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“La Chasse a permis aux cavaliers les plus au point de se mettre en valeur”, Laurent Elias

Sport vendredi 8 avril 2022 Mélina Massias

Laurent Elias dresse un bilan positif de la première épreuve de la finale de la Coupe du monde Longines de Leipzig. Bien qu’il regrette un manque d’homogénéité entre le niveau des meilleurs cavaliers mondiaux et celui de certains représentants de nations émergentes, l’ancien sélectionneur de l'équipe de France de saut d'obstacles se dit enthousiaste à l’approche de la deuxième manche de l’apothéose du circuit indoor. Entre les performances des jeunes pousses, la prestation magistrale de Martin Fuchs et le parcours très juste de Frank Rothenberger, le technicien se projette sur la suite des hostilités et souligne les beaux résultats de plusieurs pilotes. 

Globalement, qu’avez-vous pensé de la Chasse, traditionnelle épreuve inaugurale de la finale de la Coupe du monde Longines, jouée sur un Barème C ?

Je trouve que cette épreuve était assez sélective, notamment dans l’équitation qu’elle exigeait, puisque le tracé nécessitait d’être précis, tout en étant adapté au plateau que nous avions. Sauf quelques incidents pour les ténors, à l’image des trois fautes de Steve Guerdat, il n’y a pas eu de grosses surprises. Sportivement, je trouve qu’il s’agissait d’une belle épreuve. J’ai aimé la regarder et nous avons vu de très belles choses. Il y a eu quelques passages plus difficiles. Clairement, le niveau de qualification n’est pas le même pour toutes les ligues. Il faut donc s’attendre à ce que certains cavaliers, autres que ceux ayant obtenu leur qualification sur le circuit d’Europe et d’Amérique, soient en difficulté. C’est la loi du sport. On m’a fait une réflexion, que je trouve assez juste : au-delà d’un certain nombre de fautes dans ce genre d’épreuve, il serait bien de pouvoir arrêter le cavalier. Il n’a, de toute façon, plus aucune chance passé un certain score et n’est plus dans la compétition. Certaines prestations peuvent nuire au spectacle et il faut savoir ne pas insister. Cela représente peu de parcours, mais il y a des questions à se poser. Heureusement, il y a un couperet pour la dernière épreuve. Il est inimaginable que la finale ne soit pas l’apogée en termes de niveau sportif.

Triple vainqueur de cette finale de la Coupe du monde et tenant du titre, Steve Guerdat a vécu une journée compliquée. © Scoopdyga

Par le passé, Frank Rothenberger a souvent été critiqué pour mettre en place des parcours massifs, voire durs pour les chevaux. Depuis quelque temps, cette tendance semble complètement s’effacer, en témoigne le parcours subtil et délicat proposé dans la Chasse. Qu’avez-vous pensé du tracé de ce premier parcours ?

Le parcours était à la mesure du plateau, tout en étant suffisamment technique. Après les trois premiers obstacles, les courbes se compliquaient, avec des trois-quarts de tours. La dernière ligne était très intelligente : elle n’était pas basée sur la vitesse et était un moyen d’évaluer l’écoute des chevaux. Après le onze, les trois foulées pour aborder la palanque devaient être vraiment bien construites. Il y avait ensuite un choix entre cinq ou six foulées pour aborder l’ultime oxer, qui nécessitait à nouveau une vraie qualité d’équilibre et de pilotage. Cela a fait la différence.

Toutefois, nous ne sommes pas au bout de nos efforts. La Chasse était bien dosée et j'espère qu’il en sera de même jusqu’à la finale. Sur ce parcours-là, je n’ai aucun reproche à faire au chef de piste. Quand il fait des parcours durs, je sais le dire, mais aujourd’hui, j’ai trouvé l’épreuve juste pour les chevaux ; il s’agissait avant tout d'une histoire de cavalier. Le tracé nécessitait beaucoup de choses à la fois : être capable de monter en avant, de bien tourner ainsi que d’avoir des chevaux dressés et à l’écoute pour la fin de parcours. Tout cela me plaît bien et correspond à l’idée que je me fais du bon sport. Pour moi, la Chasse n’a pas mis les chevaux à l’effort, dès lors qu’ils étaient bien montés. Le parcours était suffisamment sélectif pour éveiller la vigilance des cavaliers habitués à ce niveau, tout en laissant apparaître de petites fautes ci et là. L’épreuve a permis aux cavaliers les plus au point de se mettre en valeur.

“Le parcours de Jack Whitaker était magnifique”

Le tracé vous a-t-il semblé convenir à un certain type de pilote en particulier ?

La seule réflexion que je me suis fait au fur et à mesure, et surtout dans la première partie d’épreuve, concernait les Américains. Je n’étais pas sûr de ce qu’ils pouvaient montrer. Finalement, mon intuition s’est confirmée en cours de route. Par rapport à leur effectif, je ne les ai pas trouvés tout à fait à la hauteur de ce type de parcours. Cela ne doit pas être leur tasse de thé, même si McLain Ward peut monter n’importe quelle épreuve et que Hunter Holloway a fait très bonne impression. Son équitation est juste et,  sans surprise, elle a accroché un bon classement. Pour le reste, j’ai trouvé que le parcours ne convenait pas vraiment à l’équitation des autres Américains. Sans doute ne sont-ils pas rompus à ce type de tracé.

La jeune Hunter Holloway a réalisé un très bon parcours avec sa Pepita Con Spita. © Scoopdyga

Qu’est-ce qui vous a marqué en particulier dans cette épreuve inaugurale ?

Voir des jeunes très bien monter, à l’image de Harry Charles ou Gerrit Nieberg, m’a fait très plaisir. Cela a permis de mettre en lumière de belles équitations. Le parcours de Jack Whitaker était magnifique, bien que moins rapide que les autres. J’imaginais bien David Will exécuter une bonne prestation, et cela a été le cas. Il ne fait pas partie de la grande équipe allemande habituelle, mais il est très performant depuis quelque temps (le pilote de C Vier 2 s’était déjà imposé dans la Chasse des championnats d’Europe Longines de Riesenbeck, après avoir remporté le Grand Prix du CSIO 5* de Rome en mai dernier, ndlr). Désormais, reste à savoir si cela tiendra jusqu’au bout, mais sa prestation n’est pas une surprise.

La gestion du parcours de Max Kühner était également très bien, tout comme celle de Conor Swail. Ce dernier a opté pour six foulées dans la dernière ligne. Cela lui a fait perdre un petit peu de temps, mais ce choix était intelligent. Il a soigné ces derniers obstacles comme s’il s’agissait d’un Grand Prix classique et est malgré tout troisième. La jolie surprise est sans doute le parcours de Jens Fredricson, septième. Il revient véritablement au sommet après être passé un temps à très haut niveau (avant le CHIO 5* d’Aix-la-Chapelle, en septembre dernier, le Suédois n’était plus apparu en 5* depuis 2014, ndlr). Harrie Smolders a également proposé une équitation de rêve. La course reste ouverte, puisque les points, qui vont être convertis en écarts, ne sont pas considérables. Cela promet du grand sport, et je n’en doutais pas !

Jack Whitaker et son excellent Selle Français ont fait forte impression. © Scoopdyga

Un mot sur la prestation magistrale de Martin Fuchs ?

Martin Fuchs a été royal. Il y a zéro reproche à lui faire sur sa façon de gérer son parcours et d'amener son cheval au bout. Il n’a pas eu besoin de chance, puisque tout a été bien dosé. Nous l’avons constaté lors des dernières échéances : il a acquis une maturité incroyable. Il a un sang-froid étonnant et ses chevaux sont prêts. Il fait aussi partie de la jeune génération, même si son palmarès est déjà bien rempli. Sa performance prouve qu’il tient le haut du pavé de façon extrêmement régulière. Son père (Thomas Fuchs, ndlr) est pour moi l’un des meilleurs entraîneurs du monde. Ses résultats avec Martin, Steve Guerdat ou Bryan Balsinger le prouvent. Lorsqu’il montait à cheval, il avait déjà une grande finesse et était remarquable, mais ce qu’il fait en termes de préparation et d’entraînement est inouï. Il a un apport incroyable pour l’équipe suisse, puisque toutes ses cartouches font mouche.

Martin Fuchs préfère économiser Chaplin pour la finale en montant The Sinner dans le Grand Prix. Compte tenu de ce qu’a montré son étalon dans la Chasse, pensez-vous qu’il s’agisse de la bonne décision ?

Si ce switch est possible, il s’agit d’un vrai choix stratégique. Cela veut dire que son deuxième cheval va entrer dans la compétition directement sur une épreuve relevée, après seulement une petite warm-up. J’imagine qu’il sait ce qu’il fait, mais par le passé, ce choix n’a été que peu fréquemment celui du vainqueur. Maintenant, Martin est dans un tel état de forme qu’il va savoir gérer les choses et peut encore gagner. Ce serait la preuve par neuf que les choses ne se répètent pas toujours et qu’il est possible de s’imposer en utilisant deux chevaux différents (chose que seul Marcus Ehning est parvenu à faire, en 2010, à Genève, avec Plot Blue et Noltes Küchengirl, ndlr). Je ne doute pas que Martin va bien monter de bout en bout.

Martin Fuchs et Chaplin ont survolé la première épreuve. © Liz Gregg/FEI

“Il va falloir être capable de devenir une machine à sans-faute”

À l’inverse, nourrissez-vous des déceptions après cette Chasse ?

Il y a peut-être une question à se poser concernant le niveau des étapes qualificatives sur les ligues plus lointaines. Je crois que tous ne se sont pas qualifiés en 5*. Cela nous fait voir des couples qui ne sont pas tout à fait au niveau. Pour moi, l'universalité du sport ne doit pas se faire au détriment des chevaux. Le niveau du grand sport doit être le même partout, afin que cela soit juste pour tous les qualifiés. Je considère que les chevaux ne sont pas mis à l’effort sur ce genre de parcours lorsqu’ils sont remarquablement bien montés. Quand les distances et le pilotage sont un peu plus aléatoires, cela devient plus compliqué. L’idée d’un certain nombre de fautes mettant un terme au parcours des couples pourrait être une solution. Finalement, le classement provisoire est très parlant et il suffit de regarder le bas de la liste des résultats pour comprendre. Il faut réfléchir aux conditions d’accès de finales d’un tel niveau. Lorsque l’on parle d’humains, l’universalité du sport peut s’entendre. En revanche, avec les sports équestres, il y a un vrai souci vis-à-vis du respect du cheval et du bien-être animal. Dans la culture des grandes nations, on sait maîtriser ces facteurs-là. En revanche, cette culture ne peut pas s’acheter. Elle s'acquiert et demande des décennies d’apprentissage. Les pays émergents ont fait beaucoup d’efforts, dans l’achat de leur cavalerie et dans leur niveau de coaching, mais il est impossible de rattraper des dizaines d’années de retard en un claquement de doigt.

Le sourire de Jens Fredricson, fier de sa performance. © Scoopdyga

Après une bonne première journée de compétition, à quoi peut-on s’attendre pour la deuxième phase de cette finale ?

Nous allons revenir à des parcours plus classiques, où la vitesse ne sera pas un élément déterminant. Encore que, il se peut que les temps accordés soient relativement courts. Le tempo imposé peut changer la physionomie d’une épreuve. Avec un temps assez large, on peut ouvrir les courbes et être dans le confort. À l’inverse, si le temps est serré, cela demande un autre niveau de précision, d’adresse et de sens du rythme. Nous ne sommes pas encore dans la finale, mais au vu de la première épreuve, le Grand Prix va être difficile. Il n’y a pas d’erreurs dans le Top 10, et même dans le Top 11, pour inclure Marcus Ehning (rires). Derrière, il y a également d’autres très bons cavaliers, puisque Grégory Cottard, par exemple, n’est pas loin. Tout va se jouer sur la régularité. Il va falloir être capable de devenir une machine à sans-faute. L’expérience, les nerfs, le niveau de forme des chevaux et la qualité de pilotage feront la différence. Je suis assez enthousiaste sur ce qu’il peut se passer et je trouve que cela a bien démarré. Le ton est donné et j’espère vraiment que la suite de la compétition sera du même calibre.

Les épreuves sont retransmises en direct sur ClipMyHorse.tv, et commentées par Kamel Boudra et Laurent Elias.
Les listes de départs de la deuxième manche ici.

Photo à la Une : Laurent Elias, ici aux côtés de Kevin Staut, lors de la finale de la Coupe du monde de Genève. © Scoopdyga