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Quels soins apporter au cheval de haut niveau ?

Sponsorisé mardi 11 août 2020

La « Question du mois » se penche cette fois-ci sur les problématiques qui se cachent derrière les soins apportés aux chevaux de haut niveau. Comment un programme de soins adapté dès la naissance d’un cheval constitue la clé de voûte d’une carrière à haut niveau ? Nous avons donné la parole à deux experts : Sylvie Baldeck , éleveuse, ostéopathe, gérante d’un centre de balnéothérapie, et Aurélien LEONARD, vétérinaire en CSI 5*.

Sylvie BALDECK : « Lorsque l’on évoque les soins, on doit faire attention à bien délimiter ce dont on parle. Je vais ici me concentrer sur le parcours de soins optimal dont doit, à mon sens, bénéficier un cheval de haut niveau si l’on veut que sa carrière perdure le plus possible. Je vais le scinder en différentes étapes clés, en partant de la conception du poulain et aux soins dont la mère a bénéficié durant sa gestation pour terminer sur l’entretien d’un cheval de haut niveau. Je considère en effet que les soins constituent un tout. La nutrition, notamment, doit être au cœur de ceux-ci. Un cheval qui a souffert de carences alimentaires durant sa jeunesse va garder des séquelles physiques tout au long de sa vie et rien ne pourra rattraper les pathologies développées durant cette période. Il faut donc soigner la qualité des pâturages des poulinières et la quantité de nourriture qu’on leur donne afin que les fœtus ne manquent de rien. On peut aussi privilégier certains aliments, comme le panais par exemple qui évite la malformation des fœtus.

La première étape clé dans le parcours de soins a lieu entre zéro et trois ans. Il faut accorder une importance particulière à la nourriture, saine et équilibrée. Il faut veiller à ce que l’alimentation ne soit pas trop riche car le trop est l’ennemi du bien. À la maison, j’accorde beaucoup d’importance à la qualité de mes pâturages. Je privilégie la phytothérapie et les nutriments sans engrais car j’ai déjà vu mourir des chevaux à cause d’herbes saturées d’engrais chimiques. Je laisse à disposition dans les pâtures un certain nombre de plantes, comme le saule (aspirine) ou le noisetier (qui facilite la circulation du sang) afin que mes chevaux puissent aller se servir lorsqu’ils en ressentent la nécessité. Instinctivement, ils vont aller vers ce dont ils ont besoin. Jusqu’à trois ans, je les laisse dans les pâtures le plus possible ; on a constaté une amélioration de l’ordre de cinquante pour-cent au niveau de la croissance, osseuse et musculaire, si les chevaux sont mis en extérieur dans des conditions optimales. J’entends par là des champs avec des sols stables afin d’éviter des entorses ou des engorgements des muscles ainsi qu’une nourriture adaptée aux efforts qu’ils fournissent. On a en effet calculé qu’ils marchaient énormément ; rien que la nuit, ils parcourent environ dix-sept kilomètres. Les chevaux, ayant un instinct de proie, sont constamment en activité. Il faut donc les alimenter en conséquence. J’ai constaté que mes chevaux ne sont presque jamais malades lorsqu’ils grandissent dehors dans ces conditions. J’ai notamment divisé par deux mes frais de vétérinaires depuis que je pratique ainsi. Le cheval est un animal qui doit lutter l’hiver, marcher pour se développer et permettre à son système sanguin de se faire. Cette méthode permet d’éviter toutes les pathologies de chevaux qui ont une mauvaise circulation sanguine, notamment les microtraumatismes osseux et musculaires. Il faut savoir qu’un cheval est constitué à quatre-vingts pour-cent de liquide, ce qui fait autant de tissu mou dans le corps. Il faut donc qu’il bouge beaucoup. Cette méthode, qui respecte sa croissance, est à mon sens salvatrice pour sa santé.

Avant trois ans, on constate qu’environ trente-cinq pour-cent des chevaux ne sont plus droits à cause de glissades ou de chutes survenues souvent dans l’hiver qui a précédé. Les luxations sont souvent la cause de cette asymétrie chronique. Au sein de mes écuries, en Normandie, nous disposons d’un atout considérable, qui a d’ailleurs motivé notre choix de nous installer ici, à savoir le bord de mer avec les prés nichés dans les dunes. Les chevaux ne glissent pas et peuvent ainsi marcher et galoper à l’envie. Nous avons la chance de pouvoir bénéficier des marais dans nos prés une partie de l’année ; ils jouent un rôle essentiel car ils rendent l’herbe riche en oligo-éléments. Cet environnement est le secret de grand-mère des grands éleveurs normands car il assure longévité et bonne santé aux chevaux. En prenant le temps, on obtient avec ces conditions des résultats exceptionnels. Bien élevés, les chevaux n’auront pas de carence, la qualité de leurs os sera nettement plus élevée que celle dont les chevaux ont eu une croissance accélérée. Malheureusement, il y a un certain nombre d’éleveurs qui se précipitent pour préparer leurs chevaux dès l’âge de trois ans, ce qui explique le taux important de chevaux refusés aux visites d’achat dès la visite vétérinaire. Le dérèglement de la croissance chez un jeune cheval peut coûter très cher (problème organique terrible, aplombs médiocres). J’insiste sur le fait que l’élevage est un vrai savoir-faire, qui requiert de solides compétences. Il est primordial d’avoir une croissance harmonieuse de l’équidé si l’on veut que les bases soient saines.

À partir de trois ans et jusqu’à six ans commence une nouvelle étape clé. Cette phase est celle de la détection d’un cheval athlète. Pour se faire, on étudie trois paramètres essentiels : la santé, le mental et le physique. On se concentre en premier lieu sur la santé, on regarde notamment si le cheval a une bonne circulation sanguine. En temps qu’athlète, il va connaitre de multiples traumas dans sa carrière. S’il a une bonne circulation du sang, cela va se réparer beaucoup plus facilement, tant au niveau des os que des tissus mous. Si sa santé est médiocre, sa carrière est terminée avant même d’avoir commencé. On regarde ensuite la réactivité, la tonicité et le dynamisme. Puis on étudie le mental, la volonté et on regarde si le cheval a l’énergie nécessaire pour enchaîner les efforts. Les conditions d’élevage vont ici jouer un rôle essentiel. Si le cheval a souffert de différents traumas durant cette période, il va avoir peur de se faire mal et anticiper. Il ne se livrera donc jamais complètement. Or le système actuel nécessite d’avoir des montures avec des ressources conséquentes.

Si le cheval a toutes les qualités requises, on va alors déterminer quel comportement il a par rapport à l’inconnu. Un cheval sensible est handicapé pour faire carrière : lorsque l’on est athlète on est sans cesse confronté à des éléments extérieurs qu’on ne maîtrise pas et qui ne sont pas toujours connus à l’avance. Entre trois et sept ans, on va aussi tester le rapport à l’échec du cheval afin de voir comment il va réagir. Il faut respecter les périodes de croissance, très fortes entre quatre et six ans. On privilégie le travail en liberté, qu’il sache marcher au pas, on muscle le dos en travaillant les abdominaux car, à cet âge-ci il y a de nombreuses tensions au niveau du dos. On se focalise sur cela jusqu’à cinq ans sans s’occuper de l’équilibre, qui viendra après. On ne s’occupe pas de le mettre sur les hanches avant cinq ans car il ne peut pas mécaniquement. J’insiste bien sur le fait que cinq ans est l’âge crucial, c’est la période où la croissance est la plus exacerbée, la plus douloureuse. De ce fait, la gestion de cette période est capitale. On ne peut pas faire de l’intensif cette année-là quand on veut faire quelque chose de bien. En outre, si le dos n’a pas été fait entre trois et six ans c’est très compliqué à récupérer par la suite. On contrôle donc régulièrement pour vérifier que tout va bien. Si cela ne va pas bien, on pré-contrôle, on remet le cheval au champ pendant deux-trois semaines afin de le laisser grandir tranquillement. On refait un bilan à l’issue de cette pause et on ne recommence le travail que si tous les voyants sont au vert. À cet âge, le cheval a souvent de violentes poussées de croissance osseuse, on privilégie donc le travail abdominal pour rallonger le dos et ainsi soulager le cheval. On évite de travailler sur des spasmes musculaires, qui constituent une soupape de sécurité destinée à protéger les muscles, car cela créerait une chaîne lésionnelle (sciatique) avec laquelle le cheval devrait vivre le restant de ses jours. Afin d’éviter cela à l’issue du travail, je laisse systématiquement mes chevaux dans un rond avec du sable afin qu’ils puissent se rouler. Les spasmes disparaissent avec les roulades. Il faut garder en tête que si l’on force, on casse le cheval. Il faut donc être à l’écoute en permanence. Étant ostéopathe, je fais systématiquement un suivi mensuel de tous les chevaux de l’écurie. C’est important d’avoir une révision organique et mécanique régulière car un athlète est plus susceptible de rencontrer des problèmes donc un suivi est essentiel. J’accorde la même importance aux autres spécialistes comme le dentiste, le maréchal, le vétérinaire ou le nutritionniste. Si j’ai un doute, je vais chercher des réponses auprès de personnes qualifiées.

Enfin, de sept ans à dix ans commence la dernière étape clé. À partir de cette septième année, je commence aussi à travailler le mental. La croissance d’un cheval étant terminée, je vais me concentrer sur la confiance qu’il peut avoir en lui-même et en son cavalier. Ce travail est primordial. Je vais étudier la façon dont il va récupérer des voyages et des situations stressantes : intégrer le haut niveau nécessite la construction d’un mental en acier. Sept ans est une période charnière car on a à faire à un adolescent, il est perturbé mentalement. Il faut donc le gérer intellectuellement, ne pas lui tirer dessus, ne pas le forcer afin qu’il ne vive pas de mauvaise expérience susceptible d’avoir des conséquences néfastes pour la suite de sa carrière. À huit ans, on va pouvoir commencer à demander plus au cheval, il va pouvoir commencer à sauter plus gros, à tourner, à jouer. Il faut néanmoins faire attention de ne pas tout lui demander jusqu’à sa dixième année. À partir de cet âge, il suffit de travailler le physique et le moral du cheval entre deux concours et lui donner le repos nécessaire lorsqu’il en a besoin. Avec mes chevaux, je privilégie la phytothérapie, l’algothérapie, les soins de balnéothérapie, le travail en mer séquentiel (boulet, genou, poitrail) et le travail cardio sur la plage. Cet entretien musculaire permet notamment d’éviter de l’user prématurément car dix minutes à marcher dans l’eau équivalent à deux heures de travail en carrière.

Les trois phases que je viens de décrire correspondent selon moi à la méthode la plus appropriée pour construire un cheval de haut niveau afin qu’il fasse du cinq étoiles jusqu’à dix-huit ans. Il est pour moi évident qu’un programme de soins adapté est un facteur hautement discriminant pour la vie, la santé et la carrière d’un cheval. Il faut savoir qu’un tel parcours pour un équidé coûte en temps et en argent. Or, de nos jours, le temps et l’argent constituent le nerf de la guerre. Prendre son temps coûte de l’argent. Lorsqu’on le fait, on parie sur l’avenir. Il faut donc se focaliser sur ce que l’on veut faire d’un cheval et agir en conséquence. »

Aurélien LEONARD, vétérinaire : « Établir un protocole de travail et de soins en adéquation avec un bilan vétérinaire très régulier préétabli est, selon moi, la meilleure manière d’élever et de faire vieillir au mieux un cheval destiné au grand sport. Il est important d’effectuer des check-up réguliers afin de gérer au mieux le capital santé d’un cheval et, ce, dès sa naissance. En effet, la santé d’un équidé peut être compromise dès ses premières semaines de vie. Il faut donc être vigilant. En matière de protocole de soins, je privilégie trois thématiques majeures. La première concerne la gestion des aplombs et de la maréchalerie. Je commence par celle-ci car la maréchalerie est un terme qui véhicule aujourd’hui certaines images peu représentatives de la réalité. Une ferrure bien adaptée présente des propriétés bio mécaniques intéressantes qui peuvent permettre de gérer au mieux certaines pathologies du cheval et surtout limiter leur évolution et améliorer leur tolérance clinique. Elle peut notamment se révéler très utile lorsque les segments osseux ne sont pas alignés particulièrement sur de jeunes individus de manière à éviter ou limiter le développement d’une arthrose précoce. Une ferrure de qualité peut aussi apporter un certain confort au cheval ou être utilisée dans un rôle plus préventif. Je précise qu’il faut, à chaque fois, faire du cas par cas en fonction de l’examen clinique, l’usage des fers n’étant pas utile à tous les chevaux.

La deuxième thématique à laquelle j’accorde beaucoup d’importance concerne l’alimentation. Elle doit être saine, raisonnée et adaptée aux besoins de chaque équidé. Cela permet d’éviter les écueils de carence ou d’excès, tous deux délétères pour la croissance de ce dernier. Il faut veiller à atteindre l’équilibre phosphocalcique, nécessaire au bon développement du squelette et des muscles en apportant un cocktail d’oligo-éléments adapté aux besoins. J’insiste sur ce point car il est compliqué de récupérer des anomalies de développement générées par des carences ou des excès alimentaires. Nous ne pouvons que rarement intervenir une fois l’ossification achevée.

Enfin, le troisième et dernier axe majeur concerne la croissance. Il faut veiller à la respecter afin qu’elle se fasse au rythme naturel. Mal maîtrisée, elle peut être à l’origine de maladies telles que l’épiphysite (maladie inflammatoire liée à la croissance rapide des os), le syndrome de Wobbler (compression de la moelle épinière qui entraîne des troubles neurologiques) ou encore l’ostéochondrose (anomalie de la croissance de l’os et du cartilage avec une composante alimentaire impliquée). Je dirai que le temps est la principale clé de voûte d’un bon programme de soins. Il faut respecter le rythme de croissance musculaire et articulaire d’un cheval. Si on le brusque, on risque de générer des anomalies et de les trainer sur du long terme. En tant que vétérinaire, j’ai pu constater que les chevaux de course présentent de nombreuses pathologies liées à une croissance accélérée et à une activité très précoce. En privilégiant le court terme, on hypothèque leur capital santé sur le moyen et le long terme. L’exploitation des chevaux de sport étant plus tardive, ce genre de problèmes est moins répandu. Il m’est cependant déjà arrivé de constater des similitudes avec des chevaux ayant participé de manière intensive aux cycles Jeunes Chevaux. Ce formidable outil est intéressant lorsqu’il est utilisé à bon escient, c’est à dire avec parcimonie. Lorsque ce n’est pas le cas, le capital ostéoarticulaire du cheval est prématurément usé, ce qui, à moyen terme, engendre diverses pathologies.

Les trois axes précédemment évoqués constituent, selon moi, l’ossature d’un bon programme de soins. Ils doivent tous être envisagés selon un seul et même leitmotiv : anticiper, prévoir et planifier. C’est une question de gestion et de dosage. On gère le capital santé du cheval afin de lui éviter trop de pathologies, les pires à gérer étant les lésions d’ordre tendineuse et ligamentaire. Ces cas sont les plus problématiques car ils impliquent une restriction d’activité voire un repos complet qui n’est, en général, guère propice à la carrière d’un cheval. Or aujourd’hui, on constate que ces cas sont beaucoup plus nombreux. La recherche de la performance génère en effet de nombreux problèmes ligamentaires et tendineux, notamment au niveau de l’appareil suspenseur du boulet qui est fortement sollicité. La fermeté et la réactivité des terrains de concours est une des raisons qui explique ce phénomène. Contrairement aux blessures articulaires qui elles peuvent se gérer à l’aide d’anti-inflammatoires ou de thérapies cellulaires, les lésions tendineuses vont souvent être multiples et plus délicates à soigner. Une mauvais prise en charge ou trop tardive va rendre le cheval plus algique et il va avoir tendance à anticiper la douleur et ainsi moins se donner sur les parcours. De par leur fréquence de répétition, certaines blessures présentent un réel challenge dans la prise en charge. Dans certaines situations, elles peuvent être amplifiées par la présence d’autres pathologies, les plus compliquées à soigner étant celles dites contradictoires. Elles nécessitent, en effet, des protocoles de soins opposés. Ces situations délicates requièrent une approche particulière. On doit souvent apprécier comment les chevaux réagissent et adapter les soins car la solution unique n’existe pas. Chaque cheval a une manière de réagir qui lui est propre, il faut s’adapter sans cesse. Cette médecine, plus empirique, permet de faire du sur-mesure afin d’aider au mieux l’équidé à revenir à son meilleur niveau.

Pour conclure, je dirai que la performance d’un programme de soins est aujourd’hui multifactorielle. Il faut axer sur la prévention et le dépistage en amont en effectuant un check up régulier avec éventuellement de l’imagerie médicale et combiner cela à une gestion adaptée associant le choix de la ferrure, le choix du sol ou encore l’élaboration d’un programme de travail adapté. Il est évident qu’un plateau technique de qualité à disposition permet de mieux faire vieillir les chevaux. Pour des raisons économiques, on voit parfois des aberrations, au sein des écuries mais aussi en concours, où l’objectif est parfois clairement de pallier provisoirement un problème et non de le régler. Le vétérinaire doit parfois s’adapter pour mettre le cheval dans un confort pseudo transitoire le temps des épreuves. Pour des raisons éthiques évidentes, cette gestion du capital santé d’un cheval n’est pas satisfaisante car elle témoigne de faiblesses en amont. »

Propos recueillis par Manon LE COROLLER. Photo à la Une : © Sportfot.com