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Uélème, l'envol du haras de Villers (1/7)

Reportages lundi 27 juillet 2015 Julien Counet

Il y a des juments qui rentrent dans l'histoire pour leur palmarès, d'autres pour leur production. Très rares sont celles qui arrivent à combiner les deux. Uélème fait partie de ces exceptions. Après avoir permis à Olivier Jouanneteau de se révéler au plus haut niveau, ce sont ses produits qui prennent le relais sur les pistes internationales. Rencontre au haras de Villers avec son cavalier de toujours, Olivier Jouanneteau puis sa dernière cavalière, sa fille Pauline. Deux cavaliers qui continuent aujourd'hui à monter ses produits et leur descendance.

PARTIE 1 : LA RENCONTRE

Comment Uélème est-elle entrée dans votre vie ?

 Olivier Jouanneteau : Elle est rentrée simplement dans ma vie lorsqu'elle avait deux ans et que son naisseur, Daniel Millet, que je connaissais puisqu'on disputait des épreuves rurales ensemble au club de la Neuville où j'ai en partie appris à monter chez M. Delporte qui est devenu chef de piste international, me l'a amenée dans ma cour. Je faisais déjà un peu de jeunes chevaux de manière semi-professionnelle. J'achetais des jeunes chevaux, je les travaillais, je les emmenais en finale des 4 et 5 ans. 

Lorsqu'elle est arrivée, c'est vrai que cette jument ne se laissait pas manipuler et était assez délicate. Elle pouvait être violente. Elle avait tout juste 3 ans et on devait prendre une plate longe pour les pieds postérieurs sinon elle ruait ! Elle n'était pas simple. Lorsqu'on lui a mis le surfaix, elle criait comme un cochon. On n'avait pas trop envie de monter dessus. On s'est mis en « sac à patate » avant que Daniel Millet ne la reprenne et franchement, je me suis dit « pourvu qu'il ne me l'amène pas à 4 ans ». Comme on dit dans le jargon : c'était une plaie ! Ce n'était pas la jument toute simple, elle était impressionnante et elle était assez grande pour son âge, elle faisait 1m67-68. Ceci dit, lorsqu'on l'a mise à la longe, elle a tout de suite été capable de garder le galop sur le cercle, ce qui pour une jument de ce gabarit-là était assez étonnant. Elle a failli être vendue car des gens sont venus et, comme ça se faisait à l'époque, ils étaient intéressés par cette grande pouliche mais la jument cornait et le gars ne l'a pas achetée. Daniel me l'a ramenée en début d'année de 4 ans. Je me suis dit « oulala, elle revient ! » puis en fait, en huit jours de temps, elle était montée dans le manège. Je pense que le travail que nous avions fait l'année précédente avait été fort utile. Elle était relativement sociable même si elle restait assez vive et délicate. On a travaillé pour faire les 4 ans où elle s'est classée de très nombreuses fois. J'aimais bien les mettre dans le calme mais elle partait souvent sur les chapeaux de roue au début du parcours avant de se calmer en milieu de tour où elle devenait plus à l'écoute. Elle s'est qualifiée pour Fontainebleau où elle s'est arrêtée sur un mur avec des petites arches qui l'a un peu effrayée. Le lendemain, elle était sans-faute.A 5 ans, elle est restée chez moi et a participé au cycle classique mais elle n'a pas été qualifiée. A ce moment-là, j'essayais de la calmer car elle attaquait les barres... Mais lorsque j'arrivais à la calmer : elle s'arrêtait ! Il n'y avait pas d'entre deux. S'il y avait des pots de fleurs ou un bidet, c'était sûr qu'elle collait un stop puis après, elle sautait. L'année de ses 6 ans, elle a commencé à se sociabiliser et elle a participé à la finale du championnat de France de Fontainebleau. Je possédais à l'époque une licence Pro2, je n'étais pas encore vraiment professionnel mais elle s'est très bien comportée et termine sixième de sa génération alors qu'il y avait vraiment un gros lot de chevaux dont Ulane du Plessis et bien d'autres. Les dix premiers chevaux de cette finale ont tous évolué en Grand Prix avec des pros sur leur dos comme Hervé Godignon, Annick Chenu, Jean-Maurice Bonneau avec Urlevent Pironnière… j'étais le seul Pro2 de l'histoire avec cette jument. Nous avons eu de nombreuses offres pour l'acheter dont une d'un cavalier suédois qui est par la suite devenu entraineur national.Il m'avait dit que la jument l'intéressait et qu'il allait essayer de trouver un sponsor. Bien avant cela, j'avais déjà essayé d'acquérir une part à son naisseur Daniel Millet qui n'avait pas accepté car il voulait rester maître de la situation et il voulait pouvoir faire ce qu'il voulait avec la jument. Ici, il y avait pas mal de gens intéressés dont Malta Da Costa qui cherchait de bons chevaux. La jument était sur le marché, plusieurs personnes l'ont essayée et j'avais dit à son propriétaire qu'on allait bien la vendre... puis un jour, il est venu me trouver et me dit « Finalement, c'est mon plaisir d'aller la voir au concours, est-ce que tu veux toujours m'en acheter la moitié ? » Evidemment, la valeur de la jument qui avait fait une belle finale des 6 ans n'était plus la même que celle de la jument de 4 ans que j'avais proposé d'acheter et le but n'était certainement pas de léser quelqu'un. Il y a donc eu une estimation de la jument, qui correspondait au prix du marché, et j'ai acheté un tiers de la jument car je n'aurais pas pu en acheter la moitié. Nous avons convenu que lorsque nous la vendrions nous ferions moitié-moitié pour tout ce qui dépassait la valeur estimée de la jument. L'année suivante, j'ai donc fait les Grand Prix B1 à 1m35. Elle gagne la première épreuve de l'année qu'elle fait, à Compiègne, mais malheureusement, elle est sortie boiteuse. Avait-elle marché dans un trou, je ne sais pas ! Elle avait pourtant gagné de très belle manière mais elle a par la suite été arrêtée longtemps et nous en avons profité pour faire quelques transferts d'embryon avec Royal Feu dont je distribuais la semence avec la famille Lécuyer qui en était propriétaire.Elle nous a fait deux produits qui étaient Hélico of Lulu et Hachelem.

Helico of Lulu, ici sous la selle d'Olivier Jouaneteau, a ensuite poursuivi sa carrière sous la selle du cavalier espagnol Inigo Verdugo Velon.

La jument s'est remise et a repris la compétition en fin d'année et s'est tout de suite remise à gagner des épreuves, elle sortait vraiment du lot. À la fin de son année de 8 ans, elle a couru le critérium. À 9 ans, nous avons remporté ce critérium et ça m'a ouvert les portes de l'international. Patrick Caron avait repéré la jument et du coup, j'ai commencé à avoir des sélections dans les concours français puis il m'a fait faire ma première Coupe des nations à Hickstead où nous avons terminé deuxièmes. Je pense que c'était un peu osé car je n'avais pas une expérience énorme de ce type de concours là, et je trouvais que c'était un peu prématuré de l'emmener là-bas mais ceci-dit, elle n'a pas démérité. À la suite de cela, j'ai fait partie de l'équipe de France à part entière durant de nombreuses années ce qui m'a plutôt bien réussi. J'ai eu l'occasion de faire deux fois la tournée américaine entre autres. Nous avons été deuxièmes du Grand Prix à New York et nous avons remporté la Coupe des nations. La jument allait bien, elle a gagné les Grands Prix de Vichy, Franconville, St Lô … Une année, j'étais bien parti pour participer à la finale de la Coupe du monde mais la jument s'est blessée à Stuttgart.  C'est une jument qui a tenu très longtemps dans le haut du panier. Nous avons également remporté la Coupe des nations de Rotterdam avec Nicolas Delmotte, Bruno Broucqsault et Philippe Léoni alors que la France n'avait plus gagné cette étape depuis 10 ans ! Nous avons ensuite remporté Bordeaux puis elle a encore fait quelques concours mais la jument prenait un peu d'âge et je n'avais pas envie de la pousser à bout, j'ai donc décidé de la confier à ma fille Pauline avec qui elle a fini sa carrière à 18 ans.

Durant ce temps, nous lui faisions faire des transferts d'embryons, elle a donc eu un certain nombre de produits puisqu'il y en a eu 27 de vivants dont au moins cinq qui ont tourné sur des Grands Prix à 1m50 et qui étaient des chevaux de qualité. Elle a aussi eu beaucoup de femelles, ce qui fait que nous avons un élevage avec ses filles et petites-filles qui continuent à faire du concours et à reproduire. La vie a fait que j'ai eu la chance de croiser le chemin de cette jument, que j'ai fabriquée et que je n'ai pas cassée trop tôt. Je dis souvent que je ne dois rien à personne, je suis parti de pas grand-chose et s'il faut effectivement de la chance pour croiser ces chevaux-là, je pense ne pas l'avoir gâchée. Evidemment, je pense que si elle avait eu un autre cavalier avec beaucoup plus d'expérience que moi, elle aurait surement fait une autre carrière. J'ai été deux fois présélectionné pour les Jeux Olympiques mais je pense qu'elle aurait pu les faire. Maintenant, c'était ma jument, j'en avais acheté une partie et je l'avais méritée. »

La seconde partie est à retrouver ici