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“Se qualifier pour les Jeux olympiques de Paris est un rêve pour l’Ukraine”, Alisa Danilova

Interviews vendredi 25 novembre 2022 Mélina Massias

À Vilamoura, le week-end dernier, la victoire de la France n’a pas été le seul événement marquant de l’ultime Coupe des nations de la saison. En effet, l’Ukraine, qui présentait pour la première fois depuis de longues années une équipe dans une compétition collective, est parvenue à se hisser en deuxième manche. Mieux encore, l’une de ses représentantes a signé un double clear round plein d’espoir. Alisa Danilova, vingt-huit ans, a tiré son escouade vers le haut grâce à sa géniale Cossinelle, qu’elle ne monte sur la scène internationale que depuis cet été. Grâce à cette jeune et prometteuse jument, la jeune femme peut nourir de grands espoirs pour l’avenir. Et alors que la situation géo-politique ne semble pas s’améliorer dans son pays, l’amazone, passée par les écuries du sulfureux Oleksandr Onyshchenko, garde le cap en se tournant vers l’avenir, qu’elle espère radieux pour sa nation et la nouvelle génération de cavaliers qui émerge. Sans éluder la moindre question, celle qui a posé ses valises en Belgique et gère MZ Sporthorses aux côtés de son fiancé, l’olympique Mouda Zeyada, qui lui prodigue également de précieux conseils chaque jour, évoque notamment sa rencontre avec Cossinelle, ses ambitions futures, le renouveau de son équipe et la terrible actualité qui frappe son pays.

Le week-end dernier, au CSIO 3* de Vilamoura, vous avez réalisé l’un des quatre seuls doubles zéro de la dernière Coupe des nations de l’année. Comment avez-vous vécu cette performance ?

C’est évidemment super spécial. Tout d’abord, je suis ravie de ma jument. Elle est très jeune et affrontait ce niveau pour la première fois de sa vie. Ensuite, c’était la première fois que l’Ukraine disputait une Coupe des nations avec une équipe aussi jeune. Je sais que ces cavaliers, qui sont aussi mes amis, ont tous gravi les échelons grâce à leur travail acharné. C’était formidable. J’espérais vraiment faire un bon concours, mais je ne m’attendais pas à de tels résultats. Je n’y crois toujours pas ! (rires) Je suis vraiment heureuse. Cela apporte un peu de lumière à nos journées face à la situation que connaît notre pays.

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Votre complice, Cossinelle (Cascadello I x Quebec), n’a que neuf ans. Comment l’avez-vous rencontrée ?

C’est une très belle histoire. Je connais la propriétaire de Cossinelle (Yelyzaveta Demchenko, ndlr) depuis quelques années. Je l’aidais avec sa jument lorsque cette dernière avait cinq ans et qu’elles venaient aux Pays-Bas. Ensuite, elle est restée en Ukraine et a évolué de son côté. Yelyzaveta a rejoint nos écuries en début d’année pour s’entraîner. Après quelques mois, elle a décidé de changer, en quelques sortes, ses priorités. Elle a choisi d'arrêter de monter et m’a confié sa jument afin que je continue à la former. Ainsi, j’ai commencé à l’emmener en concours cet été et à prendre part à des épreuves de plus en plus importantes. À chaque parcours Cossinelle s’est bonifiée. Cela ne fait que quelques mois que je la monte, mais la vitesse à laquelle elle a progressé, et la confiance qu’elle a montrée en se confrontant directement à un tel niveau est incroyable. C’est chouette d’avoir connu cette jument lorsqu’elle avait cinq ans, et de l’avoir retrouvée quatre ans plus tard.

L'un des deux parcours parfaits d'Alisa Danilova et Cossinelle dans la Coupe des nations de Vilamoura.

Quel va être l’avenir de Cossinelle ? Allez-vous pouvoir la conserver sous votre selle ou est-elle destinée au commerce ?

J’espère pouvoir la garder. J’ai vraiment le sentiment qu’elle peut cocher toutes les cases. Je me sens bien avec elle et j’ai confiance en elle. Avec un peu de chance, nous pourrons poursuivre notre progression l’année prochaine. Je suis certaine qu’elle ira encore plus haut. Je n’ai pas eu de cheval en mesure d'affronter le haut niveau ces dernières années, alors, je suis ravie de pouvoir prendre part à des épreuves un peu plus conséquentes, et notamment aux Coupes des nations. Ce genre de concours donne vraiment envie de réussir pour les prochaines années.

Avez-vous d’autres chevaux, qui sont ou seront capables d’épauler Cossinelle au niveau 3*, voire plus ?

Dans le futur, oui, à coup sûr. Pour l’instant, mes chevaux sont jeunes. J’ai un super piquet, mais ils ont cinq, six ou sept ans. Cela demande toujours beaucoup de patience pour les amener à ce niveau.

Le jeune Chaccoon's Life PS en action. © Sportfot

“Mon pays a un grand objectif : essayer d’obtenir sa qualification pour les Jeux olympiques de Paris”

À quoi a ressemblé votre parcours équestre, avant de choisir la Belgique pour poser vos valises, aux côtés de votre fiancé, l’Egyptien Mouda Zeyada ?

Je suis née dans une famille impliquée dans l’univers équestre. Mon père a pratiqué le concours complet à haut niveau. Depuis que j’ai commencé à marcher, j’ai toujours été à cheval. Vraiment tout le temps ! À partir de mes quinze ans, j’ai commencé à sortir un peu de mon pays. J’ai été épaulée par une écurie qui m’a beaucoup aidée et m'a permis de m’entraîner à l’étranger. Je suis ainsi venue aux Pays-Bas et en Allemagne à seize ans. Par la suite, en 2018, j’ai bénéficié du soutien d’un sponsor ukrainien. J’ai commencé à quitter mon pays, d’abord quelques mois, puis de plus en plus longtemps. Désormais, je me sens très bien ici. Par conséquent, lorsque j’ai dû faire un choix, je suis restée en Europe. J'ai alors bénéficié des conseils du champion olympique néerlandais Piet Raijmakers. Il est toujours à mes côtés et me soutient tout le temps, encore aujourd’hui. Il m’appelle régulièrement, pour me féliciter ou me dire quoi faire (rires). Mouda, de son côté, m'aide au quotidien en gardant un œil sur mon travail à pieds. Son regard est très important. Je travaille dur pour notre écurie, MZ Horses, que nous gérons ensemble. Tous mes efforts m’ont conduit où j’en suis aujourd’hui.

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Vous avez disputé plusieurs championnats d’Europe, en Junior, Jeunes Cavaliers, mais aussi en Séniors, en 2017, à Göteborg. Qu’avez-vous retenu de ces expériences ?

J’ai beaucoup appris, notamment parce ces événements ne sont pas juste des concours. Il y a l’esprit d’équipe et beaucoup de responsabilités nous incombent concernant notre pays. C’est totalement différent des autres compétitions. J’ai d’abord appris la motivation. La première fois que l’on participe à un championnat, on est si nerveux, on ne veut tellement pas laisser tomber ses coéquipiers, qu’on finit presque par avoir du mal à sauter ! (rires) J’ai pris part à six championnats, un peu plus importants d’une année à l’autre. Le week-end dernier, pour la Coupe des nations de Vilamoura, je savais comment gérer l’aspect mental. J’ai beaucoup appris, mais cela me paraît loin maintenant ! Pendant quelques années, je n’ai pas disputé de belles épreuves, puisque je n’avais pas les chevaux pour. Alors, j’ai un peu eu l’impression de tout recommencer dimanche.

Alisa aux championnats d'Europe 2017, aux rênes de Dinero de Laubry. © Sportfot

Quelles ambitions nourrissez-vous pour l’avenir ?

Mon pays a un grand objectif : essayer d’obtenir sa qualification pour les Jeux olympiques de Paris. Cela se jouera l’an prochain. C’est un rêve pour l’Ukraine. Si je conserve ma jument et que tout se passe bien, je ferai de mon mieux pour aider l’équipe. Cossinelle me semble suffisamment solide pour essayer de participer aux championnats d’Europe l’an prochain. J’ai obtenu la moitié des qualifications nécessaires en étant double sans-faute à Vilamoura. Cela veut dire que je peux travailler là-dessus, faire de bons concours en début d’année et essayer de finir le travail. Ce serait une énorme marche d’atteinte et une super chose à accomplir. Nous n’avons pas la possibilité d’intégrer de nouveaux chevaux ou cavaliers à notre collectif. Il ne nous reste plus qu’à travailler pour atteindre nos objectifs. Je tiens vraiment à faire de mon mieux pour rendre mon pays fier et montrer notre drapeau autant que possible. Si tout va bien, voilà ce que j’aimerai faire en 2023.

“Nous avons vraiment envie de prendre part à plus de Coupes des nations”

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Y’a-t-il des personnes, qui pratiquent ou non l’équitation, qui vous inspirent ?

À chaque fois que je regarde un grand championnat, il y a évidemment des cavaliers qui m’inspirent beaucoup. J’admire toujours les cavaliers qui travaillent dur. Je n’ai pas vraiment de noms à citer tant ils sont nombreux ! De nombreuses personnes autour de moi se donnent beaucoup de mal dans leur sport et c’est la seule façon dont on peut atteindre le très haut niveau. Voir tous ces grands cavaliers me donne envie de travailler encore plus dur. Parfois, on fait un bon concours au niveau 3*, comme ce fut mon cas le week-end dernier. J’en suis très heureuse et j’ai l’impression d’avoir fait beaucoup, mais il faut répéter cela tous les week-ends pour faire partie du haut du panier ! (rires) Cela me motive à faire toujours plus.

Alisa et l'étalon Heartbeat S. © Sportfot

En dehors des chevaux et de votre sport, avez-vous d’autres passions ?

Pour être honnête, pas vraiment. Nous gérons une grande écurie en Belgique et je suis responsable de beaucoup de choses, de l’organisation, aux personnes qui nous entourent, en passant par les chevaux et même les camions. Alors, je suis occupée ! Dès que j’ai une heure de libre, je ne fais rien ou regarde un film. Mon travail est vraiment ma passion, même s’il me prend tout mon temps. Comme on dit “choisis un métier que tu aimes et tu n'auras pas à travailler un seul jour de ta vie”.

À Vilamoura, l’Ukraine a présenté pour la première fois depuis longtemps une équipe en Coupe des nations. Mieux encore, votre escouade a réussi à se qualifier pour la seconde manche ! Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Je souhaite tellement que nous puissions en faire davantage à partir de maintenant ! Nous avons la chance d’avoir de bonnes personnes, qui sont capables de le faire et vont continuer à s’améliorer. Cela veut tout dire. C’est un sentiment fantastique. À l’époque, nous avions une équipe très forte, mais beaucoup de cavaliers - allemands, brésiliens, etc - avaient changé de nationalité pour représenter l’Ukraine. Je faisais partie de ce collectif, mais je n’avais pas le même sentiment d’appartenance. Ce n’était pas vraiment mon pays. Désormais, tout est bien différent. À Vilamoura, nous n’avons peut-être pas tous performé aussi bien que nous l’aurions aimé, mais l’ambiance était géniale. Se soutenir, s’entraider et essayer de progresser pour les fois suivantes est super. C’est une vraie motivation pour les prochaines années, parce que nous avons vraiment envie de prendre part à plus de Coupes des nations et j’attends cela avec impatience !

Alisa et Cossinelle à Peelbergen, un peu plus tôt cette année. © Sportfot

“On ne s’attend pas à vivre de telles choses à notre époque”

Par le passé, l’Ukraine était surtout portée par l’influence de l’oligarque Oleksandr Onyshchenko, pour qui de nombreux cavaliers, à l’image de Grégory Wathelet, Katarina Offel ou Cassio Rivietti, ont changé de nationalité. Depuis son départ soudain, pour diverses affaires sulfureuses, à quel point a-t-il été difficile de reconstruire une équipe ?

Ces cavaliers, qui ont changé de nationalité, font leur vie de leur côté. Ils n’ont d’ailleurs pas tous repris leur passeport d’origine et certains défendent encore le drapeau ukrainien. Cependant, ils ne sont plus en contact avec l’équipe nationale. Onyshchenko a, en effet, quitté l’Ukraine. Il a été d’un vrai grand soutien pendant une période, puis il s’est un peu désintéressé. C’était un peu comme s’il n’aidait pas les jeunes cavaliers. Il continuait d’apporter son soutien à l’équipe première, donc nous avions un collectif fort et prêt à gagner, mais notre sport n’a pas vraiment grandi. Ce que nous faisons aujourd’hui est davantage dans l’objectif de nous développer et tourné vers la jeunesse. Anastasia Bondarieva, qui faisait partie de l’équipe à Vilamoura, n’a que dix-neuf ans. Nous faisons de plus petits pas vers l’avant, mais je crois qu’ils dureront pour la vie. Dans quelques années, nous aurons notre propre équipe compétitive. Notre fédération nous soutient énormément et certains fonds qu’elle a mis en place souhaitent nous voir en piste pour aider avec la situation que traverse notre pays. Ils tiennent vraiment à nous voir sur le devant de la scène, afin que nous puissions montrer que nous sommes forts. Je crois que c’est le chemin à emprunter pour bâtir quelque chose pour le futur. Lorsqu’Onyschenko est parti, tout est parti. Il y a bien sûr différentes façons de voir les choses, mais le jour où il a quitté l’Ukraine, nous n’avions plus d’équipe ni de chevaux.

Alisa Danilova, ici aux Européens Longines de Göteborg en 2017. © Sportfot

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En somme, il est parti en ne vous laissant rien, ou presque et aucune ressource…

Il n’est pas parti de son propre chef. Il avait ses propres affaires et des conflits politiques à régler, mais, au final, lorsqu’il s’est éclipsé, nous avions toujours de bons cavaliers sur le papier. J’ai travaillé pour lui pendant deux ans et demi. Il m’a fait prendre beaucoup d’expérience et j’ai pu participé à de chouettes concours pendant cette période. Je suis devenue une cavalière plus forte et aguerrie grâce à cela, mais je suis la seule à avoir bénéficié de cet apport. Je suis la seule à me sentir en mesure d’aider un peu mes coéquipiers sur le plan mental. Les autres cavaliers de cette époque sont juste retournés chacun de leur côté et c’est tout.

Finalement, le problème majeur a été l’absence de formation de la relève…

Il avait vraiment envie de conduire l’Ukraine au plus haut niveau, mais, malheureusement il n’a pas pu continuer ce qu’il avait entrepris. Un jour, tout s’est arrêté. Nous, en tant qu’Ukrainiens, et y compris les jeunes cavaliers, avons stagné au niveau qui était le nôtre. Désormais, j’espère que nous allons pouvoir progresser. C’était une idée formidable et le moment idéal pour nous relancer à Vilamoura. Nous avons pu mettre sur pied une équipe, avec des chevaux capables d’évoluer, et ce de bonne manière, à ce niveau. C’était la dernière Coupe des nations de l’année ; désormais, nous sommes tous très motivés pour l’an prochain.

L'Ukraine en sortie de piste à Vilamoura. © Vilamoura Equestrian Tour

Ce retour de l’équipe d’Ukraine de saut d’obstacles intervient dans une période on ne peut plus triste pour votre pays, assailli par les forces armées russe dans une guerre entamée le 24 février dernier, soit il y a neuf mois. D’un point de vue plus personnel, comment vivez-vous ces événements ?

Nous n’avons pas l’impression que les choses s'améliorent pour notre pays… En réalité, je crois que la situation se dégrade chaque jour. Le fait d’aider l’Ukraine, d’une façon ou d’une autre, est un sentiment positif. À Vilamoura, nous avions des logos sur nos tenues pour mettre en avant le fonds ukrainien qui se mobilise contre la guerre. Cela permet de leur offrir un peu de visibilité et d’attirer d’autres soutiens. Nous sommes heureux de pouvoir faire cela et contribuer à cette cause à notre façon. Je reçois chaque jour des appels de mes parents qui me disent que tout ne fait qu’empirer. Cela me désole de ne pas pouvoir rentrer à la maison. Les vacances approchent et personne ne pourra retrouver ses proches… Je n’ai pas l’impression que la fin de tout cela soit proche. On ne s’attend pas à vivre de telles choses à notre époque, mais nous gardons malgré tout espoir. Chaque jour, nous croisons les doigts pour recevoir un coup de téléphone nous annonçant que tout est fini. Je suis sûre que ce jour arrivera. En attendant, nous faisons notre maximum pour aider quiconque en a besoin. Malheureusement, le pays est tellement grand qu’il est impossible d’agir pour tout le monde, et tout le monde ne peut pas s’enfuir. C’est vraiment triste, mais c’est la réalité à laquelle nous sommes confrontés ces derniers temps.

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Photo à la Une : Alisa Danilova et Cossinelle. © Sportfot