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“Je me dis au moins une fois par jour que je suis extrêmement chanceuse et que je n’échangerais ma vie avec personne d’autre”, Janika Sprunger (2/2)

Janika
Interviews mercredi 3 janvier 2024 Mélina Massias

Accompagnée de ses jeunes pépites, qu’elle éduque depuis plusieurs mois avec l’ambition de retrouver les sommets, Janika Sprunger a vécu une belle saison 2023. La Suissesse, qui a révélé les cracks Palloubet d’Halong, Bonne Chance CW, Bacardi VDL ou encore King Edward Ress, est revenue à vitesse grand V sur le devant de la scène, notamment grâce à la jeune Orelie, neuf ans. La baie et sa souriante cavalière ont défendu les couleurs de la très dense équipe helvète aux CSIO 5* de Falsterbo, avec une victoire à la clef, puis lors de la finale du circuit des Coupes des nations Longines, à Barcelone, début octobre. Également quatrièmes du Grand Prix CSIO 5* de Saint-Gall, cet attachant duo devrait encore franchir un palier supplémentaire en 2024, année olympique. Épanouie et heureuse, la jeune mère de famille n’entend pas pour autant griller les étapes, préférant opter pour une gestion minutieuse de ses jeunes stars. Rencontrée à Barcelone il y a quelques mois, la co-fondatrice des écuries Cyor s’est confiée avec sincérité et sourire. Une interview à découvrir en deux volets.

La première partie de cet entretien est à (re)lire ici.

Comment est née la décision que vous et votre époux avez prise de fonder votre propre structure, en partant d’un terrain vierge ?

Lorsque nous étions installés en Allemagne, nous songions à faire construire une maison. Finalement, nous avons réalisé que cela coûtait beaucoup d’argent et qu’au bout du compte, nous n’aurions pas d’écurie, ni de logement pour les membres de notre équipe. Nous avons renoncé à cette idée et avons entamé une autre réflexion. Nous avons alors trouvé ce terrain (à Kessel, aux Pays-Bas, ndlr). En réalité, trouver l’endroit où nous sommes aujourd’hui basés a été une coïncidence ! C’est au cours d’une conversation banale que Emil Hendrix nous a dit “si jamais vous connaissez quelqu’un qui cherche un terrain à acheter…”. Henrik et moi nous sommes regardés et nous sommes dit qu’il s’agissait peut-être d’une opportunité pour nous ! Et notre projet a débuté dans notre esprit. Pour nous, il était clair que nous voulions fonder une famille, avoir une maison et notre propre affaire. L’idée est partie de là, et c’est sans aucun doute la meilleure chose que nous ayons fait. Nous avons notre point de base, notre foyer, et les chevaux vivent une belle vie. Les conditions de travail sont agréables pour notre équipe ; nous sommes ravis. Même lorsque cela ne se passe pas bien en concours, lorsqu’on retrouve notre petit paradis, on recharge les batteries et on repart de plus belle !

Janika et Scarlett lors d'une détente sur le plat à Barcelone. © Mélina Massias

Cyor, l’acronyme de vos écuries, signifie “crée ta propre réalité”. Y êtes-vous parvenus, deux ans et demi après avoir posé vos valises dans votre structure ?

Oui, à cent pourcents ! Cela n’a pas toujours été facile, mais lorsque l’on continue à croire en ce que l’on veut et à travailler, on trouve des solutions. Beaucoup de choses sont possibles.

“Le plus difficile a été de recréer une toute nouvelle situation pour moi”

Dominique Sprunger, votre maman, est non seulement très importante pour vous d’un point de vue personnel, mais aussi professionnel, puisqu’elle monte régulièrement vos chevaux. Quel rôle joue-t-elle dans votre vie et votre quotidien ?

Oui, ma maman monte aussi les chevaux de Henrik. Elle est très importante pour moi, dans le sens où elle est mon pilier. Elle est toujours là, elle est ma famille. Si j’ai un doute avec mon fils, je peux la solliciter et lui poser des questions. Elle était là lorsqu’il est né, elle m’a aidée et m’a toujours soutenue dans cette nouvelle situation. Elle nous prête aussi main forte lorsque nous avons besoin pour monter nos chevaux en notre absence. Elle fait un travail fantastique avec eux ! Elle est très, très douée et a un ressenti parfait pour les faire travailler dans le bon sens, en utilisant leur dos et en restant dans la rectitude. Nous les retrouvons toujours en condition optimale lorsque l’on revient à la maison. Ma maman est d’une aide précieuse pour Henrik, qui est absent chaque semaine ou presque. Il est à la maison lundi, mardi et parfois mercredi. Rentrer et trouver ses chevaux en forme est primordial. Personnellement, ma maman est aussi très importante lorsque Henrik n’est pas là. Noah et moi avons notre “momo” avec nous et c’est très chouette.

La Suissesse semble avoir trouvé un parfait équilibre dans sa vie professionnelle et familiale, lui permettant de goûter au vrai bonheur chaque jour. © Sportfot



Vous adapter à votre nouveau rôle de mère, en plus de votre carrière sportive, a-t-il été difficile ?

Oui, cela a été le cas pendant un moment. Le plus difficile a été de recréer une toute nouvelle situation pour moi. King Edward avait rejoint Henrik, mais pas seulement ; ma groom (la Franco-suédoise Louise Barraud, ndlr) et mes sponsors aussi ! Henrik a tout récupéré. Cela étant, je ne me suis jamais dit, pas même l’espace d’un instant, que cela était injuste ou que je devrais être celle qui monte King Edward. Pas du tout. Mais je devais retrouver mes marques, puisque mon cheval n’était plus sous ma selle. La première chose à faire a été de clarifier mon esprit. Soit nous nous concentrions exclusivement sur la carrière de Henrik et je restais en retrait, soit je trouvais une solution pour remettre le pied à l’étrier et retrouver le sport. Je n’étais pas prête à abandonner. J’adore ce que je fais et je suis douée dans ce que je fais. Alors, j’ai essayé de recréer quelque chose. Et j’y suis parvenue ! J’en suis très fière. Désormais, j’ai ma propre petite histoire à côté de la grande histoire de Henrik. Je pense que cela est très sain pour notre relation. Je peux poursuivre mon chemin et, quoi qu’il arrive, nous formons toujours une seule et même équipe.

Janika Sprunger, Henrik von Eckermann et Noah aux côtés de Thomas Fuchs à Riesenbeck. © Stefan Lafrentz / Hippo Foto

Vous étiez très proche de Louise, votre ancienne groom. Comment avez-vous vécu son passage au sein de l’équipe de Henrik ?

Nous sommes toujours très proches et travaillons au sein de la même équipe. Je suis très heureuse que Louise ait pu vivre toutes ces expériences, ces médailles et ces nombreux succès. Elle a travaillé si dur pour cela que je ne peux que me réjouir pour elle. C’est chouette que nous soyons toujours dans la même équipe malgré tout.

Vous semblez sincèrement heureuse et épanouie dans votre vie. Est-ce aussi quelque chose que vous ressentez ?

Oui, vraiment. Je me dis au moins une fois par jour que je suis extrêmement chanceuse et que je n’échangerai ma vie avec personne d’autre dans ce monde. Je suis vraiment heureuse. J’essaye de profiter de ce bonheur autant que possible. Notre métier requiert beaucoup de travail, et nous sommes parfois submergés par toute l’organisation que cela peut demander, ou fatigués, mais nous devons continuer à aller de l’avant. C’est pareil pour tout le monde. Ce sport est difficile, mais nous l’aimons. Je suis reconnaissante des opportunités que j’ai, des chevaux qui m’accompagnent en ce moment et pour le lien qui nous uni, Henrik et moi. Je pense que nous cela n’est possible qu’en raison de notre partenariat très solide.

Une caresse pour la jeune Orelie après la finale du circuit des Coupes des nations à Barcelone en octobre dernier. © Mélina Massias

“Parfois, avec tout ce qui se passe dans le monde, le choix d'avoir un deuxième enfant est une réflexion compliquée"

Vous intéressez-vous à l’élevage ? Avez-vous déjà songé à faire naître quelques poulains vous-mêmes, surtout après avoir monté une jument comme Bonne Chance CW, qui est désormais poulinière chez la famille Mégret ?

Pas vraiment ! Je n’ai jamais vraiment regardé le pedigree des chevaux que j’ai montés. J’ai toujours fait confiance en premier lieu à mon ressenti. Par exemple, je ne connaissais rien des origines de King Edward, jusqu’à ce que je comprenne que son père est aussi réputé en dressage ! Désormais, j’essaye de tendre l’oreille et d’en apprendre un peu plus sur les origines, mais je n'ai pas beaucoup de connaissances en élevage. Je n’ai donc jamais envisagé d’élever moi-même des poulains (rires). Toutefois, nous devons beaucoup de respect et de reconnaissance aux éleveurs. Concernant Bonne Chance, je suis toujours en contact avec la famille Mégret, qui m’envoie de temps en temps des photos de Bonne Chance.

Bonne Chance, ici aux Jeux olympiques de Rio en 2016, fait partie du cheptel de poulinières du haras de Clarbec. © Dirk Caremans / Hippo Foto



Chaque année, les conséquences du changement climatique, fortement induit par l’Homme, sont de plus en plus visibles. Êtes-vous inquiète pour l’avenir de la planète ?

Oui, c’est un sujet effrayant. Je trouve aussi qu’il est très difficile de vraiment comprendre ses enjeux. Nous ne pouvons comprendre que les informations mises à notre disposition. Mais évidemment, c’est quelque chose auquel on pense. Cependant, j’essaye de ne pas noyer dans toutes ces préoccupations inévitables. Dans le futur, je vais aussi devoir décider si je veux un deuxième enfant ou non. Avec tout ce qui se passe dans le monde, c’est une réflexion compliquée. En tout cas, nous n'avons pris aucune décision pour l'instant. 

Janika sait garder les pieds sur terre et est pleinement consciente des enjeux qui l'entourent et dépassent la simple sphère équestre. © Mélina Massias

De plus en plus de sportifs, y compris des cavalières et cavaliers, parlent ouvertement de santé mentale et des difficultés qui peuvent affecter leurs vies et leurs carrières. Quel est votre regard en la matière ?

Je pense que c’est quelque chose de très important également pour les jeunes qui arrivent dans le sport. À ce moment de leur vie, ils progressent sans cesse dans la recherche de leur identité, de leur personnalité et de leur carrière. Beaucoup de choses se passent pour eux et il est facile de se perdre dans tout cela. J’ai aussi connu cela personnellement. Lorsque la pression arrive, il faut savoir la gérer. Et cela peut être vraiment lourd à gérer. Il y a une pression saine, et une pression qui ne l’est pas. Dans mon cas, maintenant que je suis un peu plus âgée et que ma situation est si stable, je trouve cela beaucoup plus facile de faire face à la pression. Je vois la différence entre aujourd’hui et il y a dix ans. Maintenant, je sais qui je suis et où je veux aller. Je sais que connaître le succès est incroyable, mais qu’échouer est aussi ok. Lorsque l’on traverse tout ce processus, on apprend énormément et, idéalement, on trouve une forme de paix dans sa vie. Donc, pour moi il est plus facile de gérer certains problèmes et certaines pressions. La pression est ok, être exigeant avec soi-même aussi, à condition que tout cela reste sain. C’est très important, notamment à long terme. 

L'avenir s'annonce radieux pour l'attachante Scarlett... et sa cavalière ! © Mélina Massias 

Pensez-vous que l’aide est suffisamment accessible, notamment pour la jeune génération ? S’ils souhaitent se confier à quelqu’un, peuvent-ils trouver aisément la bonne personne ?

Je connais des gens vers qui on peut se tourner, mais parfois, le coaching mental peut être assez onéreux. Je ne sais pas si cela devrait être quelque chose d’offert par les Fédérations… Cela peut être une idée, surtout pour les plus jeunes.

Photo à la Une : Janika Sprunger tout sourire après une détente avec Orelie dans le superbe cadre du Real Polo Club de Barcelone. © Mélina Massias