Notre site web utilise la publicite pour se financer. Soutenez nous en desactivant votre bloqueur de publicite. Merci !

“J’ai envie d’espérer que l’avenir donnera raison aux petits éleveurs passionnés”, Grégory Wathelet (3/3)

Interviews mardi 31 janvier 2023 Mélina Massias

Depuis qu’il a posé ses valises en Californie, Grégory Wathelet accumule les classements et les victoires. Clarity, Berline du Maillet et Argentina de la Marchette, trois des quatre montures qui l’accompagnent outre-Atlantique, ont toutes brillé sous le soleil de Thermal. Pour le Belge de quarante-deux ans, son départ, loin du Vieux Continent, dont il arpente les routes sans relâche depuis plus de deux décennies, sonnait comme une évidence. Le besoin et l’envie de découvrir un nouveau fonctionnement, de se ressourcer, avant de repartir de plus belle aux beaux jours. Le jeune père de famille a décidé de passer deux mois aux Etats-Unis, puis de revenir en mars, pour relancer la machine avec en ligne de mire, évidemment, les grandes Coupes des nations et, si l’occasion se présente, les championnats d’Europe Longines de Milan. Pour revêtir la veste rouge des Diables Rouges, le trente-troisième meilleur cavalier du monde le sait : il devra faire ses preuves avec ses montures. En effet, son gris, Nevados S, sera préservé cette année et n’ira pas en Italie pour l’échéance continentale. En parallèle, Grégory Wathelet n’oublie pas l’élevage, une activité qui lui tient à cœur et à laquelle il vient de donner une nouvelle dimension en lançant, en partenariat avec son ami Gilles Botton, un catalogue d’étalons. À l’occasion d’un entretien divisé en trois épisodes, le médaillé de bronze par équipe des derniers Jeux olympiques revient sur son expérience californienne, ses objectifs 2023, les départs d’Iron Man vd Padenborre et Cocktail de Talma, ainsi que sa vision de l’élevage. Troisième et dernière partie.

Les premier et deuxième volets de cette interview sont à (re)lire ici et ici.

Vous avez annoncé, il y a quelques semaines, le lancement de votre propre catalogue d’étalons, en collaboration avec votre ami de longue date Gilles Botton. Comment est née cette idée ?

L’idée vient de Gilles, notamment parce que j’ai, depuis quelques années déjà, plusieurs étalons au sein de mon piquet. J’ai toujours fait naître des chevaux, mais je travaillais jusque-là avec des centres extérieurs, avec qui nous continueront à collaborer à l’avenir, et qui géraient le volet étalonnage. C’est un vrai travail, tout comme cavalier et éleveur, à la différence que celui-ci n’est pas le mien. J’ai la matière première pour former un catalogue, mais je n’ai pas les compétences d’un étalonnier. Je ne m’estime en aucun cas compétent pour exercer ce métier-là. C’est davantage le domaine de Gilles, qui est fou d’élevage. Il est très connaisseur, beaucoup plus que moi, qui apprends et découvre encore. Evidemment, si je devais mener un projet de cet ordre, c’était avec lui. J’essaie toujours de m’associer à des personnes compétentes dans leur domaine. Et puis, nous sommes amis depuis trente ans, donc autant le faire avec quelqu’un en qui j’ai confiance les yeux fermés. Nous souhaitons vraiment faire grandir cette idée. Pour cette raison, nous avons commencé doucement, en proposant un catalogue très réduit comprenant quatre ou cinq étalons, où je ne ferais pas figurer tous mes étalons. Je souhaite vraiment proposer des chevaux dont je peux parler positivement sur le plan sportif, parce que je les ai montés ou parce qu’ils ont déjà prouvé quelque chose. J’ai des étalons très prometteurs au sein de mes écuries, qui ne seront pas dans notre catalogue, parce qu’il y a encore un doute ou qu’ils doivent confirmer. Nous allons toutefois proposer un trois ans dans lequel nous croyons énormément ; j’ai rarement vu un cheval de cet âge être naturellement bon comme lui. Il fait en quelque sorte exception, mais parce qu’il est, selon moi, hors normes. Dans tous les cas, ce seront tous des chevaux dont je pourrais parler honnêtement. Souvent, lorsqu’on est étalonnier, on a tendance à vouloir ou devoir dire ce que l’éleveur veut entendre. Or, ce n’est pas toujours la réalité. Si on me pose une question sur l’un des étalons de notre catalogue, je veux pouvoir dire ce que je pense, comme si je parlais simplement du cheval, et non pas comme si j’essayais de vendre une saillie. Par exemple, pour Nevados, c’est facile ! Je sais quelles sont ses qualités et je n’ai pas grand-chose à arrondir ou sur quoi mentir. Voilà un peu ma philosophie. Pour résumer, nous avons choisi des étalons dont nous sommes, ou du moins dont je suis déjà assez fan.

Grégory Wathelet et son meilleur cheval, Nevados S, à Aix-la-Chapelle. © Mélina Massias

[revivead zoneid=48][/revivead]

Vous avez annoncé que vos fers de lance, Nevados et Chacco White (Chacoon Blue x Spartacus), très remarqué depuis ses débuts avec Gilles Botton, feraient partie de votre catalogue. Qui vont être les suivants ?

Nous allons annoncer l’identité des autres étalons progressivement (cette semaine, Dollar du Rouet, Chacco-Blue x Quaprice Bois Margot, ex Quincy, a été présenté sur les réseaux sociaux, ndlr). Normalement, nous allons rester à cinq chevaux pour cette année. L’idée n’est pas de commencer à prendre des étalons de l’extérieur ; ce sont nos chevaux, à Gilles et moi. Nous avons été sollicités pour intégrer des étalons de l’extérieur, mais notre ambition n’est pas d’avoir trente chevaux. Ce n’est pas comme cela que nous voyons les choses.

Toute la qualité de Nevados S, ici à Aix-la-Chapelle. © Mélina Massias

La venue de Chacco White au salon des étalons de Saint-Lô, mi-février, a déjà été confirmée. Sera-t-il le seul de votre catalogue à faire le déplacement ?

Non, Nevados viendra aussi. Nous avons prévu de l’emmener parce que nous trouvons intéressant de le montrer aux éleveurs. Normalement, je ne fais jamais cela, notamment parce que le programme de compétition ne le permet pas. Pour cette édition, tout tombait plutôt bien, donc ma compagne amènera Nevados. Même si les éleveurs ont l’occasion de le voir en vidéo ou en vrai lorsqu’ils sont sur un terrain de concours, je trouvais sympa de faire un pas vers eux et de leur permettre de le voir dans un autre contexte.

Chacco White, la pépite de Gilles Botton, sera présente au salon des étalons de Saint-Lô, comme Nevados. © Mélina Massias

“Les événements qui permettent de voir et rassembler plusieurs étalons sont importants pour beaucoup d’éleveurs”

En dehors des événements organisés directement par les étalonniers eux-mêmes, le salon des étalons de Saint-Lô a un statut unique en France, voire en Europe. Ne serait-il pas bénéfique, notamment pour les éleveurs, de pouvoir s’appuyer sur quelques initiatives similaires supplémentaires ?

Je ne suis pas la bonne personne pour répondre à cette question, parce que je n’ai jamais pris part à ce genre de salon ou de présentation. Je crois que les événements qui permettent de voir et rassembler plusieurs étalons sont importants pour beaucoup d’éleveurs. On peut le voir à Lanaken également, où des défilés d’étalons sont organisés : cela attire énormément d’éleveurs qui viennent observer les mâles en vrai. Est-ce qu’il en faut beaucoup ? Je ne sais pas. Si ces rassemblements sont trop nombreux, ce n’est peut-être pas l’idéal non plus. Il faudrait sans doute interroger les éleveurs, du moins ceux qui profitent de ces salons pour aller au contact de certains étalons. J’ai l’occasion de voir ceux qui m’intéressent régulièrement en compétitions, donc je n’ai pas spécialement besoin d’un rendez-vous comme celui de Saint-Lô. En tout cas, c’est toujours la même chose : s’il y a une demande, alors il serait peut-être intéressant d’en organiser d’autres. Cependant, il faut veiller à les mettre en œuvre correctement. Pour être honnête, je n’ai jamais assisté au salon des étalons de Saint-Lô. Je n’en ai que très rarement visité, en raison de mes nombreuses absences liées aux concours. Maintenant que je suis un peu plus impliqué du côté de l’élevage, je pense que tout cela est une filière importante. Dans notre bulle sportive, nous sommes parfois déconnectés de la réalité et plein de choses nous semblent normales et naturelles, parce que nous les côtoyons chaque semaine. Mais pour Monsieur tout le monde, pour les éleveurs plus locaux - qui sont primordiaux et souvent ceux qui produisent les chevaux qui nous font rêver plus tard -, il est peut-être important qu’ils puissent voir les étalons d’une autre façon.

Le charmant Ace of Hearts, ici à La Baule, est de la partie en Californie, contrairement aux étalons du piquet de Grégory Wathelet. © Mélina Massias

[revivead zoneid=48][/revivead]

“Je n’aurais pas la prétention de dire que mon élevage est réussi”

D’un point de vue plus personnel, comment se porte votre élevage ? Certains de vos jeunes vous semblent-ils intéressants ?

Je n’aurais pas la prétention de dire que mon élevage est réussi. Il n’en est qu’à ses débuts, est tout nouveau. Je me suis lancé dans cette activité avant tout pour apprendre et parce que ma situation, que ce soit en termes d’espace, de juments, d’étalons ou d’autres paramètres, me le permet. J’aime élever. Maintenant, je ne me compare pas avec les nombreux grands et bons éleveurs. Je fais cela à ma façon. Les premières générations arrivent seulement à maturité. Les toutes premières ont quatre et cinq ans, et celles pour lesquelles nous avons investi dans de meilleurs transferts ont trois ans. Cela reste assez nouveau. Il y a évidemment des choses très sympas, mais entre ce qui nous plaît aujourd’hui et ce qui s’avèrera vraiment bien à l’avenir… Chaque éleveur rêve et espère, et moi aussi. Je connais le haut niveau et je sais l'exigence que cela requiert, je suis donc souvent assez critique. Mais bien malin serait celui qui pourrait dire “ce trois ans est destiné au haut niveau”. Oui, on peut voir un petit potentiel, de la qualité ou non. Mais le reste repose beaucoup sur du rêve, des espoirs, de la patience, de l’investissement, beaucoup d’investissement. L'idée reste d’être très modeste. Comme je le disais, chacun son métier. Je ne suis pas éleveur. Pour le moment, je dirais qu’il s’agit d’une situation : le sport et entraîner restent mon cœur de métier.

Argentina de la Marchette, une compétitive grise de onze ans. © Sportfot

[revivead zoneid=48][/revivead]

Comment choisissez-vous les étalons que vous utilisez pour vos juments ? On imagine que ceux que vous présentez en compétition ont vos faveurs…

J’essaye de faire un mix entre les deux. Je ne sais pas vraiment ce qui est le mieux. Certains diraient peut-être que je ne devrais pas utiliser mes propres étalons, mais j’ai envie de répondre, pourquoi ne pas les prendre s’ils sont bons ? M’en passer n’aurait pas de sens. Toutefois, je pense qu’il ne faut pas prendre seulement ses étalons, sinon on s’enferme dans son élevage. Voilà pourquoi j’essaye d’alterner. Malgré tout, j’utilise pas mal les miens, puisque j’en ai de super qualité. Pourquoi aller voir ailleurs, alors que certains, qu’ils soient jeunes ou confirmés, correspondent à ce que je recherche ? Ces derniers temps, nous avons pas mal utilisé Nevados, ainsi qu’Iron Man, qui ont tous les deux fait leurs preuves. Parmi les étalons extérieurs, nous essayons d’aller vers des origines plutôt connues si nous sommes dans un but commercial, ou vers des coups de cœur, des choses qui nous plaisent, si nous voulons construire des projets d’avenir. Comme nous le savons tous, avec l’élevage, il faut penser, aujourd’hui, à quelque chose qui donnera peut-être des résultats dans huit ans. Il faut avoir une vision à long terme, qui implique souvent beaucoup de déceptions, mais surtout des petits espoirs qui nous motive et nous font aller vers l’avant. Tout éleveur peut comprendre cela. J’ai eu la chance que nous fassions naître directement une bonne jument, Argentina, que mon père a élevée et qui a d’ailleurs gagné une épreuve à 1,50m ici, en Californie. Elle a été sacrée championne de Belgique des sept ans, ce qui n’est pas rien. Je suis toutefois conscient que cela ne peut pas tout le temps être ainsi. Alors, on essaye. Je travaille beaucoup avec Gilles. Nous réfléchissons à des croisements intéressants. Je vous dirais dans quatre ou cinq ans si nous avions vu juste !

Dans son programme d'élevage, Grégory Wathelet a notamment utilisé le regretté Iron Man van de Padenborre, alias Doudou, ici sur le mythique double de bidets d'Aix-la-Chapelle. © Mélina Massias

J’ai toujours un peu plus de mal à juger les poulains. Certains disent qu’ils sont beaux, qu’ils bougent bien, qu’ils ont de la force, etc. Franchement, je n’en sais rien. Lorsque l’on commence à les faire sauter en liberté, je trouve que l’on peut voir pas mal de choses, notamment lorsqu’on fait tout soi-même et que l’on voit toutes les séances, et pas seulement les trois sauts qui nous plaisent. J’observe tous mes poulains évoluer à l’obstacle ou bouger en liberté, moi-même, dès qu’ils ont deux ou trois ans. J’aime bien cet exercice. J’ai envie d’apprendre, de les voir se déplacer, etc. Mais de là à dire ce qu’ils deviendront, ce qu’ils feront à sept ans… Je tiendrai peut-être un autre discours dans trois ou quatre ans, mais aujourd’hui, je suis incapable de faire de tel pronostics. On peut bien sûr formuler un avis, voir si un cheval a du sang ou une bonne technique, mais prédire qu’il fera telle ou telle épreuve me parait impossible. J’ai en tout cas du mal à y croire. Un cheval qui a un bon galop a un bon galop, un cheval qui est respectueux en liberté le sera sans doute aussi à l’avenir, tout ça, oui, on peut le voir, mais le reste est plus compliqué à juger. Tout le monde a envie de voir des chevaux qui font le show, qui font des sauts qui font rêver, mais ce ne sont pas toujours ceux-là qui seront les plus intéressants à la fin.

Même s'il a désormais quitté ses écuries, Faut-Il des 7 Vallons a aussi été utilisé par Grégory Wathelet sur certaines de ses poulinières. © Mélina Massias

[revivead zoneid=48][/revivead]

“Un cheval qui évolue à 1,40m peut être fantastique et nous l’oublions souvent”

Aujourd’hui, dans l’élevage, le transfert d’embryons s’est assez largement démocratisé. L’ICSI, l'injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde, technique consistant à prélever un ovocyte de la jument pour le féconder in vitro avec un spermatozoïde de l’étalon, semble suivre la même voie. Certaines lignées, mâles comme femelles, sont alors parfois utilisées à grande échelle. Quel regard portez-vous sur ces techniques et pensez-vous qu’à terme cela puisse mener à un appauvrissement de la diversité génétique et une homogénéisation des chevaux de haut niveau ? 

On ne va pas se le cacher, c’est un danger. Malheureusement ou heureusement, parce que je les utilise aussi. Je ne peux donc pas cracher dessus, mais on entend souvent des éleveurs expliquer que cela est dommage, qu’il est parfois préférable de laisser la nature faire. Je suis assez d’accord, mais on ne peut pas critiquer quelque chose auquel on a soi-même recours. Les possibilités sont là, donc je les saisis. Aujourd’hui, il est difficile de se prononcer là-dessus. Il faudra voir dans un premier temps quels sont les effets de l’ICSI sur toutes ces choses-là, sur les souches qui se referment un peu, etc. Il est vrai que nous avons tendance à rester sur les mêmes souches, que les gens se dirigent vers les mêmes courants de sang. Les prix s’affolent pour certaines lignées. J’ai envie d’espérer que l’avenir donnera raison à beaucoup de ces petites personnes, de ces éleveurs passionnés et qu’ils puissent en retirer quelque chose. Sinon, nous nous dirigeons vraiment vers un système industriel… Nous tendons déjà à aller vers cela, un peu à l’image des petits commerces locaux qui disparaissent dans le secteur alimentaire. Est-ce que le sport et l’élevage vont aussi y passer ? Je ne l'espère pas. Il est de plus en plus compliqué pour les petits éleveurs de faire naître leur cheval, de le former, de l’amener à haut niveau et de le conserver. Ce milieu est de plus en plus dominé par de grosses machines industrielles. J’en fais peut-être aussi partie. Il ne faut pas avoir peur de dire les choses comme elles sont. Le petit éleveur qui se lève, qui va prendre sa jument, l’emmener à la saillie, puis faire naître son poulain ; je trouve ça tellement beau. C’est passionnant. Et oui, cela se perd, parce que tout est plus compliqué. Cependant, je trouve qu’il y a quand même un bon côté là-dedans : grâce à internet, aux réseaux sociaux, ces petits éleveurs peuvent élever plus intelligemment. Ils peuvent suivre davantage certaines choses et vont moins avoir tendance à prendre l’étalon du coin, stationné chez l’étalonnier local, qui lui aura dit de l’utiliser. Ils peuvent regarder, réfléchir et sont devenus beaucoup plus malins. De fait, ils vont pouvoir mieux croiser leurs juments - parce qu’il y en a qui en ont encore - et les lignées qu’ils ont développées. Peut-être que quelque chose de mieux va découler de cela. Aujourd’hui, le sport évolue tellement ! On arrive à des limites sportives que je trouve incroyables. Il faut de la perfection pour élever le cheval qui fait rêver. Mais, comme je le dis souvent, ce n’est pas toujours celui qui va être champion olympique. Un cheval qui évolue à 1,40m peut être fantastique et nous l’oublions souvent. On a toujours envie d’élever un cheval qui atteindra les Grands Prix 5*, mais il y en a peu sur quelques centaines ou milliers de naissances. Si l’on fait une analogie, les jeunes joueurs de foot rêvent sans doute de devenir les prochains Ronaldo ou Messi. Or, si on attend cela, on finit souvent déçu, alors qu’il y a plein de bons joueurs.

La puissante et plaisante Berline du Maillet, ici à Dinard, semble avoir une seconde carrière toute tracée et compte déjà plusieurs produits, nés pour le compte de ses éleveurs. © Mélina Massias

[revivead zoneid=48][/revivead]

Photo à la Une : Grégory Wathelet et Argentina de la Marchette, une très bonne jument née au sein de l'élevage familial. © Sportfot