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Quand indoor rime avec journées interminables pour les irremplaçables grooms (1/3)

Louise Barraud en entrée de piste avec King Edward.
Sport vendredi 5 mai 2023 Mélina Massias

L’hiver est fini, et les courtes nuits des grooms aussi. Cette saison, l’inquiétude a grandi chez les bonnes fées des chevaux, qui ont élevé la voix pour dénoncer des conditions difficiles, voire intenables. Arpentant l’Europe d’un bout à l’autre, accumulant la fatigue faute de temps de sommeil suffisant, les soigneurs tentent de défendre leur cause tant bien que mal. Bonne nouvelle, les organisateurs de concours semblent sensibles à leurs requêtes et prêts à faire leur possible pour tendre vers un avenir plus viable. Premier épisode.

Le dénouement de la quarante-troisième finale de la Coupe du monde, début avril, à Omaha, a sonné la fin de la saison des compétitions indoors. Et avec elle nombre des petites mains qui s'affairent en coulisses pour prendre le plus grand soin des chevaux ont sans doute poussé un petit ouf de soulagement. Si la reconnaissance de l’importance des grooms, maillon essentiel et indispensable au sport, surtout à haut niveau, semble progresser - lentement -, difficile d’en dire autant de leurs conditions de travail, notamment lors de la période hivernale, où il n’est pas rare de voir des épreuves s’achever à 22, 23 heures ou plus. Mais, une fois les tribunes vidées et les spectateurs de retour dans leur lit douillet, les soigneurs, eux, s’activent en coulisse, souvent jusqu’à des heures avancées de la nuit, pour s’assurer que leurs protégés récupèrent au mieux. 

En indoor en particulier, les journées des grooms ressemblent souvent à des marathons interminables. © Mélina Massias

“Nous sommes humains. Nous avons besoin de manger et de terminer nos journées à un horaire raisonnable. Je ne pense pas que quiconque ait envie de commencer sa journée à 7 heures du matin le jeudi et l’achever le vendredi à 2 heures dans la nuit ! Les gens n’ont plus envie d’exercer ce métier pour cette raison”, lance Sean Lynch, bras droit de l’Allemand Daniel Deusser depuis neuf ans déjà et grand artisan des multiples succès de son cavalier. “Je ne crois pas que le sport puisse exister sans des gens comme nous, sans la personne à côté d’Henrik von Eckermann, sans la personne à côté de Daniel Deusser, de Simon Delestre, etc. Lorsqu’on regarde ces grands cavaliers, ils travaillent avec le ou la même groom depuis des années. Il y a une raison à cela. Et aujourd’hui, cette profession est en train de s’éteindre. J’ai la chance de faire partie d’une équipe fidèle, mais il y a des écuries qui ne cessent de lancer des recherches pour des nouveaux grooms. Lors des événements indoors, il y a toujours de nouveaux visages, parce que les grooms vont à un concours un week-end, puis enchaînent avec un autre où ils doivent s’occuper de six chevaux. Ils ne finissent pas avant minuit et doivent être debout à 6 heures le matin suivant pour l’épreuve de 8 heures. Les gens commencent à réfléchir davantage à la situation.” Et Audrey Morandat, bonne fée des montures de Simon Delestre, d’acquiescer en ce sens : “Peut-être que certaines personnes pensent que nous ne sommes pas indispensables, mais le jour où il n’y a plus de grooms, ce qui est en train d’arriver, les sports hippiques n’iront pas très loin. Je vois mal un cavalier de très haut niveau s’occuper du transport de son cheval, gérer l’alimentation, les soins avant et après l’épreuve, et monter à cheval, tout en restant concentré sur son parcours. Si nous sommes là aujourd’hui, c’est que les cavaliers ont besoin de nous pour être focus sur leurs performances. En nous considérant comme des petites pièces du puzzle, les organisateurs mettent à mal notre métier. Cela ne donne pas envie aux futures générations d’être groom.”

Heureux de pratiquer leur métier, les soigneurs se réjouissent toujours d'une belle performance, récompense de leur travail de l'ombre. © Mélina Massias




“Les siestes peuvent être plus longues que les nuits”

Au premier rang des doléances des grooms : les horaires invivables. Tous s’accordent sur ce point sensible. En plein week-end de concours, les journées commencent à l’aube, afin de garantir aux chevaux une sortie avant les premières épreuves, d’assurer un temps de digestion suffisant pour leur premier repas de la journée, et de prodiguer d’éventuels soins, puis les épreuves et autres remises des prix s’enchaînent, jusque tard dans la nuit. “En plus de ne pas être respectueux pour nous, les grooms, cela ne l’est pas non plus pour le bien-être animal, sujet sur lequel les organisateurs sont censés être plus qu’à cheval. Lorsque les warm-up débutent à 5 heures du matin, et que l’on finit rarement avant minuit le soir, les siestes peuvent être plus longues que les nuits ! Ce n’est ni normal pour nous, ni pour nos chevaux. L’énergie ne vient pas en claquant des doigts. Nous avons besoin de dormir un minimum. Pour rappel, le sommeil est quelque chose de vital. Par exemple, il m’arrive de finir les soins des chevaux à 1h30. Et, lorsqu’il faut être aux écuries à 6h30, voire plus tôt pour certains, cela n’est pas tenable. Cela décale complètement le rythme des chevaux. On fait tellement de choses pour leur bien-être et on leur demande déjà tellement qu’on peut leur octroyer un supplément pour se poser”, appuie Audrey. “Après les épreuves, lorsqu’on s’occupe de nos protégés, les vigiles viennent nous avertir qu’ils vont éteindre les lumières. Ils ont ordre de le faire à une certaine heure, mais nous n’avons généralement pas achevé notre journée. Il m’est arrivé de terminer dans le noir, parce qu’il est inconcevable et hors de question pour moi d’aller dormir si mes chevaux n’ont pas bénéficier de tous leurs soins.” Et Sean d’abonder en ce sens : “Je ne trouve pas cela correct qu’une remise des prix finisse à minuit. Après cela, nous avons encore deux heures de travail, et souvent une épreuve avant 10 heures le lendemain matin. Nous devons être aux boxes en amont, pour nourrir, retirer les bandes des chevaux qui ont sauté la veille, s’assurer que tout aille bien pour eux, etc. Et puis, une fois le week-end de compétition achevé, il faut encore conduire pour rentrer à la maison, puis repartir la semaine suivante vers une nouvelle destination. À un moment donné, cela devient dangereux. Je m’organise généralement pour faire une étape lorsque cela est nécessaire, parce que nous n’avons pas à nous tuer à la tâche chaque semaine. Nous allons de Oslo à Helsinki, d’Helsinki à Lyon, d’Amsterdam à Bordeaux. Au bout du compte, cela fait beaucoup. Et à chaque fois, des épreuves sont programmées très tard dans la journée, et ce sans raison.” 

Bien qu'ils ne puissent pas résoudre tous les problèmes évoqués, les organisateurs de concours semblent de plus en plus conscients de l'importance des grooms. © Mélina Massias



En janvier dernier, le Britannique, toujours enclin à défendre son sport et son métier, a dénoncé les horaires intenables du circuit hivernal sur ses réseaux sociaux, où plus de dix mille personnes suivent ses aventures. L’ange gardien de Tobago et Killer Queen a non seulement pris les devants pour ouvrir les débats pour le saut d’obstacles, mais aussi pour ses collègues engagés dans d’autres disciplines, qu’il s’agisse du concours complet ou de l’attelage, pour qui certaines épreuves ont commencé particulièrement tard la saison dernière, parfois 23 heures. “Qui s’amuse lors d’épreuves qui commencent à cette heure-là ? Même pour les diffuseurs, cela ne me semble pas intéressant. Qui regarde la compétition aussi tard ? Pourquoi ne pas programmer une épreuve de jumping à 18 heures le samedi, et celle d’attelage à 21 heures, par exemple ? Les gens peuvent toujours regarder. J’aime l’attelage, je trouve qu’il s’agit d’une chouette discipline, mais il n’y a aucune chance pour que je regarde à 23 heures”, poursuit Sean.

Souvent pour une question économique, de nombreuses épreuves sont programmées en soirée lors de la période hivernale. © Mélina Massias

“Il est nécessaire de faire quelque chose au niveau des horaires. Soit les concours proposent plus de pistes, afin que tout le monde puisse monter à sa convenance, soit il faut trancher entre toutes les catégories et disciplines proposées. Sinon, il faut faire tourner les épreuves. Le public vient pour les épreuves majeures, nous le savons, mais derrière, ce sont les chevaux, les grooms et les cavaliers qui en pâtissent et accumulent la fatigue. Les grooms de haut niveau, et notamment ceux qui arpentent les terrains 5*, traversent l’Europe toutes les semaines. Nous sommes sur les rotules. C’est un danger supplémentaire pour nous d’être sur la route avec toute cette fatigue accumulée. S’il nous arrive quelque chose, nous l’aurons sur la conscience. Je ne parle pas de prendre des vacances, mais simplement d’avoir des horaires plus normaux, plus humains”, renchérit Audrey.

Derrière chaque grand cheval, se trouve une équipe dévouée. © Mélina Massias



Trouver l’équilibre

Engagé tant auprès des organisateurs et des grooms, le Belge Peter Bollen, également à l’origine d’une grande marque d’aliments équin, entend ces préoccupations. “Nous devons effectivement être plus critiques envers le programme pour les grooms. Nous prenons toujours la perspective des cavaliers, mais il faut savoir que lorsqu’une épreuve s’achève à minuit, les grooms ont encore au bas mot une heure de travail. Petit à petit, cela devient plus clair dans l’esprit des organisateurs”, assure-t-il. “Oui, en indoor les épreuves principales se déroulent le soir. Ce sera toujours tard pour les grooms, mais on peut faire en sorte de commencer un peu moins tard. Certaines choses ne changeront pas et il ne faut pas s’attendre à ce que les épreuves soient finies à 18 heures en indoor. Le public ne vient que le soir sur ces événements. À l’extérieur, la situation est totalement différente.”

Lors de la saison extérieure, les horaires et contraintes des petites mains de l'ombre sont bien différentes. © Mélina Massias

Photo à la Une : Toujours au plus près de leurs protégés, à toute heure du jour et de la nuit, les grooms pâtissent des horaires infernaux imposés par le circuit hivernal. © Mélina Massias

La deuxième et avant-dernière partie de cet article est disponible ici.