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Jos Kumps, l'ombre du succès.

Reportages mardi 8 novembre 2016 Julien Counet

Après Rodrigo Pessoa et Gudrun Patteet, c'est au tour de Jos Kumps de prendre la parole.

Quels ont été vos premiers contacts dans les chevaux ?

« Vers 11 ans. Un cousin de ma mère avait un tout petit manège. C'était en 1971 et un samedi, ma maman m'y a emmené et ma vie a changé. Je n'ai plus jamais regardé derrière. Les résultats à l'école ont par contre vite chuté. Petit, nous habitions en Allemagne car mon père était militaire mais mon père est décédé, nous avons terminé notre année scolaire et à la suite de cela, nous sommes revenus en Belgique sinon, nous serions encore restés des années en Allemagne et je n'aurais jamais eu de contacts avec les chevaux. Avec mes deux s?urs et ma mère, nous avons d'abord habité chez nos grands-parents. Ma mère pouvait me payer une leçon par semaine mais lorsqu'une de mes deux s?urs a demandé pour monter aussi, elle ne pouvait plus me payer qu'une leçon toutes les deux semaines. Comme beaucoup de jeunes, j'ai alors proposé de travailler pour pouvoir monter le plus possible … mais c'est pour cela que mes résultats scolaires ont chuté ! Je passais tout mon temps libre dans les chevaux. J'ai commencé par vider les boxes, brosser les chevaux, les préparer puis j'ai accompagné pour les promenades, j'ai ensuite débuté à donner des petites leçons sans oublier le fait de rentrer le foin, rentrer la paille et même construire un manège ! Un été, il faisait tellement mauvais qu'il nous était impossible de monter vu toute la boue qu'il y avait. Nous avons donc fait un plan sur des cartons de bières d'un manège de 45 x 18m. Quand on réfléchit à ça aujourd'hui, le danger que cela représentait de faire ça uniquement avec un agriculteur local. D'autant que nous n'avions pas pris d'architecte et que nous l'avions fait beaucoup trop haut, c'était une véritable cathédrale. Nous avons risqué notre vie pour mettre cette structure en place. C'était tout à fait idiot mais heureusement tout s'est bien passé. Jeune, la compétition m'attirait mais cela n'a jamais été véritablement mon truc. Il y a quelques mois, je me suis retrouvé à monter à Wellington sur la piste d'Athina et Doda en compagnie de George Morris qui montait encore quotidiennement et nous entendions au loin le bruit du concours et à un moment, il me dit : « Avec ça (en indiquant le travail à la maison), la kermesse (en montrant le concours), c'est ok mais la kermesse sans ceci, ça ne m'intéresse pas. » J'ai trouvé ça très intéressant de la part de quelqu'un qui a toujours été fort proche des concours mais qui peut trouver de la satisfaction dans ce travail où il n'y a pas de public en étant simplement là à travailler un cheval sur le plat avec un filet normal. J'ai aussi toujours eu un peu ce feeling … mais je fonctionne comme cela dans tout. Je ne prends jamais de vacances et si on me dit dans trois jours, on doit faire une fête, ces trois jours-là sont déjà foutus. Quand c'est spontané, je n'ai pas de problème mais je n'aime pas cette séparation entre travail et vacances. Je n'aime pas ces cavaliers qui montent au concours puis vont trouver durant la semaine n'importe quelle excuse pour ne pas monter et où le groom va longer. Les cavaliers peuvent toujours trouver quelque chose à faire. Aller regarder un cheval, donner un cours… C'est une des choses que j'ai retenues durant les 35 années que j'ai passé avec les Pessoa : le travail des chevaux passaient toujours en premier ! Si ce n'était pas monsieur Pessoa, c'était moi. Il n'y a pas un jour où il a dit « on va aller voir un cheval en Allemagne, les grooms vont longer aujourd'hui, on le travaillera demain. En faisant comme ça, à la fin de l'année, vous avez fait la moitié de ce que vous vouliez faire. »

Quand décidez-vous de quitter le petit manège où vous avez appris à monter et quelles étaient vos ambitions à l'époque ?

« Je ne savais pas trop car c'est tellement différent par rapport à aujourd'hui où vous pouvez trouver tellement d'informations. Moi, je devais trouver mon chemin moi-même. Je n'avais personne dans la famille qui pouvait me conseiller. Ils ne connaissaient pas le concept d'une licence. Il y avait un magasin à Bruxelles qui vendait des magazines pour les expatriés et j'avais vu quelque chose qui m'intéressait en Angleterre. Il faut bien se rendre compte qu'à l'époque, j'étais obligé de prendre le bus pour aller acheter ce livre. Je prenais le train pour aller à Aix-la-Chapelle car il y avait là une boutique spécialisée en ouvrages sur l'équitation. Cela me prenait une journée, je passais une demi-journée dans la librairie et je revenais avec une pile d'ouvrages. Aujourd'hui, on peut tout trouver sur internet. Nous, on étudiait une photo d'un cavalier qui avait de la renommée alors qu'aujourd'hui, on a une multitude de vidéos à disposition. Ce n'est néanmoins pas la même chose car aujourd'hui, tout est prêt et vous avalez une quantité énorme d'informations alors qu'avant, on décortiquait, on analysait ce qui nous poussait à plus réfléchir. Au fur et à mesure de mes recherches, j'ai été frappé par Caroline Bradley qui évoluait à l'époque avec Tigre. Je ne savais pas expliquer pourquoi mais il y avait quelque chose. Elle n'avait pas le style d'un David Broome d'autant qu'elle avait beaucoup de problèmes de dos. Elle avait ces problèmes mais je voyais quelque chose dans ses parcours. C'était la première femme à participer aux championnats du monde. Par la suite, on a pu voir que quand les journalistes disaient à John Whitaker à quel point Milton était formidable, il répondait toujours ou presque « Oui mais c'est grâce à Caroline Bradley ». C'était en effet elle qui l'avait découvert et mis en route avant que le cheval ne soit confié par ses parents à John Whitaker après le décès de leur fille. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils ont refusé que Milton participe dans un premier temps aux Jeux Olympiques car c'était le dernier lien qu'ils avaient avec leur fille. En faisant des recherches, je suis tombé sur un Suédois Lars Sederholm qui avait un centre d'entraînement unique dans le monde. C'était près d'Oxford et une nouvelle fois, à la place de téléphoner, j'ai pris ma voiture qui était une petite Citroën « deux chevaux » à l'époque. J'ai pris le ferry, roulé à gauche, sans GPS pour arriver là-bas. C'étaient des gens assez fortunés et je faisais un peu tâche avec ma 2CV mais le gars était génial. Cela ne pouvait fonctionner que si tu étais rigoureux et très bon. J'ai passé un entretien en étant très timide. J'ai été accepté mais pas tout de suite.

J'avais pris la décision de tenter ma chance là car je savais que Caroline était passée par là durant six ans et que beaucoup de cavaliers anglais y avaient monté. Aujourd'hui, les Anglais sont aussi bons en dressage mais à l'époque, le travail sur le plat n'existait pas chez eux et ce Suédois avait amené beaucoup de choses. Sans donner de leçon d'histoire, on remonte par lui à Henri Saint Cyr (officier suédois qui avait évolué en complet avant de représenter son pays en dressage entre 1936 et 1960 à cinq reprises avec 4 médailles d'or à la clé et à chaque fois un doublé individuel et par équipe à Helsinki en 1952 et quatre ans plus tard à Stockholm) et si l'on regarde George Morris ou l'équitation américaine aujourd'hui, on croirait revoir cet officier qui montait lui-même au plus haut niveau. Une équitation où l'on referme un peu l'angle en étant dans le mouvement tout en mettant le poids dans les talons sans être excessif alors qu'aujourd'hui, on voit des étriers ultra-longs. Le cheval a aussi une attitude verticalisée que l'on peut évidemment employer avec un cheval d'obstacle. En fait, ce monsieur fonctionnait comme un entraîneur à qui on envoie des chevaux à entraîner mais il s'agissait de beaucoup de chevaux de courses et le concours complet.  Le saut d'obstacles à cette époque en Angleterre, c'était presque vu seulement comme des épreuves d'entraînement en vue du complet. Les gens payaient déjà cher pour mettre leurs chevaux à l'entraînement … puis il y avait des gens comme moi qui payions aussi pour pouvoir faire le travail même si j'avais déjà mes diplômes d'instructeurs. Je ne voulais pas spécialement devenir instructeur mais mes parents avaient insisté pour que j'aie quand même un papier. Je devais avoir 19-20 ans. Le concours complet était à l'époque presque réservé à l'aristocratie et les gens du coup pouvaient payer cher pour mettre des chevaux à l'entraînement. Chaque soir, nous avions une liste des chevaux que nous allions monter le lendemain. L'intérêt était de monter continuellement devant quelqu'un qui savait. C'était un peu une folie, on payait cher… j'avais vendu ma jument et j'avais travaillé un an pour pouvoir aller là. Cela permettait de faire, si on travaillait sur le plat, un nombre de kilomètres d'appuyés, épaules en dedans, de travailler avec des obstacles fixes, travailler sur l'obstacle, voir le management, tout cela surveillé par quelqu'un de bien qui avait une véritable vision. Pour moi, c'était cela ou aller monter pour un marchand. Jos Kumps et son épouse Lorsque je suis parti de la maison, je n'avais pas d'argent, ni d'expérience de concours mais aller chez un marchand, il y en avait déjà beaucoup qui faisaient cela. Vous montez et vous développez certainement quelque chose … mais pas la même chose. Nous avions la chance de monter des chevaux de qualité. En montant des chevaux sans qualité, vous ne pouvez pas développer le feeling. Nous avions la chance d'avoir des chevaux que l'on préparait pour les Jeux Olympiques. Un cheval comme Lutin V qui était un cheval français difficile, c'était ma chance car c'est ce qui m'a permis de le monter beaucoup. Cet endroit était pour moi la seule possibilité de monter un cheval de qualité sous surveillance en répétant sans cesse. Je n'avais pas la possibilité de dire à ma maman : « achète moi six chevaux ». C'est ça la différence avec une école normale comme nous connaissons en Belgique avec Bilzen, Gesves ou Deurne. Là, vous n'apprenez pas car vous avez à faire à des instructeurs qui sont en burn-out qui vont encore une fois devoir répéter à leur élève de changer de main par la diagonale et de descendre les talons avec des chevaux très médiocres et très banals. Le problème, c'est que quand vous êtes dans une école, comme Gesves, on vous fait croire qu'avec votre diplôme le monde vous attend : ce n'est pas vrai !  Quand vous serez en train de peigner le tas de fumier, les gens de votre âge seront dans les grands concours avec un camion magnifique et feront des kilomètres dans des parcours de 140 et même plus pendant que vous, vous êtes à l'école et vous allez apprendre plein de choses, mais vous n'aurez pas grand-chose à apporter à ces gens-là qui plus tard vont devenir des professionnels. »

La suite, c'est demain.