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Rodrigo Pessoa, la construction d’une légende

Baloubet
Interviews mercredi 17 janvier 2024 Mélina Massias

Dans sa série “le jour où”, Studforlife propose recueille les témoignages des acteurs du saut d’obstacles mondial. Qu’ils soient groom, cavalier, éleveur ou propriétaire, tous ont vécu des journées marquantes, en bien comme en mal. Quelles émotions ont-ils vécues ? Comment ont-ils rebondi après un échec ? Comment ont-ils appréhendé une gloire nouvelle, la retraite du cheval de leur vie ? Eléments de réponses à travers des souvenirs impérissables.

À tout juste cinquante-deux ans, Rodrigo Pessoa est déjà une légende. Issu d’une famille célèbre, son père, Nelson Pessoa, étant l’un des cavaliers les plus doués de sa génération, le Brésilien a bâti sa carrière dès son plus jeune âge, brillant au début des années 90, tantôt avec Special Envoy, tantôt avec Tomboy et Baloubet du Rouet, triple vainqueur de la finale de la Coupe du monde et médaillé d’or aux Jeux olympiques d’Athènes, en 2004. Vingt ans après son sacre, obtenu à la suite de la disqualification de Cian O’Connor, l’Auriverde, né dans l’Oise, à Chantilly, en 1972, est encore en mesure d’étoffer son très riche palmarès. Pourquoi pas avec une nouvelle médaille olympique, cet été à Versailles ? Avant cela, il se replonge dans trois moments qui ont marqué sa mémoire et sa carrière.

Rodrigo Pessoa, roi de l'Olympe en 2004. © Dirk Caremans / Hippo Foto



Aix-la-Chapelle : le Graal

1994. Le jeune Rodrigo Pessoa n’a pas encore soufflé sa vingt-deuxième bougie qu’il inscrit son nom, et celui de son complice d’alors, Special Envoy, en lettres d’or sur le mur des gagnants du prestigieux Grand Prix du CHIO 5* d’Aix-la-Chapelle, le plus mythique de tous les concours de la planète équestre. 

“Gagner le Grand Prix d’Aix-la-Chapelle a été phénoménal. Ce concours est vraiment La Mecque du concours hippique. Ma première participation a eu lieu en 1990. Il m’a fallu cinq tentatives pour m’imposer. J’ai déjà pris part au barrage du Grand Prix en 1990, 1991 et 1992. J’étais de nouveau là en 1994 et je ne voulais vraiment pas laisser passer l’opportunité. Special Envoy était un cheval très, très à l’aise sur les grandes pistes et sur ce terrain en particulier. À l’époque, il y avait beaucoup de soubassements et on pouvait aller vraiment vite, puisqu’il se reculait naturellement. Notre victoire a été un jour très spécial. J’ai surtout ressenti le soulagement d’avoir réussi à gagner un Grand Prix si prestigieux, malgré mon jeune âge. Le barrage avait été particulièrement disputé cette année-là, puisqu’il y avait eu neuf ou dix barragistes. Special Envoy avait remporté le Prix de l’Europe quelques jours plus tôt et était en très bonne forme. Il excellait toujours à Aix-la-Chapelle. C’était un cheval très intelligent. Plus il fallait aller vite, plus il aimait cela. Surtout, il se surpassait lorsqu’il y avait beaucoup d’ambiance, comme à Aix. Beaucoup de chevaux sont plus timides en entrant sur une telle piste. C’était d’ailleurs le cas de Baloubet ; Aix ne lui a jamais trop réussi le dimanche. Il a souvent bien sauté le mercredi et le jeudi, mais le dimanche n’était pas son jour. Il craignait l’atmosphère, là où Special Envoy se bonnifiait toujours dans ces conditions.”

Né en 1980, en Irlande, Special Envoy était un fils du réputé King of Diamonds. Née chez la bien connue famille Hughes, le grand alezan débute sa carrière avec Marion Hughes, avant d’atteindre le très haut niveau avec Heidi Hauri Robbiani. L’Helvète le confie ensuite aux Pessoa. Sous la selle de Nelson, Special Envoy termine neuf et deuxième des finales de la Coupe du monde de 1989 et 1991, avant de participer à la médaille d’or du Brésil aux Jeux panaméricains de 1995. Neuvième des Jeux olympiques de Barcelone avec lui, Special Envoy remporte ses plus beaux Grands Prix avec Rodrigo. Outre Aix-la-Chapelle, tous deux mettent la main sur le Majeur de Genève, en fin d’année 1993, avant de triompher à Aix, quelques mois plus tard, et avant de réaliser de belles performances aux Mondiaux. Special Envoy s’est éteint en 2010, du haut de ses trente ans.



Une médaille collective à la saveur particulière

Quelques années après sa consécration individuelle au milieu du stade équestre de la Soers, Rodrigo Pessoa contribue grandement à une médaille de bronze plus que savoureuse pour le clan brésilien. Aux Jeux olympiques d’Atlanta, en 1996, le jeune Auriverde montre déjà qu’il fait partie des plus grands, cette fois en compagnie de Tomboy, un autre fleuron de l’élevage de l’île d’Emeraude. 

“Nous ne sommes pas un pays traditionnellement connu pour gagner des médailles olympiques. À Atlanta, c’était la première fois que nous étions si proches du podium et si performants. L’obligation de faire un sans-faute, pour décider de la médaille, m’est revenue. C’étaient évidemment beaucoup de responsabilités, mais cela a été un moment incroyable pour nous tous. Remporter une médaille olympique n’est pas donné à tout le monde. C’était vraiment spécial, encore plus car nous formions un groupe très uni. Nous avons reproduit notre performance quatre ans plus tard, mais la première fois reste marquante et procure beaucoup d’émotions.” 

Véritable guerrier, l’atypique Tomboy, qui avait chuté d’un pont de deux mètres de haut chez son ancien propriétaire, s’est éteint en 2004, à trente et un ans. Son accident lui avait laissé un style de saut complètement surprenant, ses antérieurs restant légèrement pendant au-dessus des obstacles. Outre l’historique première médaille olympique du clan brésilien, Tomboy était également de l’équipe médaillée d’or aux Panaméricains de Buenos Air un an plus tôt, et terminait, entre autres, septième de la finale de la Coupe du monde de Genève, en 1996.

À Sydney, une désillusion formatrice

Dans la carrière d’un sportif, d’autant plus lorsqu’elle est aussi longue et fournie que celle de Rodrigo Pessoa, les hauts n’existent pas sans les bas. Lucide et clairvoyant, le plus français des Brésiliens a su tirer les bonnes leçons de ses (rares) échecs, comme celui survenu un jour de septembre 2000, juste après avoir décroché le bronze par équipe. En compagnie du célébrissime Baloubet du Rouet, étalon Selle Français aussi talentueux dans le sport qu’à l’élevage, où sa descendance continue encore de briller près d’un quart de siècle plus tard, le fils du légendaire Nelson Pessoa a vu toutes ses chances s’envoler, alors qu’il convoitait le titre suprême.

Baloubet du Rouet et Rodrigo Pessoa à Athènes en 2000. © Scoopdyga



“Parmi les moments les plus difficiles de ma carrière, il y a la finale individuelle des Jeux olympiques de Sydney. Baloubet était dans une très grande forme. Il était le favori pour le titre individuel et venait de signer un sans-faute le matin même. Il ne nous restait qu’un parcours à boucler pour gagner, mais, malheureusement, nous avons été éliminés après trois désobéissances sur un obstacle. C’était vraiment inexplicable. Il n’y avait rien de particulier. Nous avons vécu le contraire de ce à quoi nous nous attendions. Mais cela fait malheureusement partie du jeu et il n’y a pas grand-chose que l’on puisse faire, pas d’explications à trouver. C’était un jour noir, mais nous avons grandi après cela. C’était une bonne leçon, une leçon humaine un peu dure. Certaines personnes rebondissent après de tels événements, d’autres non. Il faut essayer de tirer le positif et de travailler. Quatre ans plus tard, nous sommes revenus et avons remporté une médaille d’argent, transformée en or sur tapis (après la disqualification de Cian O’Connor, ndlr). Si on ne voit pas le positif dans ce genre de moment, cela peut causer des dégâts importants. Il faut revenir, se relever. Ce qui compte n’est pas le nombre de fois où l’on tombe, mais comment on se relève. Les plus grands champions le disent et je crois que c’est vraiment cela qui fait la différence : se relever, regarder de l’avant et pousser. Il n’y a rien d’autre à faire.”

Depuis ce coup du sort, aussi inattendu que formateur, le jeune Rodrigo en a parcouru, du chemin. Désormais solidement ancré dans la légende de sa discipline, le Brésilien pour tenter de remporter et célébrer une deuxième médaille d’or olympique, cet été à Paris, en compagnie d’un autre alezan, Major Tom, né Nielsdaka vd Rhamdia Hoeve.

Après Special Envoy, Tomboy ou encore Baloubet du Rouet, Major Tom semble être le nouveau crack du Brésilien. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Photo à la Une : Rodrigo Pessoa et Baloubet du Rouet en action. © Dirk Caremans / Hippo Foto