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« L’argent n’achète pas une médaille d’or » Lillie Keenan

Interviews dimanche 16 juin 2019

Lillie KEENAN fait partie de ces jeunes américaines qui se font une place parmi les plus grands cavaliers de leur pays, grâce à un système bien ficelé et des moyens financiers colossaux. Sans filtre, celle qui fêtera ses vingt-trois ans cette année revient entre autres sur ses débuts à cheval, ses principaux objectifs…

PEUX-TU TE PRÉSENTER ? QU’EST CE QUI T’AS AMENÉ AUX CHEVAUX ?

« J’ai vingt-deux ans et je suis actuellement en dernière année à Harvard University, bientôt diplômée je l’espère. J’ai commencé à monter à l’âge de six ans parce que j’ai vu des photos de ma mère : elle était cavalière et a arrêté  à dix-neuf ans. J’ai essayé différents sports et instruments, mes parents m’ont toujours encouragée à trouver une passion. Je suis une personne qui n’aime pas quelque chose si je ne suis pas très bonne dans celle-ci. J’ai donc essayé beaucoup de choses avant de monter à poney pour la première fois. C’est en voyant ses photos que j’ai supplié ma mère. Au début elle ne voulait pas. Je pense que vers la fin de sa carrière elle était l’une des jeunes cavalières les plus prometteuse aux États-Unis et elle avait beaucoup d’attente. Quand elle est allée à l’université elle ne se sentait pas de combiner les études et l’équitation, cela a donc été dur pour elle de sortir de ce milieu. Je pense qu’elle ne voulait pas me voir surmonter le même challenge : de trouver le juste milieu entre ma scolarité et les chevaux.

Elle m’a finalement laissé monter. J’ai appris sans même connaître l’existence du saut d’obstacles. Je suis juste tombée amoureuse des chevaux, j’adorais être aux écuries, ma mère devait me traîner jusqu’à la maison à la fin de la journée. Je voulais juste rester m’occuper des chevaux. J’ai vraiment eu la chance d’être tombée amoureuse de l’animal et non du sport. Je pense que c’est pour cela que j’ai pu rester investie toutes ces années. Ce sont de longues heures de travail, où l’on perd beaucoup plus que ce que l’on va gagner. Le temps m’a appris que pour avoir un jour la chance de réussir, il faut vraiment aimer ce que tu fais, pour surmonter les moments qui seront plus durs.

J’ai débuté l’équitation dans des écuries qui étaient en plein centre de New York, elles n’existent plus aujourd’hui. Les chevaux étaient au deuxième étage d’un bâtiment. On les montait dans un manège de la taille d’un salon, c’était très petit. On avait des cours dedans, et nous pouvions aussi aller en ballade dans Central Park. On devait monter dans la rue pour y accéder. J’adorais faire ça, c’était comme une drogue !

Un de mes enseignants a dit à ma mère : « ta fille a du potentiel, elle a une bonne assise, tu devrais peut-être l’emmener vers des écuries plus adaptées à la compétition. » Ma mère était amie d’enfance avec Conrad HOMFELD et Joseph FARGIS qui sont deux légendes dans notre sport et qui lui ont conseillé d’appeler Andre DIGNELLI. C’est donc ce qui m’a amené chez lui jusqu’à mes dix-huit ans. Il m’a appris tous ce que je sais aujourd’hui. J’ai été très chanceuse d’avoir un entraineur et mentor comme lui, qui est devenu membre à part entière de ma famille.  J’y suis restée de mon premier concours sur un poney à ma première année en tant que professionnelle. C’est quelque chose de très spécial pour moi. »

TU ÉVOLUES MAINTENANT EN CSI 5*. LE RÊVE DE TA MÈRE SE RÉALISE À TRAVERS TOI !

« Mes parents me supportent dans tout ce que j’entreprends. J’ai de la chance pour ça. Ma mère, parce qu’elle a été une talentueuse cavalière, très connue aux États Unis. Quand j’ai commencé à monter, tout le monde disait : « Oh, c’est la fille de Pam CARMICHAEL ! » Elle a toujours fait partie de mon aventure et s’est toujours impliquée. Quand j’étais adolescente et que je commençais de grosses épreuves, c’était parfois un peu compliqué. Elle me donnait des conseils en sortant de piste, elle avait souvent raison mais cela n’a pas toujours été facile à accepter, surtout à cet âge. Je m’en excuse une nouvelle fois ici (rires) ! Elle s’est d’ailleurs remise à monter, donc quand je suis en concours elle m’aide à travailler les chevaux à la maison. J’ai vraiment de la chance et c’est génial parce qu’elle fait vraiment partie de mon travail quotidien. C’est une situation un peu unique parce qu’elle n’est pas mon entraineuse. En Europe, il y a beaucoup de jeunes cavaliers qui ont grandi en étant entrainés par leurs parents. Je respecte cela car ce n’est pas toujours facile.

Mes parents viennent à presque toutes mes compétitions. C’est vraiment important pour moi, que l’on puisse faire tout cela ensemble. Ma sœur et mon frère ont, eux, leur propre passion. Ma sœur est ballerine et mon frère était joueur professionnel de hockey en Suède. Ma mère est bien sur très impliquée auprès d’eux aussi, mais mon sport lui est bien plus familier donc elle vibre peut-être un peu plus et évidemment, son rêve de haut niveau se réalise à travers moi. »

TU AS ÉVOLUÉ TRÈS JEUNE SUR DES GROSSES ÉPREUVES, PEUX-TU REVENIR SUR CES EXPÉRIENCES ?

« Aux États-Unis, nous avons quelques compétitions nationales comme le $1,000,000 Grand Prix, que j’ai pu faire à seize ans parce qu’il n’y avait pas de restrictions pour l’âge, contrairement en international où la FEI impose d’avoir dix-huit ans. J’ai pu évoluer très vite parce que j’avais mes propres chevaux mais aussi de très belles opportunités de monter pour les autres. Mon entraineur a été incroyable à ce sujet, il a toujours essayé de me trouver différents chevaux pour que je puisse avoir des expériences diverses. Cela m’a beaucoup apporté, on apprend à chaque fois que l’on monte de nouveaux chevaux.

Ma mère et moi sommes très ambitieuses donc nous avons donné notre maximum pour que je puisse sauter plus haut et aller au plus haut niveau. Je pense que c’est quelque chose pour lequel j’ai toujours été très passionnée et très compétitive, mais aussi en avance pour mon âge. C’est peut-être dû au fait que mon frère et ma sœur soient plus âgés et eux-mêmes sportifs. Je voulais être meilleure et faire toujours mieux. »

APRÈS AVOIR QUITTÉ ANDRE DIGNELLI, TU ES ALLÉE CHEZ CIAN O’CONNOR ?

« Oui, pendant trois ans. Quand j’étais avec André j’ai passé un peu de temps en Europe, et après avoir été chez lui pendant plus de onze ans, nous avons décidé qu’il était temps que j’aille découvrir un autre système. Il savait que mon ambition était le sport. J’ai suivi le système américain avec le hunter et l’équitation, je voulais aussi être plus familière avec le système européen et c’est ce que j’ai pu trouver chez Cian. Nous étions basés en Allemagne, j’ai pu faire de très bon concours, dont le circuit du LGCT. Cela m’a apporté beaucoup d’expérience. »

AS-TU PU DÉCOUVRIR D’AUTRES FACETTES DU BUSINESS AUTOUR DE L’ÉQUITATION ?

« Oui tout à fait. Et finissant l’université très bientôt, c’est le moment pour moi de lancer mon activité professionnelle, je ne peux pas continuer en tant qu’amateur. Pour le moment je vis deux vies, entre les cours et ma vie de cavalière professionnelle. Je suis dans une période de transition. L’expérience que j’ai pu avoir en Europe et être exposée à l’activité commerciale avec les jeunes chevaux que l’on voit dès leur plus jeune âge, jusqu’aux grands concours internationaux, m’a beaucoup apporté. Tu apprends à savoir ce qu’il faut regarder et comment acheter et vendre un bon cheval. C’est vraiment quelque chose vers quoi je veux me parfaire. Maintenant j’essaie d’en prendre parti le plus possible, je vais être diplômé donc je dois maintenant apprendre à faire tout ça seule. »

TU ES MAINTENANT CHEZ MCLAIN WARD, DE NOUVEAUX AUX USA. PENSES-TU RETOURNER EN EUROPE ?

« Pour le moment je m’entraine avec Mclain, il a son propre système mais son grand atout est qu’il respecte d’où je viens, il est plus familier que Cian à tout ce que j’ai pu vivre sur le sol américain quand j’étais jeune. Il sait que j’ai eu du succès et que j’ai appris les bases dans le système américain. Mais j’ai aussi appris une toute autre manière de faire dans le système européen et un style de vie différent. Pour sur je le suis dans ce qu’il fait : il est mon mentor, mais il me laisse le contrôle. Il est comme un guide, il est vraiment unique et m’apporte beaucoup. Je pense que chaque cavalier a besoin de trouver quelque chose qui fonctionne. C’est pour ça que j’ai essayé ces derniers temps de trouver ce qui pouvait marcher pour moi. »

TU MONTES DES CHEVAUX EXCEPTIONNELS. QU’EST-CE QUE CELA TE FAIT ?

« Je suis très chanceuse, j’ai un piquet de chevaux incroyable et très divers, ce qui est bien sur le long terme car cela m’apprend à m’adapter à différents types de chevaux. J’ai des chevaux avec beaucoup d’expérience, mais j’en ai aussi des plus jeunes dont je m’occupe personnellement. J’ai de la chance de pouvoir avoir les deux, ce qui est une force sur le long terme. Je n’aurais pas toujours mes chevaux de tête actuel même si pour le moment ils m’apprennent énormément. Il faut prévoir le futur.

Ils appartiennent à ma famille, c’est quelque chose qui a toujours été très important pour mes parents. Ils ont souhaité me donner toutes mes chances en tant que jeune cavalière. Sur le long terme ma famille ne peut pas tout me financer et continuer de fonctionner de la sorte, mais c’était très important pour eux de me donner tous les avantages possibles dès le début, le temps que j’apprenne à gérer un business et voler de mes propres ailes. »

QUEL VA ÊTRE TON PROGRAMME POUR LES PROCHAINS MOIS ?

« Nous arriverons en Europe en juillet, j’adore passer du temps ici donc j’ai vraiment hâte. Nous n’avons pas encore le programme pour les Coupes des nations mais j’espère évidemment en faire partie. En ce qui concerne les prochains gros objectifs, comme les Jeux Olympiques de Tokyo l’année prochaine, je dirais que mes deux meilleurs chevaux reviennent de blessure donc ce n’est surement pas un objectif réaliste. De plus, avec le nouveau format de trois cavaliers par équipe seulement, il est peu probable qu’ils donnent la chance à un jeune cavalier sauf si je réussis une saison incroyable avec le meilleur cheval des Etats-Unis. Tout est possible mais Tokyo n’est probablement pas réaliste pour le moment. Peut-être Paris en 2024… Ce serait incroyable !

Pour moi ce qui importe, c’est d’essayer d’être meilleure et progresser jour après jour. J’essaie de trouver ce qui fonctionne le mieux pour moi et d’être classée correctement sur les épreuves. C’est ce sur quoi je me focalise. Je suis très contente à chaque petit progrès et je pense que c’est ça qui fait la différence. »

TU AS PU ACCÉDER AUX PORTES DU HAUT NIVEAU EN PARTIE GRÂCE AU SOUTIEN FINANCIER DE TES PARENTS. QUE RÉPONDS-TU À CEUX QUI DISENT QUE CE N’EST PAS UNE VOIE LOYALE POUR RÉUSSIR  ?

« Comme je l’ai déjà dit, mes parents ont toujours tout fait pour moi et j’ai eu cette énorme chance, j’en suis consciente. Devrais-je culpabiliser pour autant ?  Je n’ai jamais acheté ma place dans une équipe, pour en venir au sujet de la Global Champions League. Ce n’est pas quelque chose que je ferais, ni mes parents d’ailleurs. J’ai eu la chance d’avoir deux différents cavaliers qui m’ont laissé l’opportunité de faire partie de leurs équipes pendant deux années, j’en suis très reconnaissante. Cela nous apporte beaucoup nous, les jeunes cavaliers. J’ai toujours eu de la chance d’avoir des opportunités, et certains succès pour être invitée à certains concours. Je pense que la vie est faite ainsi, remplie d’opportunités.

Je comprends en revanche totalement que cela puisse être très frustrant quand on regarde notre sport avec un point de vue extérieur. L’argent joue un très grand rôle. Ce n’est plus que le talent qui compte. C’est malheureusement comme ça : l’argent a de plus en plus d’importance. Il y a des hauts et des bas mais je pense que sur le long terme, seuls les meilleurs cavaliers restent au top niveau, l’argent ne peut pas acheter les médailles d’or.

C’est là le sens de mon message : c’est frustrant au quotidien, parce qu’on espère avoir tel ou tel cheval, avoir cet entraineur, avoir ces écuries, ce camion, cet engagement en concours… L’argent donne plus d’opportunités, elle ouvre des portes, et cela est vrai dans n’importe quel milieu. Maintenant, regardons le top 100 des cavaliers dans le monde, combien viennent d’une famille avec de gros moyens ? Très peu. Ayant moi-même grandi dans une famille qui a pu m’acheter des chevaux et tout ce qui va autour, j’ai pu être confrontée aux meilleurs cavaliers du monde, et beaucoup m’ont dit : « tu vas y arriver. Beaucoup de filles dans ta situation ont abandonné, bat-toi jusqu’au bout. » Et cela m’a toujours intrigué, qu’est-ce que ce message voulait vraiment dire… En venant dans ce milieu avec autant de moyens financiers, seulement très peu affrontent les moments compliqués. Ce n’est pas toujours facile, il y a ce moment où il faut trouver les sponsors, les bons chevaux, ce bon cinq ans sur lequel tu vas miser pour qu’il devienne une superstar.

Pour sûr, certaines choses rendent la vie plus facile, l’argent en fait évidemment partie. Mais sur le long terme, personne n’achète les médailles et il  faut travailler dur tous les jours pour y arriver. Il n’y a pas de réponse unique à ce sujet mais c’est la perspective que j’ai. »

Propos recueillis par Théo CAVIEZEL, traduits par Eva LAUMOND. Photo à la Une : © Sportfot.com