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“Sans les éleveurs, nous ne sommes rien”, Maikel van der Vleuten (2/2)

Maikel
Interviews jeudi 7 décembre 2023 Mélina Massias

Grâce, notamment, à son fidèle et si généreux Beauville, Maikel van der Vleuten a connu une nouvelle saison de rêve en 2023, auréolée d’une deuxième place au classement général du Longines Global Champions Tour, de dix classements et une victoire en Grands Prix 5*. Si les Pays-Bas se sont montrés moins solides et redoutables collectivement qu’il y a quelques années, le Néerlandais dresse un bilan positif de ses derniers mois. Dix-huitième meilleur cavalier du monde en novembre, le médaillé de bronze des Jeux de Tokyo et des Mondiaux de Herning s’est prêté au jeu des questions-réponses lors du CHI d’Equita Lyon. Au menu, le décryptage d’une partie de son piquet de chevaux, dont fait partie le très prometteur O’Bailey vh Brouwershof, neuf ans seulement, l'évocation de la situation de son escouade nationale, des nouvelles du fabuleux Verdi et de la jeune retraitée Dana Blue, mais aussi un mot pour les indispensables grooms, qui œuvrent chaque jour au plus près des cavaliers. Second volet.

La première partie de cette interview est à (re)lire ici.

Comment se porte Elwikke (Eldorado vd Zeshoek x Quick Star), auteure d’une très bonne année 2022 et écartée des terrains internationaux entre fin janvier et début septembre 2023 ?

Malheureusement, Elwikke s’est blessée en janvier dernier. Ce n’était pas une blessure très grave, mais elle était située à un endroit à risque. Elle a donc été au repos pendant la moitié de l’année. Après de telles périodes de convalescence, les chevaux perdent tous leurs muscles. Il faut donc tout reprendre, étape par étape. C’est ce que nous avons fait, en l’emmenant d’abord sur quelques concours nationaux, puis en l’engageant dans un CSI 1*. Mi-octobre, elle a retrouvé le niveau 2* et s’est classée troisième du Grand Prix. Elle va aller à Maastricht, pour le CSI 4*, puis elle devrait être prête pour la Coupe du monde de Madrid (Elwikke a finalement pris part aux épreuves intermédiaires du CSI 5*-W de Madrid, avec deux classements en deux épreuves à 1,45m courues, ndlr). Elle est en tout cas sur la bonne voie et est une jument fantastique. Elle a obtenu plein de classements et signé beaucoup de sans-faute l’an dernier.

La toute bonne Elwikke devrait retrouver son meilleur niveau dans peu de temps. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Parmi vos plus jeunes montures, sur lesquelles fondez-vous le plus d’espoirs ?

Je n’ai pas de huit ans dans mon piquet, donc, à côté de mon groupe de chevaux de haut niveau, je monte actuellement un cheval de cinq ans, un de six (Horizontal, Casall x Quick Star, ndlr) et un de sept (Kentucky TMS, Kannan x Toulon, ndlr). Ce sont tous de bons chevaux, avec du potentiel, mais je ne peux pas juger de ce qu’ils feront à l’avenir. Ce sont assurément des chevaux dotés d’un bon mental, mais on ne peut pas dire jusqu’où ils iront. C’était pareil pour Elwikke ; sa qualité n’a jamais été une question, mais le niveau qu’ils atteignent ensuite est toujours une forme de surprise. Avec certains types de chevaux, on peut se faire une idée. Avec O’Bailey, par exemple, on pouvait voir lorsqu’il était jeune qu’il était puissant et qu’il serait en mesure d’affronter de gros parcours. Avec ces trois jeunes en question, je ne sais pas encore. La seule chose dont je suis sûr, c’est qu’ils sont talentueux. On verra jusqu’où ils vont !

Kentucky TMS fait partie de la jeune garde que forme Maikel van der Vleuten. © Sportfot



“Mon frère fait du très bon travail avec nos jeunes chevaux”

Comment fonctionne votre système, au sein duquel vous évoluez en famille, entouré de votre frère et de votre père, notamment ?

Normalement, nous n’avons aucun cheval de moins de quatre ans au sein de nos écuries principales. Ils sont dans une autre structure. Après quatre ans, mon frère commence à les monter. Il fait du très bon travail et les éduque très bien. Nous donnons sa chance à chaque cheval, puis prenons une décision. Certains sont parfois vendus, tandis que d’autres me rejoignent lorsqu’ils ont six ou sept ans. En parallèle, mon frère a en ce moment deux montures avec lesquelles il peut évoluer à un niveau un peu plus élevé. Fin octobre, il a pris part à son cinquième Grand Prix 3* à Leeuwarden, le deuxième à 1,55m. Quant à mon père, il est aux écuries tous les jours. Il nous aide à l’entraînement et monte certains chevaux. Il enseigne davantage depuis qu’il a plus de temps pour cette activité, qu’il s’agisse de nos stagiaires ou de personnes extérieures qui viennent profiter de ses conseils. C’est chouette que nous puissions faire cela ensemble, en famille. On peut faire beaucoup de choses nous-mêmes, ce qui est toujours appréciable. 

En retrait du haut niveau depuis quelques mois, Eric van der Vleuten est toujours un rouage essentiel de la réussite de son fils aîné, Maikel. © Hippo Foto / Dirk Caremans

La saison prochaine, l’historique circuit des Coupes des nations de la Fédération équestre internationale (FEI) fera peau neuve. Quel regard portez-vous sur les changements qui lui seront apportés ?

Attendons de voir ce que cela donne. Il y a un peu moins d’étapes, dont certaines sont aussi plus loin géographiquement parlant, de l’autre côté de l’Atlantique. Cela sera plus fatiguant pour les chevaux qui devront faire le voyage. Je crois que les dotations financières ont aussi été revues à la hausse. Cela peut être une bonne chose.

“Avec le nombre important de concours, la gestion devient ardue”

Que pensez-vous de la proportion entre les étapes du Longines Global Champions Tour (LGCT) et du circuit des Coupes des nations ? Cela vous semble-t-il équilibré ?

En réalité, il y a trop de concours tout court. D’un autre côté, cela permet aussi d’offrir des opportunités à davantage de cavaliers. De plus, il n’est écrit nulle part que l’on doit participer à tous les concours chaque week-end. Au bout du compte, on établit son propre plan pour ses chevaux. Malgré tout, cela reste difficile. Dans mon cas, et dans celui de mes collègues qui figurent en bonne position au classement mondial, on reçoit des invitations de tous les concours. Nos chefs d’équipe ont aussi besoin de nous pour les Coupes des nations. De ce fait, la gestion devient ardue. Il faut alors choisir quel cheval participera à quel concours, mais ce n’est pas simple. On a envie d’en faire autant que possible, mais jamais trop, parce qu’il faut garder les chevaux en forme et heureux.

Cette saison, l'excellent Beauville, doublé médaillé de bronze à Tokyo et Herning, s'est concentré sur le circuit du Longines Global Champions Tour. © Sportfot

Faudrait-il inventer un nouveau label, ou ajouter une sixième étoile aux concours les plus prestigieux afin de les distinguer des autres ?

Je ne sais pas ce qui serait le mieux… Je sais simplement qu’en tant que cavalier, il faut faire attention. Le risque d'en faire trop est grand. Lorsqu’on est dans le rythme, on a envie de concourir, de gagner. Mais il faut anticiper les blessures ! (rires) Avec le temps, on sait quels concours conviennent à quels chevaux. Je sais par exemple que Beauville doit beaucoup s’employer sur les parcours les plus importants. Après deux ou trois épreuves à 1,60m, il a besoin de redescendre d’un cran. O’Bailey, lui, n’a pas besoin de fournir autant d’efforts. Il peut donc enchaîner un peu plus de grands concours. Il faut connaître ses chevaux et savoir à quel moment prendre un peu de recul, avant que quelque chose ne tourne mal. C’est ce qui est le plus difficile, mais aussi ce qui peut faire la différence.

Luigi d'Eclipse est un excellent atout du piquet du Néerlandais. © Sportfot



Verdi est en très belle condition physique

Impossible de ne pas prendre des nouvelles de votre star, Verdi (né Van Quidam, Quidam de Revel x Landgraf I). Comment se porte-t-il ?

Je dois dire que je suis très heureux de son état en ce moment ! Je ne le vois pas très souvent, mais je reçois très régulièrement de ses nouvelles et de nombreuses photos. J’ai par exemple une superbe photo de lui, dans son pré, avec son épais poil d’hiver. C’est un vrai roi. Il est stationné chez la famille Nijhof, au nord des Pays-Bas, ce qui est assez loin de chez moi. Verdi aura vingt-deux ans en 2024 et est très demandé à l’élevage. Je crois qu’il fait environ quatre cents juments par an. Mais ses membres restent très secs, et son physique ne se dégrade pas. On voit souvent les chevaux retraités perdre tous leurs muscles et avoir le dos creusé, mais ce n’est pas du tout son cas ! Il est en très belle condition.

Du haut de ses vingt et un printemps, Verdi TN se porte comme un charme selon son ancien cavalier. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Quid de Dana Blue (Mr Blue x Hemmingway), dont vous aviez annoncé la retraite prématurée en 2022 ?

Elle est effectivement retraitée. Nous avons eu ce malheureux accident il y a quelques années. Dana Blue avait repris l’entraînement et son opération s’était parfaitement déroulée, mais nous n’avons pas pu la retrouver en pleine forme. Elle avait ressauté sous la selle, mais je n’étais pas entièrement satisfait. Elle est toujours chez nous et est gestante. Nous avons déjà deux poulains d’elle, un par Verdi évidemment, qui a désormais un an et présente un beau modèle. Ensuite, nous l’avons croisée avec mon jeune de six ans dont j’ai parlé précédemment. C’est un fils de Casall avec de bonnes origines (Horizontal est un Selle Français né au haras de Croize pour le compte de la famille Tops et est un fils de Mel d’Argences, ancienne gloire d’Edwina Tops-Alexander issue de la souche de Girondine, d’où pléthore d’excellents chevaux, à commencer par Almé, ndlr). Dana Blue est actuellement pleine d’O’Bailey. 

Après avoir subi une grave blessure, Dana Blue se consacre désormais à l'élevage. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Porte-t-elle ses poulains elle-même ou avez-vous recours au transfert d’embryon ?

Pour la première fois cette année, elle porte son poulain elle-même. Ce n’était pas le cas des deux premiers (nés chez Maikel van der Vleuten, Dana Blue ayant engendré un premier produit à quatre ans, en 2012, ndlr), car nous avions un peu peur de le faire en raison de sa blessure au genou. Mais nous avons reçu le feu vert pour la laisser mener à bien sa gestation par elle-même.

Vous intéressez-vous à l’élevage ?

Je suis plus concentré sur le sport, si je peux le dire ainsi. Mais depuis que nous avons quelques poulinières à nous, j’essaye de m’impliquer un peu plus dans ce domaine. J’essaye de suivre cela autant que possible. C’est parfois difficile, car je suis très pris par les concours et l’entraînement et ce qui concerne l’élevage ne se déroule pas directement dans notre écurie principale.

Le jeune Horizontal a été choisi pour Dana Blue. © Sportfot



“Les grooms travaillent toute la journée du dimanche, puis doivent prendre le volant pour rentrer… c’est dangereux” 

Sans les éleveurs, les sports équestres n’existeraient pas. Que pourrait-on imaginer pour leur offrir davantage de reconnaissance ?

C’est difficile… Aux Pays-Bas, on essaye toujours de penser aux éleveurs. Si un cheval gagne quelque chose ou s’il y a une cérémonie d’adieux, on essaye de les impliquer autant que possible. Le fait est qu’on ne sait pas toujours qui sont les éleveurs de tels ou tels chevaux. Dans le cas de Beauville, son éleveur m’a contacté, mais en général, lorsqu’on récupère un cheval de cinq ou six ans, on n’a aucune idée de qui l’a fait naître. C’est parfois difficile d’entrer en contact avec ces personnes-là. Mais sans les éleveurs, nous ne sommes rien. C’est la réalité. On doit faire en sorte qu’ils restent heureux.

Le crack Beauville est né aux Pays-Bas, chez Pascal Habets, puis a effectué une partie de sa formation en France. © Sportfot

Autres acteurs de l’ombre et pourtant indispensables à la performance des cavaliers, les grooms travaillent sans relâche, plus encore durant la saison indoor qui impliquent de très longues journées. Qu’est-ce qui pourrait être fait pour améliorer leurs conditions de travail ?

Ce matin, j’étais à cheval à 5h30 et les épreuves nous n’aurons pas fini avant 23 heures ce soir. Il devrait y avoir une limite de temps. Je crois qu’il y en a une, mais elle est fixée trop tardivement. Je sais que les organisateurs doivent aussi penser aux spectateurs, et qu’ils doivent programmer des épreuves en soirées, mais le dimanche, tout devrait être terminé à 16 heures, 17 heures maximum. De cette façon, tout le monde pourrait rentrer tranquillement le soir, cavalier comme groom. Le dimanche matin, les grooms doivent se lever. La veille, l’épreuve peut finir à 23 heures. Il faut compter deux heures pour qu’ils aient fini de s’occuper des chevaux et vont donc se coucher à 1h30, avant de se lever de nouveau à 7 heures pour nourrir les chevaux… Ils travaillent toute la journée du dimanche, puis doivent prendre le volant pour rentrer… C’est dangereux. Les cavaliers peuvent soumettre des rapports à la Fédération équestre internationale (FEI), et nous essayons de mentionner ces choses-là. Je comprends les organisateurs ; ils ont des contraintes et essayent de faire tout leur possible pour attirer un maximum de cavaliers, mais les journées en deviennent de plus en plus longues.

Indispensables à la réussite des couples cavaliers-chevaux, les grooms travaillent sans relâche. © Sportfot

Photo à la Une : Maikel van der Vleuten, le poing serré aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021. © Dirk Caremans / Hippo Foto