Notre site web utilise la publicite pour se financer. Soutenez nous en desactivant votre bloqueur de publicite. Merci !

Les cycles jeunes chevaux sont-ils incontournables aujourd’hui ?

Sponsorisé vendredi 11 septembre 2020

Les cycles Jeunes Chevaux ayant été les premières épreuves à pouvoir reprendre du service dans l’ère post-confinement, nous nous sommes intéressés à une question qui soulève de nombreux débats : sont-ils incontournables aujourd’hui afin de préparer les stars de demain ? Nous avons fait appel à un cavalier français de jeunes chevaux, Grégoire Hercelin ainsi qu’au fondateur du célèbre élevage de Muze, le Belge Joris de Brabander , pour échanger sur ce sujet. C’est la question du mois !

Grégoire Hercelin, cavalier de jeunes chevaux : « Je trouve que nous sommes chanceux car le circuit des jeunes chevaux en France est bien élaboré. C’est un outil bien conçu qui propose deux catégories d’épreuves : celles de formation et celles de qualification pour les finales de Fontainebleau. Une épreuve de formation est une épreuve préparatoire qui permet de travailler un jeune cheval en conditions de concours sur des parcours moins durs que ceux des épreuves qualificatives. Les engagements de ces épreuves préparatoires pour les qualifications sont remboursés à partir du moment où le cheval est sans faute. Ces épreuves sont assez prisées par les cavaliers car elles permettent de former en douceur le cheval. On peut alterner les épreuves de formation et de qualification, ce qui est une option appréciable. Malheureusement, cette catégorie est beaucoup moins estimée par de nombreux propriétaires qui la perçoivent comme peu prestigieuse voire dévalorisante et qui, de ce fait, préfèrent pousser leurs cavaliers à engager en épreuve qualificative.

Je ne suis pas d’accord avec ceux qui estiment que la difficulté des parcours est trop grande pour les chevaux. Je trouve que d’un point de vue technique, les parcours donnent satisfaction. Ils répondent à un cahier des charges très strict où tous les paramètres (nombre de foulées, hauteur, etc.) sont définis et strictement contrôlés. Etant basé dans la Manche, je souligne la qualité des concours Jeunes Chevaux situés près de chez moi comme Saint-Lô ou Auvers qui proposent de magnifiques concours sur des terrains de qualité, avec de nombreuses carrières, des boxes spacieux et des parcs d’obstacles fournis. Auparavant, le niveau était plus élevé en Normandie mais de nos jours il s’homogénéise au niveau national. On ne demande pas d’efforts démesurés aux chevaux à partir du moment où ils ont reçu un dressage adéquat et effectué un travail de base suffisant pour se mesurer à de tels parcours. Le risque survient lorsque l’on envoie sur ces parcours de jeunes chevaux qui n’ont pas été bien préparés. Pour affronter avec sérénité les difficultés des épreuves, il faut en effet un certain bagage technique et physique. J’ai d’ailleurs noté avec plaisir que, depuis le reprise des concours, les chevaux sont bien en place, mieux travaillés qu’à l’accoutumé à pareille époque. L’effet du confinement combiné aux belles conditions météorologiques de ces derniers mois ont eu un impact très positif sur le travail des jeunes chevaux. Il revient donc à l’entourage d’un jeune cheval de faire ses choix en fonction des qualités de ce dernier afin d’optimiser sa formation et son travail. Je me répète mais les cycles Jeunes Chevaux sont pour moi un outil dont il faut se servir à bon escient. Certains garde-fous ont été mis en place comme la création d’un quota par catégorie d’âge afin d’encadrer la pratique et de limiter les abus. C’est important de le souligner car ce n’est pas le cas dans tous les pays. Le problème n’est pas l’outil en lui-même, à savoir les cycles Jeunes Chevaux, mais comment et dans quelles conditions il est utilisé. Lorsqu’un propriétaire confie son cheval à un cavalier, il y a souvent un objectif de performance ou de commercialisation derrière. C’est la réalisation de cette quête qui peut compromettre l’intégrité physique et morale des jeunes chevaux si elle est mal gérée. Il faut aussi souligner que seule une minorité des chevaux présentés en cycle classique atteindront le haut niveau. La majorité des équidés présentés tourneront en épreuves intermédiaires ou en amateur. Beaucoup de jeunes chevaux ne sont donc pas revus à haut niveau par manque de qualité ou parce qu’ils étaient trop précoces.

Ma philosophie a évolué au fil de mes rencontres humaines et professionnelles ainsi que de l’accumulation de mon expérience. Ma vision du métier s’est affinée au fil des années. J’ai beaucoup échangé avec des acteurs du milieu, notamment des cavaliers de haut niveau, afin de connaitre leurs attentes, à savoir des chevaux qui ont évolué selon leurs capacités physiques et qui n’ont pas été surexploités. C’est pourquoi je me focalise aujourd’hui moins sur la performance pour l’ensemble de mes pensionnaires et préfère mettre l’accent sur la formation. J’entends par là que je ne cours pas après la qualification pour Fontainebleau (où ont lieu les finales des Cycles Jeunes Chevaux, ndlr) avec tous mes chevaux et que je n’emmène pas systématiquement en finale tous les qualifiés. Par contre, lorsque j’engage dans des épreuves, je sais que mes montures sont prêtes et que je peux viser le sans faute. J’établis un programme en fonction de l’évolution de chaque cheval, de sa croissance, de sa précocité ou non et de ses besoins. Un cheval doit travailler jeune mais faire beaucoup de pauses. Je débourre en général à deux ans, je retravaille à trois ans, quatre ans, cinq ans et six ans avec à chaque fois de grandes pauses entre afin qu’il récupère de la croissance. Un cheval non travaillé jusqu’à ses six ans ne sera pas prêt pour faire carrière, son squelette ne sera pas développé comme celui d’un sportif de haut niveau. Il faut donc bien réguler la dose de travail, le niveau d’exigences et laisser le temps de l’assimilation. C’est pour cela qu’il faut qu’un cheval soit travaillé un peu tous les ans. Avec l’expérience, j’ai appris à optimiser la formation et le travail de chaque cheval.

Le circuit bénéficie aujourd’hui d’une belle visibilité car c’est une des vitrines de notre filière. D’une part, c’est un débouché attractif pour de nombreux éleveurs. D’une autre, il permet à de nombreux marchands et cavaliers de repérer de futures pépites. En effet, le prix d’un cheval de CSI 5* est tellement exorbitant de nos jours que de nombreux pilotes cherchent à investir dans de jeunes chevaux. Ce circuit est donc, à mes yeux, essentiel à notre filière et incontournable d’un point de vue économique. C’est pourquoi de nombreux acteurs du milieu participent à une réflexion en cours qui vise à rendre ce système pérenne. Aujourd’hui, c’est la Société Hippique Française qui est en charge de ce circuit. Or, la SHF est principalement financée par l’Etat. On sait que l’Etat se désengage progressivement, aussi ne sommes-nous pas à l’abri de coupes budgétaires. Il faut donc imaginer un système où l’on puisse arriver à un équilibre financier du circuit sans dépendre d’une aide publique conséquente. La SHF a été l’objet de nombreuses critiques mais je pense qu’il est important de souligner qu’elle est à l’origine de nombreuses initiatives à destination des cavaliers de jeunes chevaux comme l’offre de stages de perfectionnement proposée chaque hiver. Elle est à l’écoute car, suite à la pandémie, elle réfléchit avec d’autres acteurs du milieu à la mise en place d’un circuit hivernal pour les jeunes équidés. Je trouve cette idée excellente car on observe une baisse d’activité à cette période alors que la demande est forte. Le fonctionnement de la SHF n’est pas parfait mais il a le mérite d’exister. Si on devait se pencher sur des pistes d’amélioration, je pense qu’il faudrait peut-être qu’elle se recentre sur son cœur de métier. La diversification de ses activités partait d’intentions louables cependant son efficacité s’en est peut-être retrouvée un peu diluée. »

Joris de Brabander, fondateur de l’élevage de Muze : « Les cycles Jeunes Chevaux font maintenant partie du paysage belge depuis un certain temps. Pour juger de leur utilité, il faut se mettre à la place des différents acteurs de la filière. Pour certains, ces cycles sont devenus incontournables puisqu’ils ont construit leurs business model dessus. Les engagements en cycles Jeunes Chevaux étant très nombreux, on peut donc en déduire qu’ils sont populaires auprès d’un certain nombre de personnes. Parmi les adeptes de ces cycles, on peut notamment citer les stud-books, les marchands de chevaux, les cavaliers de jeunes chevaux ainsi qu’une partie des éleveurs. Ces différents acteurs ont souvent une relation privilégiée avec ces cycles. Les stud-books se basent dessus pour connaitre la qualité de reproduction des étalons et établissent des statistiques. Les marchands les utilisent pour faire une partie de leurs repérages. Les cavaliers de jeunes chevaux, eux, se sont spécialisés dans la formation et la valorisation des quatre, cinq, six et sept ans, les cycles classiques étant le débouché souvent privilégié par la profession. Quant aux éleveurs, la réussite de leurs produits dans ces compétitions constitue une sérieuse carte de visite en termes de crédibilité et de visibilité. Réussir dans ce type d’épreuves nécessite une préparation spécifique, c’est pourquoi on voit souvent les mêmes écuries et les mêmes cavaliers qui trustent les podiums.

Néanmoins, pour d’autres acteurs de la filière, les cycles Jeunes Chevaux constituent moins une évidence. En effet, ils sont, à mes yeux, intéressants uniquement pour une minorité de chevaux, je dirais les meilleurs dix pour cent d’une génération, qui ont la qualité, les moyens et la formation nécessaire pour réussir ces épreuves. Pour ces chevaux, avoir de bons résultats officiels présente de l’intérêt. Ils pourront en retirer du prestige, une belle valorisation des origines ainsi que commerciale. Pour les quatre-vingt-dix pour cent restant, les engagements seront synonymes de frais à perte. Le coût sera exorbitant comparé à ce qu’il est possible d’en retirer. Il pourra même parfois s’avérer contre-productif car si un cheval accumule trop de contre-performances dans ses résultats, il sera très dévalorisé sur le marché. Or, pour un éleveur ou un marchand de chevaux, un cheval qui a des résultats coûte aussi cher qu’un cheval qui n’en a pas. À quoi cela sert-il donc de faire des frais pour des résultats incertains et de risquer, parfois, de se retrouver avec un cheval avec des pépins physiques car le niveau technique est très exigeant ? Je suis donc tenté de dire ici que, pour une majorité de chevaux, les cycles Jeunes Chevaux ne servent à rien. Il faut bien préciser qu’on ne sait souvent pas à l’avance quels seront les chevaux les plus talentueux, les fameux dix pour cent, pour qui les résultats officiels seront utiles.

À titre personnel, j’entraîne mes chevaux à la maison et je privilégie de petits concours régionaux où les résultats sont moins visibles et plus facile à masquer que les résultats officiels des circuits classiques. Cela me permet de former et d’aguerrir mes chevaux sans dévaloriser leurs valeurs commerciales s’ils ne sont pas sans faute sur les barres. J’engage aussi chaque année sur certains concours de cycles Jeunes Chevaux, notamment ceux situés à côté de chez moi. Disputer l’intégralité des cycles est trop onéreux et chronophage en termes de temps à mes yeux puisqu’ils durent presque un tiers de l’année à raison de quatre jours par semaine, une douzaine de fois dans l’année. Je précise que lorsque je participe à ces épreuves, je ne « fais pas de concours » avec mes chevaux, c’est-à-dire que l’objectif n’est pas de gagner. J’utilise ces parcours pour éduquer et former mes jeunes chevaux. À l’origine, ces épreuves étaient conçues pour parfaire leur éducation en les mettant en situation de concours. Cela permettait de les former aux bruits, au public, à un environnement qu’ils ne connaissent pas à la maison. Depuis la situation a évolué, un business a été bâti dessus, on a créé des concours, puis des finales nationales et enfin un championnat mondial (qui a lieu à Lanaken chaque année, ndlr). Je trouve cela complètement absurde car les chevaux sont en pleine éducation, leur croissance n’étant pas terminée. Le risque, en se focalisant sur ces cycles Jeunes Chevaux, est que certains chevaux fassent leurs carrières à quatre, cinq, six ou sept ans et ne fassent plus rien derrière. Je ne dis pas que l’on « casse » des chevaux dans ces épreuves. Si les chevaux performants jeunes disparaissent c’est souvent qu’ils n’ont pas les moyens, ni la qualité pour aller dans les épreuves plus importantes. Il ne faut pas oublier que quatre-vingt-dix pour cent des chevaux présentés à ces épreuves finissent en épreuves intermédiaires ou en épreuves amateurs. Néanmoins, je pose ici la question, à savoir, à quoi cela sert-il d’avoir un champion du monde des cinq ans à Lanaken s’il ne fait plus aucune performance par la suite ? D’après moi, la vraie carrière d’un cheval doit commencer vers huit ans et se terminer vers dix-huit ans. Tout ce qui se passe avant est en fonction de cette carrière-là. Ce qui importe est de bien former et de faire durer en préservant la santé du cheval. »

Propos recueillis par Manon LE COROLLER. Photo à la Une : © Sportfot.com