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“Je vois mal Henrik von Eckermann, Peder Fredricson et Julien Epaillard commettre une faute demain”, Fabienne Daigneux-Lange

Peder
Sport vendredi 19 avril 2024 Mélina Massias

Alors que la journée de repos bat son plein à Riyad, où se déroule la finale de la Coupe du monde de saut d’obstacles, Henrik von Eckermann, Peder Fredricson et Julien Epaillard s’apprêtent à se s’affronter lors de l’ultime acte de ce championnat pour décrocher la meilleure place possible sur le podium. Même si une surprise n’est pas à exclure, King Edward Ress, Catch Me Not S, Dubaï du Cèdre et leurs cavaliers restent les grands favoris. Pour Studforlife, Fabienne Daigneux-Lange, cavalière, éleveuse, coach et cheffe d’équipe de la Belgique pour les niveaux 3 et 4* aux côtés de Peter Weinberg partage son analyse des deux premières journées de compétition.

Quel bilan tirez-vous des deux premières épreuves de la finale de la Coupe du monde de Riyad ?

La Chasse de mercredi était plutôt accessible, compte tenu du niveau hétéroclite des couples engagés. En revanche, hier, le parcours proposé était très technique et délicat, tout en restant dans l’esprit cheval. Je trouve que Frank Rothenberger a fait du très bon travail. Pour venir à bout du parcours, il fallait des chevaux avec des moyens et surtout énormément d’élasticité. Si les cavaliers n’abordaient pas correctement l’entrée des lignes, ils le payaient ensuite, comme avec l’enchaînement 3-4-5. De fait, il fallait des chevaux capables de faire l’accordéon, à savoir s’étendre et de se refermer rapidement. C’est ce que l’on attend aujourd’hui dans le sport. Les couples devaient également être au point techniquement. Il me semble très compliqué de signer des sans-faute sur ce type de parcours en contraignant ou en dominant les chevaux ; ils devaient être détendus et relâcher pour y parvenir. Personnellement, j’ai trouvé cela très bien. Cela prouve que nous allons vraiment dans le sens d’une équitation de coopération, avec la volonté de faire du cheval un complice et athlète. Cette tendance se confirme depuis une vingtaine d’année environ et avait plus ou moins été insufflée par Marcus Ehning. Le cheval n’est plus une chose qui doit simplement obéir et faire ce qu’on lui demande de faire ; il y a un vrai partenariat avec lui. Désormais, toutes les parties prenantes du sport en ont conscience. Tout doit être parfait pour que les choses se déroulent bien à ce niveau et que les chevaux aient envie de coopérer et aider leurs cavaliers. On le voit avec King Edward Ress, par exemple. Henrik von Eckermann est évidemment un phénomène, mais lorsque son cheval doit l’aider, il le fait. S’il était considéré comme un simple outil, cela ne fonctionnerait pas. 

King Edward Ress et Henrik von Eckermann, ici lors de la première inspection vétérinaire, caracolent en tête du championnat et sont bien partis pour s'offrir une deuxième finale consécutive. © Dirk Caremans / Hippo Foto

En tête, Henrik von Eckermann, Peder Fredricson et Julien Epaillard se détachent. Qu’avez-vous pensé de leurs prestations respectives avec King Edward Ress, Catch Me Not S et Dubaï du Cèdre ?

Je pensais que Julien Epaillard serait sans-faute au barrage. Mais, finalement, un parcours à quatre points équivaut presque à un sans-faute (troisième, le Normand est à quatre points de la tête, toujours tenue par Henrik von Eckermann. Sans sa faute au barrage, son retard aurait été de trois unités, ndlr) dans cette configurationEn ce qui concerne Henrik von Eckermann et Peder Fredricson, je dois dire que l’on s’attend à les voir figurer à ces places. Ce sont deux phénomènes ! J’ai été un peu déçue par le résultat de Marcus Ehning et je m’attendais à mieux lors du barrage (où l’Allemand et Coolio 42 ont renversé deux barres pour prendre la onzième place du classement général provisoire, ndlr). Son cheval a remarquablement bien sauté en première manche. Malheureusement, les deux Suisses (Steve Guerdat sur Is-Minka et Martin Fuchs associé à Commissar Pezi, ndlr) ont connu de petites contre-performances, qui n’enlèvent rien à leurs qualités, ni à celles de leurs chevaux (qui disputaient chacun leur tout premier championnat cette semaine, ndlr). 

Julien Epaillard et Dubaï du Cèdre ont manqué d'un tout petit peu de chance pour signer trois sans-faute à Riyad, mais restent en course pour une place sur le podium, voire une victoire. © Dirk Caremans / Hippo Foto



En embuscade, les Belges Pieter Devos et Grégory Wathelet ont réalisé d’excellentes prestations hier, avec deux montures qui prenaient également part à leur premier championnat. Quelle analyse faites-vous de leurs résultats ?

Ace of Heart et Casual DV sont deux super chevaux et leurs cavaliers n’ont pas besoin de publicité ! Grégory est pour moi l’un des meilleurs du monde. Ace of Heart est son deuxième cheval. Il est délicat à monter : Greg est obligé de mettre beaucoup de galop avec lui, mais il s’adapte à tout. Son cheval doit vraiment aller vers l’avant et pas uniquement vers le haut. Sa performance d’hier était très bien et je pense qu’il peut être double sans-faute demain. L’histoire de la jument de Pieter est quand même extraordinaire : il l’a élevée, elle a neuf ans et était encore dans les épreuves jeunes chevaux il y a quatre mois ! Elle est comme on rêve tous les chevaux : élastique, belle, avec de l’amplitude, de la force, de la souplesse, de l’équilibre et une bonne tête. Elle a vraiment tout. C’est génial, d’autant plus que Pieter, bien que professionnel dans son fonctionnement, est amateur. Il ne faut pas oublier qu’il dirige une énorme société (de ventes de fruits et de légumes, ndlr) en parallèle de sa carrière sportive.

Pieter Devos nourrit de grands espoirs avec sa fabuleuse Casual DV, et on comprend pourquoi ! © Dirk Caremans / Hippo Foto

D’autres couples vous ont-ils séduit lors de ces deux premières journées de compétition ?

J’ai trouvé que Zain Shady Samir, le plus jeune des deux Egyptiens engagés dans cette finale, avait montré une équitation remarquable le premier jour. Hier, les choses se sont un petit peu déréglées, ce qui est compréhensible pour un jeune homme de vingt ans, mais sa première prestation est très encourageante. Les deux cavalières américaines (Skylar Wireman, dix-neuf ans elle aussi, auteure d’une bonne Chasse puis d’un parcours plus compliqué hier, et Jill Humphrey, cinquième au provisoire après le décès tragique de son complice Chromatic BF quelques heures après l’épreuve, ndlr) ont aussi très bien monté. 

Fabienne Daigneux a particulièrement apprécié la première prestation du Zain Shady Samir et London Eye. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Quel regard portez-vous sur l’élimination de Kevin Staut ? Comment peut-on expliquer son erreur de tracé de mercredi ?

J’aurais pleuré pour lui… Ce qui lui est arrivé est terrible, d’autant plus qu’il s’agit d’un des pilotes les plus sûrs du clan français. Sa jument (Visconti du Telman, ndlr) sautait merveilleusement bien. C’est une incompréhension, tout simplement. Sa jument a trop voulu l’aider, a vu le premier obstacle qui se présentait devant elle et voilà… Elle a cru qu’elle devait le sauter, rien de plus. Kevin n’est ni le premier, ni le dernier à qui cela arrive. Cela m’est aussi arrivé une fois. C’est vraiment dommage et je suis très triste pour lui, mais je ne pense pas que cet incident ait de quelconque conséquence pour l’avenir. Cavalier et cheval étaient en top forme, et il n’y a pas de raison pour que cela se reproduise (la paire avait déjà franchi le mauvais obstacle lors du barrage du Grand Prix Coupe du monde de Madrid, lui coûtant la victoire, ndlr). 

En raison d'une erreur de parcours, la compétition s'est arrêtée prématurément pour Kevin Staut et Visconti du Telman, pourtant en pleine forme. © Dirk Caremans / Hippo Foto



Lors de ces deux premières journées, Richard Howley, Max Kühner et Devin Ryan ont connu des fortunes diverses. Comment analysez-vous leurs performances, qui ne représentent pas vraiment leur niveau habituel avec Equine America*Consulent de Prelet, EIC*Julius Caesar et Eddie Blue ?

J’ai pu observer Richard Howley, ici, à Oliva, où il est venu concourir ces dernières semaines. Il a monté son cheval dans les petites épreuves et ce dernier était bien relâché et prêt pour l’échéance. Mercredi, il sautait remarquablement bien jusqu’à ce demi-tour pour aborder le double de verticaux. Je pense que le cheval l’a vu trop tard et a été surpris par cette combinaison avec un bidet en dessous. En homme de cheval, Richard a pris le temps de laisser son cheval regarder l’obstacle et de le rassurer avant de partir. Pour le côté compétition, il n’aurait peut-être pas dû, car avec ce barème C, il a tout perdu, mais on ne peut que saluer sa réaction. Hier, son cheval sautait encore extrêmement bien. Devin Ryan a réalisé une contre-performance le premier jour, mais s'est bien rattrapé hier. Comme pour Martin Fuchs, que j’évoquais précédemment, ce n’était simplement pas leur jour. Ce sont des êtres vivants. Ils ont tous gagné énormément et le feront encore dans le futur. Même constat pour Max Kühner, qui est un cavalier extrêmement régulier. Monter deux chevaux différents me semblait être une bonne option (elle avait par exemple permis à Martin Fuchs de triompher à Leipzig en 2022, ainsi qu’à Marcus Ehning de s’imposer en 2009 à Genève, ndlr), mais le Julius Caesar n’était peut-être pas totalement libéré en piste. On l’a vu un peu hésitant à quelques reprises. Avec un tel parcours, il fallait que les chevaux soient à cent pourcents avec leur cavalier. Je ne remets pas en doute la décision de Max Kühner, qui a sûrement souhaité épargner ses chevaux et ne s’attendait probablement pas à ce scénario, mais peut-être que cela se serait mieux déroulé si son cheval avait sauté la veille, où s’il avait conservé Up Too Jacco Blue (qu’il montera d’ailleurs à nouveau samedi, ndlr) pour cette épreuve. Les cotes étaient très hautes hier, plus que d’habitude, et le tracé particulièrement technique. 

Après une prise de risque osée dans la Chasse, Richard Howley a vu ses espoirs de médailles s'envoler avec Consulent de Prelet. Nul doute que le couple saura rebondir, peut-être dès les Jeux olympiques de Paris, leur deuxième objectif de l'année. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Enfin, quel est votre pronostic pour la finale, qui se jouera en deux manches ? À quoi peut-on s’attendre ?

Je vois mal Henrik von Eckermann et Peder Fredricson commettre quatre points. L’un des deux le fera peut-être, mais je ne pense pas que tous deux écopent d’une faute. Pour moi, la victoire reviendra à l’un des deux Suédois. Je pense que Julien Epaillard sera aussi sans-faute et je l’imagine donc bien rester sur le podium.

Entre les deux amis et compatriotes Henrik von Eckermann et Peder Fredricson, la bataille s'annonce au sommet. Qui de King Edward Ress et Catch Me Not S signera la meilleure prestation dans les deux manches de la finale ? © Dirk Caremans / Hippo Foto

Le classement complet provisoire.
La liste de départ de la finale.

Photo à la Une : Peder Fredricson et Catch Me Not S arriveront-ils à déloger Henrik von Eckermann et King Edward Ress de leur trône ? Réponse dans à peine plus de vingt-quatre heures. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Le dénouement de la finale de la Coupe du monde de Riyad sera à suivre en direct sur Clipmyhorse.tv, samedi à partir de 14h45, avec les commentaires de Fabienne Daigneux-Lange et Kamel Boudra. 



Aux lectrices et lecteurs de Studforlife

Ces derniers jours, des médias équestres de référence, tels que nos confrères allemands de St-Georg et nos consœurs scandinaves de WorldOfShowjumping, ont annoncé leur intention de boycotter ou de limiter leur traitement éditorial des finales des Coupes du monde de dressage et/ou de saut d’obstacles, qui se tiennent cette semaine à Riyad. L’attribution de ce sommet de la saison indoor à la capitale du royaume d’Arabie saoudite résulte d’une décision de la Fédération équestre internationale (FEI), annoncée fin 2019. Dans ce pays, un très grand nombre de droits humains sont bafoués, dont ceux des femmes et des personnes appartenant à la communauté LGBTQIA+. Pour ne citer que quelques exemples, Salma al-Shehab, doctorante à l’université de Leeds, a récemment été condamnée à trente-quatre ans de prison, suivie d’une interdiction de voyager de trente-quatre ans pour ses écrits et son activité pacifique sur le réseau social Twitter ; “aucun des conjoints mariés ne peut renoncer à des relations sexuelles ou à la cohabitation avec l’autre conjoint sans le consentement de ce dernier, ce qui implique un droit conjugal aux relations sexuelles”, comme l’écrit l’organisation Human Rights Watch ; les opposants au régime risquent des peines de prison ou la flagellation en place publique, parmi d’autres sanctions ; et l’homosexualité est pénalisée de mort…

Dans le même temps, la FEI ne cesse de promouvoir l’égalité des genres, l’inclusivité au sens large du terme, et ses actions en la matière… Questionnés à plusieurs reprises au sujet de l’incohérence entre leur parole et leurs actes, les dirigeants de la FEI ont déclaré que cette attribution était en quelque sorte un encouragement envers le royaume du Golfe à poursuivre sa politique d’ouverture et ses réformes ayant trait aux droits humains. Certes, l’Arabie saoudite progresse, mais à tout petits pas. Depuis quelques années, par exemple, les femmes ont le droit d’assister ou de participer aux événements sportifs… sous certaines conditions. Cependant, il ne faut pas s’y tromper : cela ne fait toujours pas de ce pays une terre de libertés – très loin s’en faut – mais simplement un théâtre sportif et/ou culturel un peu plus présentable. Pour le régime autocratique saoudien, par ailleurs régulièrement mis en cause pour son soutien à des groupes terroristes islamistes, il s’agit surtout d’obtenir en termes d’image le retour sur ses investissements colossaux en communication, nourris par la manne pétrolière dont il bénéficie.

Respectant pleinement les choix et la diversité des sensibilités de ses consœurs et confrères, Studforlife a choisi de rendre compte des aspects sportifs de ces finales, comme la rédaction l’a toujours fait, où que se tiennent les épreuves. Il faut rappeler que des concours se déroulent de longue date en Arabie saoudite, mais aussi au Qatar, aux Émirats arabes unis, en Chine, au Maroc, en Hongrie et en Pologne, parmi bien d’autres pays où les violations des droits humains sont plus ou moins graves et fréquentes. Le choix de Studforlife ne vaut nullement soutien à l’attribution de cet événement à l’Arabie saoudite par la FEI, qui tirera, à n’en pas douter, le bilan de ce choix controversé.