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“Nous devons continuer de sensibiliser les organisateurs de concours à la cause des grooms”, Peter Bollen (3/3)

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Sport dimanche 7 mai 2023 Mélina Massias

L’hiver est fini, et les courtes nuits des grooms aussi. Cette saison, l’inquiétude a grandi chez les bonnes fées des chevaux, qui ont élevé la voix pour dénoncer des conditions difficiles, voire intenables. Arpentant l’Europe d’un bout à l’autre, accumulant la fatigue faute de temps de sommeil suffisant, les soigneurs tentent de défendre leur cause tant bien que mal. Bonne nouvelle, les organisateurs de concours semblent sensibles à leurs requêtes et prêts à faire leur possible pour tendre vers un avenir plus viable. Ultime épisode.

Les première et deuxième parties de cet article sont à (re)lire ici et ici.

En 2022, Sean a, lui, passé l’hiver en Floride, sur les terrains du Winter Equestrian Festival. Là-bas, tout le fonctionnement est complètement différent de celui des événements européens. Bien qu’accompagné de près d’une trentaine de chevaux pour les écuries Stephex, le groom a bien vécu son séjour, vivant à un rythme somme toute normal. “On court comme des fous toute la journée entre les différentes pistes, mais à 17 heures au plus tard, tout est fini et on peut se détendre”, apprécie le Britannique. Outre-Atlantique, la restauration est également gérée différemment, notamment les samedis, jours de Grands Prix en nocturne. “Nous n’avons jamais terminé après 23 heures les jours de Grand Prix. Et avant l’épreuve, nous mangeons tous ensemble. Il y a toujours quelqu’un qui sponsorise le repas pour tout le monde, que ce soit Cian O’Connor, Stephex, Shane Sweetnam, Kent Farrington, etc. Cela coûte quelques centaines d’euros, mais tout le monde se retrouve pour dîner. Idem pour les petits-déjeuners. Et surtout, il y a toujours du choix pour tout le monde. Pourquoi ne pourrait-on pas faire de même sur les étapes de la Coupe du monde ?”, s’interroge-t-il. “On pourrait prendre une part ou deux de pizza et retourner préparer nos chevaux, par exemple. C’est ce que nous faisons à Wellington. Lorsqu’on finit à 1 heure du matin, on n’a pas envie de faire à manger dans notre camion avant d’aller dormir. Ce genre de chose nous fatigue davantage et nous met, en plus, de mauvaise humeur, parce que nous ne mangeons pas à des heures décentes. En plus, nous n’avons pas souvent de repas sains, ni beaucoup d’options. Pourquoi ne pas proposer des salades à composer soi-même ? Ce sont des possibilités offertes par certains événements, où nous avons des bars à salade ou à sandwich, ainsi que des plats chauds, qui proposent des pâtes, de la viande ou du poisson. La nourriture est bonne et équilibrée. Certains de mes amis sont totalement végétariens, d’autres aiment le poisson, etc. Il en va de même pour les boissons. Parfois, les seules options sont des sodas ! Ce n’est pas l’idéal… Nous passons déjà notre temps à grignoter des chips et du chocolat lorsque nous conduisons… Je trouve stupéfiant de ne pas avoir le choix sur certains concours. Il y a évidemment des budgets pour les événements, mais pourquoi ne pas ajouter deux ou trois cents euros dans le volet traiteur ?” 

Malgré les moments difficiles, les grooms gardent le cap et le sourire auprès de leurs protégés ! © Mélina Massias



Sur d’autres concours, les organisateurs offrent aux grooms une certaine somme d’argent, sous forme de tickets, leur permettant de se restaurer où bon leur semble sur les différents stands à dispositions. Une initiative intéressante, qui permet à chacun de manger à sa convenance et évite les recours aux grandes enseignes de livraison, qui apparaissent parfois comme unique solution aux yeux des petites mains de l’ombre. “Il nous est arrivé de manger en plein courant d’air, dans un froid affreux, cette saison. Sans jouer les princesses, nous restons des êtres humains, au même titre que les cavaliers. Nous, grooms, sommes toujours écrasés. Des questions budgétaires entrent sans doute en compte pour tout ce qui concerne la restauration, mais ce n’est pas à nous d’en pâtir”, complète Audrey. Sur le sujet de la nourriture, il convient également de souligner que les grooms des cavaliers U25, des meneurs ou des complétistes, par exemple, bénéficient rarement, voire jamais, de repas sur les grands événements, devant se débrouiller par leurs propres moyens.

Bien souvent, et fort malheureusement, les grooms de dressage, concours complet, attelage et autres compétitions d'un niveau inférieur au label 5* ont des conditions de travail encore plus laborieuses. © Mélina Massias

Enfin, aux rangs des problématiques essentielles à résoudre, Sean évoque la sécurité, notamment des camions, parfois garés loin des écuries et sans surveillance, ainsi que celle des grooms, qui doivent de temps à autre regagner leurs lits en pleine nuit, après avoir fini de prendre soin de leurs montures. Audrey, quant à elle, plaide la cause de ses chevaux, auxquels elle tient tant. “Pour moi, la première chose est de permettre des accès à l’extérieur. Sur un concours, je n’ai pas vu le jour de mon arrivée en milieu de semaine jusqu’au départ, le dimanche soir, et mes chevaux non plus ! Les chevaux ont besoin de sortir. Cela reste des animaux et ils ont besoin d’air frais, renouvelé. Cela me parait hyper important pour leur bien-être et leur santé. Sur certains événements, les horaires d’accès à l’extérieur sont parfois trop contraignants et ne nous permettent pas toujours d’en faire bénéficier les chevaux”, précise la dynamique jeune femme, pour qui le bien-être de ses complices restera toujours la priorité.

Avant de penser à eux, les soigneurs dénoncent avant tout des conditions parfois peu propices au bien-être animal et aux besoins physiologiques des chevaux. © Mélina Massias



Des motifs d’espoir pour l’hiver prochain ?

Depuis sa prise de position remarquée sur les réseaux sociaux, Sean avoue avoir reçu de nombreux témoignages. Une bonne nouvelle pour des interrogations légitimes encore trop silencieuses. Motivé à faire évoluer les choses dans le bon sens, le groom de Daniel Deusser a pris le temps d’échanger de part et d'autre, avec les organisateurs mais aussi avec le Club des cavaliers de saut d’obstacles international (IJRC) et média anglophone WorldofShowjumpingdont les journalistes sont toujours les premières à monter au front pour défendre les droits des soigneurs. “J’espère que nous pourrons aboutir à quelque chose avec l’IJRC”, glisse le Britannique, qui désespère des différences de traitement appliquées aux rapports soumis aux cavaliers et aux grooms. “À mon sens, ils ne devraient pas être différents. Pourquoi demande-t-on aux cavaliers si la nourriture était bonne, si les horaires étaient convenables, si les navettes fonctionnaient correctement, tandis qu’on nous demande s’il a été aisé de trouver le concours et si la litière des boxes était bien ? Nous avons toutes ces associations qui essaient de se mobiliser, mais rien ne se passe. Elles se soucient plus du café que de la sécurité du parking. Pourquoi ne pas s’inquiéter de savoir si nous avons accès à des douches si l’eau de nos camions gèlent en plein hiver ? Ces choses-là comptent pour nous.” Le trentenaire espère également pouvoir mettre à profit son application, Grooms Go To, pour fournir un maximum d’informations à ses pairs, et notamment à celles et ceux qui découvrent certains événements.

Souvent dissociés de leurs pilotes, les grooms sont pourtant le maillon essentiel de la performance du duo cheval-cavalier. © Mélina Massias



Fondée il y a un peu plus d’un an, l’International Groom Association (IGA), elle, ne semble pas encore faire l’unanimité auprès des grooms. Au-delà de l’adhésion payante, certains regrettent un manque d’actions concrètes pour les sujets majeurs. “Je pense que le plus important est que les grooms soient désormais représentés par un groupe officiel au sein de la FEI, après plus de cent ans d’attente. Les grooms sont des parties prenantes de la FEI seulement depuis un an et la création de l’IGA, au même titre que les cavaliers, les officiels et les organisateurs. Je pense qu’il s’agit d’un grand pas en avant”, rappelle Peter Bollen. “Grâce à cette association, un certain nombre de problématiques remontent et sont débattues. Il y a déjà eu des propositions de règles pour les résoudre. Les grooms n’ont jamais été entendus, nous devons donc faire attention à ne pas tomber dans l’excès inverse. Ils travaillent toujours pour les cavaliers, qui doivent aussi assumer leurs responsabilités. Dans tous les cas, du point de vue des organisateurs, nous écoutons toujours attentivement toutes les remarques des grooms. Malgré tout, nous ne pouvons pas changer le monde en six mois. Il faut s’armer de patience. Les organisateurs regrettent aussi la lenteur de certaines procédures, mais il faut comprendre que pour changer une règle, il faut au moins un an. En attendant, nous devons continuer de sensibiliser les organisateurs de concours à la cause des grooms, mais la plupart se débrouille déjà bien. Beaucoup d’événements prêtaient déjà attention aux grooms avant la formation de l’IGA, mais leur poids est désormais plus fort.” Reste désormais à confirmer ses bonnes intentions dans le temps.

Passionnés de toute leur âme, les bonnes fées des chevaux poursuivent leur travail de l'ombre avec une abnégation sans faille, espérant toutefois voir quelques améliorations dans le futur. © Mélina Massias

Photo à la Une : En faisant entendre leur voix, les soigneurs espèrent voir leurs conditions de travail s'améliorer. © Mélina Massias