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Quelles sont les difficultés pour organiser un concours durant la pandémie ?

Sponsorisé mercredi 11 novembre 2020 Oriane Grandjean

Si organiser un concours en temps de Covid paraît presque insurmontable, nous avons voulu prendre le pouls auprès de deux organisateurs, l’un ayant pu maintenir ses compétitions et l’autre ayant dû se résoudre à annuler. La parole est donnée à Laurens Meynaerts, manager du complexe équestre de Sentower Park à Opglabbeek, ainsi qu’à Sophie Mottu Morel, directrice du CHI de Genève pour cette nouvelle question du mois.

Laurens Meynaerts - Sentower Park

Du côté de Sentower Park, à Opglabbeek en Belgique, de nombreux CSI 2* et 3* ont déjà pu être organisés cette année et certains sont encore au programme en cette fin d’année. Laurens Meynaerts nous en explique les raisons : « C’est bien entendu plus facile pour organiser des concours avec des infrastructures existantes, comme c’est le cas pour nous. Si on a les autorisations pour un concours, on peut le mettre sur pied en à peine deux jours. Ça aide beaucoup. C’est un net avantage dans la situation actuelle. Mais je ne pense pas pour autant que les concours comme le nôtre vont remplacer les CSI 5* qui se déroulent dans des lieux éphémères. Prenez les étapes du Global Champions Tour, comme à Miami, c’est vraiment exceptionnel !

On a du prendre la décision de disputer nos épreuves sans spectateurs. Evidemment, c’est vraiment triste car on essaye de créer une atmosphère festive et agréable pour les cavaliers. Nous voulons que lorsqu’ils sont en concours ici, à Sentower Park, ils passent un bon moment. Mais à l’heure actuelle, le simple fait qu’ils puissent sauter est déjà important. Si l’absence de public est frustrante, nous sommes satisfaits de pouvoir au moins faire cela pour les cavaliers. Dans de nombreux pays, ce n’est même plus possible. Nous nous sentons investis d’une certaine mission : organiser malgré toutes les difficultés actuelles des concours pour les cavaliers. Il faut que notre sport puisse continuer.

Même si les spectateurs ne sont pas admis, on a essayé de développer le live-streaming, ce qui permet à tous de suivre le concours. On travaille avec Clipmyhorse et Equipe pour les résultats, c’est un programme très professionnel. On peut donc vraiment tout suivre en live. Il faut toutefois admettre que ce n’est pas facile financièrement d’organiser des concours dans de telles conditions. On a bien sûr des partenaires qui nous aident, mais cela ne nous permet pas de faire des investissements pour améliorer nos infrastructures. Les entrées financières sont donc seulement constituées des engagements des cavaliers et de l’aide des sponsors. On peut encore tenir quelques mois ainsi et payer tous nos frais, mais ce n’est pas l’idéal, et ce sera délicat de maintenir ce fonctionnement sur le long terme.

On a eu la chance de pouvoir garder tout notre personnel, nous n’avons pas eu besoin de licencier, même si ce n’est pas facile. Par contre, puisque l’on a dû annuler plusieurs de nos concours, certaines personnes qui travaillent à l’occasion de ces manifestations se sont retrouvées sans travail, comme les chefs de piste, les juges, tous ces gens de l’ombre qui participent au bon fonctionnement de la manifestation. Sans oublier l’impact dans la région, pour les hôtels notamment, les supermarchés, les stations d’essence, il y a beaucoup de pertes dans tous les domaines. Les CSI 5* ont été les plus touchés parce que cela représente un budget dix fois plus important qu’un 2* ou 3*. Si notre but est d’organiser un jour un CSI 5*, ce ne sera certainement pas dans la situation actuelle. Ce n’est pas le meilleur moment ! Par contre, il faut reconnaître qu’on a eu un plateau incroyable de cavaliers dernièrement. Le podium du week-end début novembre est phénoménal : Marcus Ehning devant Kevin Staut et Jeroen Dubbeldam. C’est incroyable. Cela nous met du baume au cœur d’avoir une telle participation, parce que même un CSI 3* n’est pas facile à organiser durant cette période. »

Sophie Mottu Morel - CHI de Genève

Tous les yeux, en cette fin d’année, étaient rivés sur le CHI de Genève. Alors que les annulations tombaient les unes après les autres, les organisateurs du mythique concours genevois avaient tenté de relever le défi. Malgré tous les efforts, la deuxième vague de la pandémie n’a pas laissé d’autre choix aux Suisses que celui de jeter l’éponge.

« Quand Genève est passé à nouveau en semi-confinement, que les autorités ont demandé aux gens de rester chez eux, de limiter les interactions, de faire du télétravail, on s’est demandé comment nous pouvions justifier de mettre autant de monde sous le même toit. Entre les officiels, les techniciens, les bénévoles, les cavaliers, les grooms, l’infirmerie, le comité, on aurait été entre 300 et 400 personnes. C’est à ce moment qu’on s’est dit qu’on ne pouvait plus maintenir le concours. »

Avant l’annulation, le CHI de Genève avait élaboré plusieurs scénarios, envisageant des variantes en effectifs réduits, voire en huis-clos : « Quand on a décidé de maintenir notre manifestation avec moins de ou sans spectateurs, on a dû informer les personnes qui avaient déjà acheté des billets, qui avaient réservé des tables, ainsi que les membres du jockey club. On a dû leur proposer le remboursement de ce qu’ils avaient déjà payé.

Cela aurait aussi eu un impact sur le village des exposants, qui n’aurait pas eu lieu d’être, tout en représentant une grande perte pour Palexpo, en le privant de toute sa zone restauration. Et au-delà de cela, nous avons passé des jours à refaire nos plans de protection pour suivre l’évolution du contexte, avec des mesures de sécurité, un contrôle à l’entrée, des marquages au sol ou des panneaux de signalisation, à chaque fois en fonction du nombre de spectateurs. A chaque scénario, nous devions repenser les budgets… »

Mais ce n’est pas tout. Même en faisant le pari du huis-clos, l’organisation du CHI de Genève prenait le risque que la manifestation soit interdite du jour au lendemain : « L’une des grosses inquiétudes que l’on avait aussi était que la manifestation pouvait être annulée jusqu’au dernier moment, voire même jusqu’au dimanche. On aurait pu nous annoncer le samedi que la manifestation devait s’arrêter. On était toutefois prêts à cette éventualité. »

Le CHI de Genève est depuis toujours cité comme le concours par excellence, notamment pour son ambiance unique. Une édition sans public aurait-elle fait sens ? « Evidemment, cela aurait été un tout autre concours, pas le CHI qu’on a l’habitude de voir, mais on mettait un point d’honneur à organiser un concours pour les cavaliers, pour qu’ils puissent monter leur chevaux en piste. Notre ADN, c’est d’organiser un événement sportif. On essaie d’y ajouter de la fête et du rêve, mais le sport prime. Et visiblement, les bénévoles aussi étaient prêts à cela puisque lorsqu’on a ouvert les inscriptions, il y a eu un engouement avec plus de 400 demandes très vite. On sentait que les gens voulaient être de la fête quoi qu’il arrive. C’était très encourageant, au même titre que la terrasse des hospitalités qui était déjà pleine, ou que la billetterie. Dès son ouverture, beaucoup d’entrées ont été vendues alors que d’habitude, les gens attendent un peu plus. »

Et les sponsors ? « On a d’abord dû consulter nos sponsors pour savoir s’ils étaient d’accord de nous suivre sur les différents scénarios : avec plus de 1000 personnes, à moins de 1000, à huis-clos... Tous nous ont suivi. On a revu les contrats, parce que la visibilité n’est bien sûr pas la même en cas de huis-clos, on a été en contact au quotidien avec eux. C’est très encourageant de s’entendre dire : « Cette année, on est là et on sera là l’année prochaine, on ne vous lâche pas. » Tous étaient contents qu’on ait tout tenté, nous ont remerciés d’avoir répondu à leurs demandes et à leurs inquiétudes. Et certains ont même déjà prolongé les contrats. Ils ont vu aussi que de notre côté, nous étions conscients qu’ils traversaient la même crise que nous. »

Gérer tout le staff avec autant d’incertitudes n’est pas une mince affaire : « On avait cet enthousiasme de se dire : « Allez, on y va », mais en même temps une inquiétude qui nous freinait. Il y a des jours où on y croyait et des jours où on doutait. Un jour, on fait des plans de protection et on voit tout ce qu’il reste à faire et cela semble insurmontable, mais on trouve l’énergie pour continuer. Cela ressemblait à des montagnes russes. Notre rôle, à Alban Poudret, directeur sportif, Michel Sorg et à moi, c‘est de motiver les troupes. On doit leur montrer qu’on est là et qu’on y croit. Dans le comité, il y avait des gens qui étaient inquiets, et à juste titre, mais il faut leur dire que ça va aller. Ce n’est pas évident, quand toi-même tu as passé la journée à inventer des stratégies de protection, de trouver la motivation pour leur redonner la confiance. C’est un aspect qui m’a pris beaucoup d’énergie. »

Cette pandémie met à mal toute la filière du cheval, mais les CSI 5* ont presque tous été annulés, alors que des CSI 2*, 3* et 4* ont tout de même pu se dérouler. « Effectivement, ce sont surtout les 5* qui ont été annulés. De plus, en indoor, il ne faut pas oublier qu’on arrive dans des halles vides, où l’on doit tout monter, tout créer pour un évènement qui dure quatre jours. Les infrastructures représentent un coût gigantesque, c’est la moitié de notre budget. Il y a aussi plus de prize-money, mais ce prize-money, ce sont nos sponsors qui nous les donnent et eux aussi ont eu une année plus difficile. Les 5* sont soumis à des règlements qui sont plus lourds que ceux d’un CSI 2* ou 3*. Nous n’avons pas de frais d’inscriptions, qui nous permettraient de récupérer de l’argent, nous devons offrir l’hôtel à tous les cavaliers et meneurs. Ce sont de petites choses, mais mises bout à bout, cela représente beaucoup. »

Si l’annulation n’a pas été évidente, Sophie Mottu Morel affirme que tous les signaux sont au vert pour l’édition 2021 : « On espère une édition 2021 encore plus belle. On a évidemment une petite frustration de ne pas avoir pu faire ce concours 2020 donc l’année prochaine on va se donner encore plus à fond. En espérant naturellement qu’en 2021 on reviendra à une vie plus normale. Quand on voit tous les concours de début d’année qui ont déjà été annulés, on se pose des questions. On ne pensait pas que cela durerait jusqu’à aujourd’hui. Mais je ne pense pas que l’on pourra interdire les événements encore pendant longtemps. Il y a un autre élément à prendre en compte dans notre décision, c’est qu’un grand nombre de nos prestataires vit de l’événementiel. Après leur enthousiasme lorsque nous avons annoncé en septembre que nous tenterions de le faire, ils ont été attristés quand on a annulé. Et ça, c’est dur ! Il y a Palexpo, mais aussi Skynight, chargé de la sonorisation et des light shows, Mathys qui supervise la construction de nos stands, Jaquet pour la piste, Nüssli pour la construction de nos tribunes, mais aussi Supervision qui est en charge des écrans géants, le chronométrage,… Il y a un nombre incalculable d’entreprises avec lesquelles on travaille. Et il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas eu d’autres événements pour eux cette année non plus. Nous n’aurions pas pu sauver totalement leur année, mais grâce au CHIG, ils auraient tout de même eu une entrée financière. Chez nous, les collaborateurs vont devoir passer en RHT (réduction d’horaire de travail). Pour la société de manière générale, cela représente des coûts gigantesques. Si je ne remets bien évidemment pas en question l’importance de la protection de la population, les pertes économiques liées à la crise, aussi bien dans l’événementiel que dans les loisirs, les hôtels ou dans tant d’autres secteurs seront désastreuses. Je ne sais pas comment on va se relever de ça. »

Photo à la Une : Julien Counet