sur Catch Me Not S, ndlr). Tous deux sont excellents et ont été très proches tout au long de la compétition. Julien Epaillard n’a pas démérité (terminant deuxième avec Dubaï du Cèdre grâce à un double sans-faute lors de la dernière épreuve de la semaine, ndlr). Le podium s’est décidé les autres jours plus qu’hier. Ces trois cavaliers ont été exceptionnels. 

Les deux Suédois Henrik von Eckermann et Peder Fredricson ont entouré Julien Epaillard sur le podium de la quarante-quatrième finale de la Coupe du monde. © Benjamin Clark / FEI

Depuis trois ans, King Edward et Henrik von Eckermann gagnent tout ou presque, surtout en grand championnat. Comment peut-on expliquer leur suprématie ?

Je pense que Henrik connaît son cheval par cœur, dans les moindres détails et sait exactement comment et quand l’amener au meilleur de sa forme pour chaque championnat. Il lui a laissé un peu de repos (l’alezan a bénéficié d’un mois sans concours entre décembre 2022 et janvier 2023, avril et mai 2023, août et septembre 2023, septembre et octobre 2023, puis entre décembre 2023 et janvier 2024, ndlr), nous n’avons pas trop vu King Edward, puis il l’a monté sur un ou deux concours et les voilà auteurs d’un doublé en finale de la Coupe du monde ! Jeroen Dubbeldam fonctionnait de la même manière : on ne le voyait pas beaucoup dans la saison, puis il remportait tous les championnats (champion olympique en 2000 avec De Sjiem, le Néerlandais avait surtout décroché l’or individuel et collectif avec SFN Zenith lors des Jeux équestres mondiaux (JEM) de Caen en 2014 puis des Européens d’Aix-la-Chapelle en 2015, ndlr). Ce sont des gens capables, grâce à leur connaissance de leurs chevaux et leur intelligence, d’avoir une préparation et une gestion optimale de leurs montures pour les grands jours. 

Une nouvelle fois, Henrik von Eckermann et King Edward Ress ont brillé et terminé à la première place d'un championnat. © Dirk Caremans / Hippo Foto



Lors de cette dernière journée de compétition, King Edward et Henrik von Eckermann ont toutefois connu quelques sursis. Le Suédois a notamment avoué avoir payé le prix de son barrage très osé réalisé deux jours plus tôt. Il a également chuté au paddock avant son premier tour. Selon vous, quel rôle a joué le mental d’acier du numéro un mondial dans sa performance ?

Je trouve formidable qu’il ait l’humilité de dire “j’ai exagéré un peu sur mon barrage, j’en ai demandé un peu trop à mon cheval et je n’aurais pas dû”. Il a envie de gagner et c’est tout à fait normal ; sans cela, il n’en serait sans doute pas où il en est aujourd’hui. Concernant sa chute, ce sont des choses qui arrivent, et ce n’est pas parce que cela se produit au paddock qu’il en sera de même en piste. Je pense surtout qu’une fois que Henrik von Eckermann est concentré, il ne pense à rien d’autre qu’à son objectif. Lorsqu’il est déterminé, le reste n’existe plus. 

Malgré ses nombreux succès, Henrik von Eckermann sait rester humble et les pieds sur terre. © Benjamin Clark / FEI

L’Allemand Frank Rothenberger a construit les cinq parcours proposés cette semaine à Riyad. Comment analysez-vous son travail, en particulier sur les deux tracés du dernier jour ? 

C’était exceptionnel. Les parcours étaient très difficiles et délicats, tout en restant juste pour les chevaux, qui n’ont pas souffert. C’est ce que l’on attend pour une finale de la Coupe du monde. Nous n’avons pas vu de grosses fautes. Par exemple, il suffisait d’une touchette pour faire tomber le vertical situé en milieu de triple. J’ai personnellement trouvé ses parcours très bien construits, tout en étant hauts et techniques. À mes yeux, il n’y a rien à dire, il a fait cela de mains de maître. Il y a quelques années, on pouvait lui reprocher de proposer des parcours trop compliqués pour les chevaux : ce n’est absolument plus le cas aujourd’hui. Son travail a été remarquable. 

Un mot sur les prestations de Dubaï du Cèdre et Catch Me Not S, qui sont tous deux montés sur le podium après un excellent championnat ?

Du haut de ses dix-huit ans, Catch Me Not reste aussi frais qu’un cheval de huit ou neuf ans. C’est remarquable ! Et il n’est pas le seul, il y aura peut-être des chevaux de son âge qui iront aux Jeux olympiques, je pense notamment à Quel Homme de Hus (né Quempas, le complice de Jérôme Guéry poursuit son retour à la compétition et prendra part au CSI 5* de Fontainebleau le week-end prochain, après dix-sept mois d’absence à ce niveau, ndlr). Cela montre que les cavaliers savent préserver leurs chevaux et que ces derniers aiment ce qu’ils font. Tout le monde ne s’en rend pas compte. Certains chevaux de concours sont malheureux de voir le camion partir sans eux. Catch Me Not est exceptionnel et son cavalier représente la perfection. On avait l’impression qu’ils déroulaient des parcours de hunter. C’était juste fantastique. Julien Epaillard a monté de façon remarquable et s’est parfaitement adapté à sa jument. Par rapport aux autres, il a parfois ajouté une foulée dans les lignes. Il connaît sa jument sur le bout des doigts et sait comment lui donner toutes les chances d’être sans-faute. Julien, c’est Julien ! 

Julien Epaillard et sa Dubaï du Cèdre lors de l'inspection vétérinaire préalable à la compétition. © Dirk Caremans / Hippo Foto

À dix-huit ans, Catch Me Not S est apparu dans une forme étincelante sous la selle de Peder Fredricson. © Dirk Caremans / Hippo Foto



Quelle impression vous ont laissé Greya, né Contina 47, et Elysium, né Ziroquado T, quatre et cinquièmes avec Kent Farrington et Hans-Dieter Dreher ? 

J’en suis folle ! Tous deux font partie de mes coups de cœur de la semaine. Ils sont vraiment géniaux : ils ont la souplesse, l’élasticité et la niaque. Ce sont des chevaux qui ne laissent pas indifférent. 

Tout comme Greya, Elysium fait partie des coups de cœur de Fabienne Daigneux-Lange. © Dirk Caremans / Hippo Foto

D’autres chevaux ou cavaliers vous ont-ils marquée durant la compétition ?

Il y a bien sûr la jument de Pieter Devos, Casual DV, que j'ai déjà évoquée vendredi, ainsi que Grégory Wathelet. S’il est reconnu comme l’un des meilleurs cavaliers du monde, ce n’est pas pour rien.

Huitième, la sublime Casual DV a éclaboussé cette finale de la Coupe du monde de son talent. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Grégory Wathelet a une nouvelle fois prouvé tous ses talents de cavalier avec le sensible et talentueux Ace of Hearts. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Sixième aux JEM de Tryon et aux championnats du monde de Herning, septième des Européens de Milan, neuvième des finales de la Coupe du monde de Göteborg et Leipzig, Max Kühner a encore accroché un Top 10 à Riyad, en signant l’un des trois seuls doubles zéro de la journée avec EIC*Up Too Jacco Blue. Pourtant très discret, l’Autrichien de cinquante ans est d’une constance impressionnante. Selon vous, quels éléments et qualités lui permettent d’être aussi régulier ?

Comme je l’avais déjà évoqué vendredi, je pense qu’il a commis une petite erreur en changeant de cheval jeudi. Mais cela n’enlève rien à ses qualités. Max Kühner est extrêmement régulier et répond présent depuis des années. La discrétion me semble faire partie de sa personnalité. Ses parents le sont aussi et ils forment tous ensemble une super petite famille. Compte tenu de l’effectif de cavaliers de haut niveau réduit de son pays, il a connu plus de difficultés que d’autres pour accéder au tout haut niveau. Le fait que l’Autriche puisse compter sur plusieurs couples performants à haut niveau est tout nouveau. L’une des forces d’une nation comme la Belgique réside dans son esprit d’équipe. Nos cavaliers gravissent les échelons progressivement, d’abord en 3, puis en 4*. Lui n’a jamais vraiment eu cette opportunité. D’un côté, il n’avait pas beaucoup de concurrence pour prendre part à certains événements, mais il n’avait pas non plus les Coupes des nations pour l’aider. Je pense que Max Kühner est un cavalier qui se concentre sur le haut niveau et qui travaille régulièrement pour avancer. 

Aussi discret qu'efficace, Max Kühner est d'une régularité impressionnante en grands championnats. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Désormais, tous les regards se tournent vers les Jeux olympiques de Paris, dont le coup d’envoi sera donné dans moins de cent jours. À quoi pourrait ressembler les prochains mois pour des chevaux comme King Edward ou Dubaï du Cèdre ? 

Je ne pense pas qu’ils disputeront de multiples compétitions d’ici les Jeux, notamment parce que les chefs d’équipe n’ont plus besoin de les voir à l'œuvre. Toutefois, répondre à cette question est presque impossible car la gestion et la préparation d’une telle échéance dépend de chaque cheval. Par exemple, je monte certains de mes chevaux la veille du concours, tandis que d’autres n’ont besoin que d’une balade. Chaque cavalier concerné par les Jeux va établir son propre plan. En Belgique, nos cavaliers ont convenu d’un programme après avoir échangé avec notre chef d’équipe : il n’y a pas un seul schéma strict auquel tout le monde doit se plier, pas du tout. 

Photo à la Une : Le podium de la quarante-quatrième finale de la Coupe du monde. © Benjamin Clark / FEI

La quarante-quatrième finale de la Coupe du monde est à (re)vivre sur Clipmyhorse.tv.



Aux lectrices et lecteurs de Studforlife

Ces derniers jours, des médias équestres de référence, tels que nos confrères allemands de St-Georg et nos consœurs scandinaves de WorldOfShowjumping, ont annoncé leur intention de boycotter ou de limiter leur traitement éditorial des finales des Coupes du monde de dressage et/ou de saut d’obstacles, qui se tiennent cette semaine à Riyad. L’attribution de ce sommet de la saison indoor à la capitale du royaume d’Arabie saoudite résulte d’une décision de la Fédération équestre internationale (FEI), annoncée fin 2019. Dans ce pays, un très grand nombre de droits humains sont bafoués, dont ceux des femmes et des personnes appartenant à la communauté LGBTQIA+. Pour ne citer que quelques exemples, Salma al-Shehab, doctorante à l’université de Leeds, a récemment été condamnée à trente-quatre ans de prison, suivie d’une interdiction de voyager de trente-quatre ans pour ses écrits et son activité pacifique sur le réseau social Twitter ; “aucun des conjoints mariés ne peut renoncer à des relations sexuelles ou à la cohabitation avec l’autre conjoint sans le consentement de ce dernier, ce qui implique un droit conjugal aux relations sexuelles”, comme l’écrit l’organisation Human Rights Watch ; les opposants au régime risquent des peines de prison ou la flagellation en place publique, parmi d’autres sanctions ; et l’homosexualité est pénalisée de mort…

Dans le même temps, la FEI ne cesse de promouvoir l’égalité des genres, l’inclusivité au sens large du terme, et ses actions en la matière… Questionnés à plusieurs reprises au sujet de l’incohérence entre leur parole et leurs actes, les dirigeants de la FEI ont déclaré que cette attribution était en quelque sorte un encouragement envers le royaume du Golfe à poursuivre sa politique d’ouverture et ses réformes ayant trait aux droits humains. Certes, l’Arabie saoudite progresse, mais à tout petits pas. Depuis quelques années, par exemple, les femmes ont le droit d’assister ou de participer aux événements sportifs… sous certaines conditions. Cependant, il ne faut pas s’y tromper : cela ne fait toujours pas de ce pays une terre de libertés – très loin s’en faut – mais simplement un théâtre sportif et/ou culturel un peu plus présentable. Pour le régime autocratique saoudien, par ailleurs régulièrement mis en cause pour son soutien à des groupes terroristes islamistes, il s’agit surtout d’obtenir en termes d’image le retour sur ses investissements colossaux en communication, nourris par la manne pétrolière dont il bénéficie.

Respectant pleinement les choix et la diversité des sensibilités de ses consœurs et confrères, Studforlife a choisi de rendre compte des aspects sportifs de ces finales, comme la rédaction l’a toujours fait, où que se tiennent les épreuves. Il faut rappeler que des concours se déroulent de longue date en Arabie saoudite, mais aussi au Qatar, aux Émirats arabes unis, en Chine, au Maroc, en Hongrie et en Pologne, parmi bien d’autres pays où les violations des droits humains sont plus ou moins graves et fréquentes. Le choix de Studforlife ne vaut nullement soutien à l’attribution de cet événement à l’Arabie saoudite par la FEI, qui tirera, à n’en pas douter, le bilan de ce choix controversé.