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James Kann Cruz, une future star made in Irlande

Sport jeudi 14 juillet 2022 Mélina Massias

Élevé et formé en Irlande, et monté par un représentant du Trèfle, l’exceptionnel James Kann Cruz fait la fierté de sa nation, et de tous ceux qui ont participé à son éclosion au plus haut niveau. Patrick Connolly, son éleveur, Francis Connors, qui a participé à l’éducation du gris aux côtés de John Mulligan, et Shane Sweetnam, son cavalier depuis septembre dernier, dressent le portrait de ce futur crack, tout juste âgé de neuf ans. Talentueux, un brin fainéant sur le plat, et doté d’une personnalité affirmée, le fils de Kannan, propriété de la famille Gannon pendant huit années, a crevé l’écran à Rotterdam, pour sa première apparition européenne en 5*. Issu d’une souche maternelle entièrement celte, le hongre au coup de saut parfait n’a pas fini de faire parler de lui.

Il n’y a pas que les cavaliers qui brillent en Irlande. Fin juin, lors du CSIO 5* de Rotterdam, un cheval gris, prénommé CSF James Kann Cruz (ISH, Kannan x Cruising) a fait sensation lors de la Coupe des nations. Monté par Shane Sweetnam, ce fils de Kannan a vu le jour en Irlande et descend d’une souche maternelle entièrement sceltique. À seulement neuf ans, ce grand hongre, évidemment enregistré au stud-book national de l’Irish Sport Horse (ISH) ravi tous ceux qui ont participé à son ascension. “C’est une vraie superstar”, glisse dans un sourire Francis Connors, qui a participé à la formation de celui qui est surnommé Gizmo d’octobre 2019 jusqu’à l’automne 2021, prenant ainsi le relais de John Mulligan. “Je suppose qu’il avait l’impression d’être le chef des écuries. (rires) Je crois qu’il savait qu’il était un bon cheval.”

En fin d’année dernière, Shane Sweetnam a fait l’acquisition de James Kann Cruz, presque inconnu sur la scène internationale. “J’ai été à Oliva avec lui lorsqu’il avait sept ans, mais nous ne sommes restés là-bas qu’une semaine parce que le Covid a fait son apparition. Cela a sonné la fin de notre voyage. Nous avons dû faire demi-tour et rentrer à la maison. Quel périple, mon Dieu! (rires) L’idée était donc de prendre part à cette série de concours lorsqu’il avait sept ans. En parallèle, nous avons l’Irish Horse Sport propose un circuit jeunes chevaux, avec des épreuves réservées aux chevaux de cinq, six et sept ans tout au long de la saison. Ces dernières permettent de se qualifier pour Lanaken. Mais, cette année-là, Lanaken n’a pas eu lieu non plus”, justifie Francis Connors au sujet de la trajectoire suivie par son protégé. “Alors, mon travail a surtout consisté à le former et à lui apprendre son travail. L’an dernier, à huit ans, nous avons commencé à participer à quelques Grands Prix nationaux, à 1,40m, puis nous avons disputé une poignée de Premiere Grands Prix, qui sont des épreuves à 1,50m. Il a gagné ou été classé dans chaque Grand Prix national qu’il a sauté. Il s’est qualifié pour Dublin, mais nous avons été très malchanceux dans l’épreuve des huit ans. J’ai commis une erreur de pilotage et nous avons écopé d’un maudit point de temps en finale ! Mais tout ce qu’il a fait à huit ans était de mieux en mieux à chacune de ses sorties.” Si bien que le gris a tapé dans l'œil de Shane Sweetnam.

James Kann Cruz et Francis Connors, victorieux dans le Grand Prix national de Coilog.

Des débuts tonitruants à haut niveau

En septembre 2021, le pilote irlandais rencontre James Kann Cruz. “Il a commencé à sauter quelques Grands Prix nationaux l’an dernier, et c’est à ce moment-là que je l’ai vu. Il avait plutôt bien performé et je suis allé l’essayer, avant de l’acheter”, relate l’intéressé. “La première fois que je l’ai monté, j’étais très enthousiaste ! Il montrait beaucoup de puissance, était très sensible, mais j’avais l’impression que tout était là, même s’il était encore un peu vert.” Soutenu par un groupe de fidèles propriétaires, qui ont fait l’acquisition de ce nouveau crack à ses côtés, Shane Sweetnam peut envisager l’avenir sereinement. En effet, le but est de profiter dans le sport avec ce hongre de neuf ans aux qualités indéniables. D’ailleurs, pas question de brûler les étapes. “Pour l’instant, nous allons simplement apprendre à nous connaître et le laisser gagner en maturité. Il n’avait sauté qu’un concours international avant janvier dernier ! Il a bien tourné en Irlande, mais se rendre sur tous ces concours internationaux est vraiment différent. Vancouver était une grande piste en herbe, Rotterdam une carrière en sable plus petite, avec beaucoup de public. Il a simplement besoin d’expérience. S’il continue ce qu’il sait faire, il montrera de bonnes choses, mais s’il a une mauvaise journée, ce n’est pas grave. Comme nous tous, il doit apprendre de ces moments-là. Il a également dû prendre l’avion pour aller aux Etats-Unis, et a découvert de nouvelles écuries, de nouveaux paysages, etc. C’est bénéfique pour lui. Le plan est de lui offrir la meilleure éducation possible cette année”, explique Shane Sweetnam.

Shane Sweetnam et James Kann Cruz à Vancouver. © Mackenzie Clarke/FEI

Le gris a donc attaqué plus sérieusement sa carrière internationale en début d’année. Grâce à ses qualités, il n’a pas tardé à faire parler de lui. D’ailleurs, il n’a quitté qu’une unique épreuve internationale avec plus d’une faute au compteur. Double sans-faute dans son premier Grand Prix 3*, onze et septième de ses deux et troisièmes tentatives en Grand Prix 5*, à Wellington et Vancouver, le fils de Kannan s’est surtout illustré en Coupe des nations. À Vancouver et Rotterdam, James Kann Cruz a fait sensation, signant quatre parcours parfaits aux obstacles et ne concédant qu’un point de temps dans le second acte de l’Officiel du Canada. “J’ai établi un bon plan et je n’ai pas le sentiment de l’avoir trop poussé”, analyse Shane Sweetnam. “À Vancouver, la Coupe des nations était assez abordable. Celle de Rotterdam était différente, mais ces deux échéances sont arrivées au bon moment dans son parcours. J’avais coché ces Coupes dès nos débuts en Floride et tout a bien fonctionné. Je suis ravi, car ce n’est pas toujours le cas.”

Une intelligence et un sens de l’obstacle innés 

Ces récentes performances ont de quoi ravir tous ceux qui ont participé à l’éclosion de ce jeune talent, à commencer par ses éleveurs. “C’est le cheval rêvé pour tout éleveur. Il est spécial, cela ne fait aucun doute, et sans doute le meilleur que nous ayons fait naître ici”, savoure Patrick Connolly. “Il a tant de moyens, de sang - il semble avoir tout pour plaire. Je suis ravi d’être son éleveur. Il semble devenir meilleur et meilleur à chaque sortie avec Shane Sweetnam. J’ai été stupéfait quand je l’ai vu à Rotterdam, où il a sauté deux parcours exceptionnels pour un cheval de neuf ans. Il fait tout cela avec tant de facilité ; tout est simple avec lui.” 

Le grand James Kann Cruz ici aux côtés de John Mulligan, son premier cavalier.

Né à l’Ouest de l’Irlande, dans la province de Galway, James Kann Cruz s’est toujours démarqué. “C’était un poulain très athlétique, avec un super galop et du sang”, se souvient son naisseur. “Il était également très intelligent. Nous l’avons vendu foal, à six ou sept mois. La famille Gannon qui l’a acheté et conservé jusqu’à ses huit ans, venait à la base pour une pouliche par Kannan. Mike, le père de Mary et Anne, a vu James Kann Cruz dans les écuries. À partir de ce moment-là, il a refusé de partir sans l’acheter. Finalement, il a fait le bon choix !”

Très performant et régulier dès ses jeunes années, l’ISH a immédiatement révélé ses qualités de sauteur, se qualifiant chaque année pour les épreuves jeunes du Dublin Horse Show, concours sacré pour les Irlandais. “En piste, sa principale qualité était qu’il voulait toujours laisser les barres dans les taquets. Il fallait faire une grosse erreur pour qu’il commette une faute. Il adore sauter et est toujours très exubérant. Que ce soit un obstacle à 70cm ou 1,40m, il fait le même effort à chaque fois, ce qui est une grande qualité”, estime Francis Connors, qui ne cache pas son admiration sans borne pour son ancien complice. “Je l’ai aimé dès la première fois où je l’ai monté. (rires) Il m’a demandé beaucoup de travail. Il est très grand, donc ce qu’il trouvait le plus difficile était de rassembler sa foulée dans les lignes, tout en restant à l’aise. Il a toujours été très intelligent, déjà avec John Mulligan. Il n’y avait aucun problème pour sauter les obstacles ; il veut toujours aller vers les barres. Mais, pour la suite de sa carrière, il devait comprendre comment modifier son amplitude et gagner en souplesse dans son corps.” Et le jeune sexagénaire, dont les qualités de formateur sont largement reconnues chez les Celtes, ne tarit pas d’éloges concernant son gris. “Je dois dire qu’il est probablement le meilleur cheval que j’ai eu dans ma carrière. J’ai monté beaucoup de bons chevaux, pris part à des épreuves collectives, mais James Kann Cruz est probablement le plus gros sauteur que j’ai eu”, confesse-t-il. “Je pense que nos deux derniers Premiere Grands Prix resteront mes souvenirs préférés avec lui. Sur des parcours difficiles, il a fait une démonstration. Il était incroyable. J’ai senti que tout commençait à se mettre en place, que l’entraînement portait ses fruits et qu’il était prêt pour affronter des choses encore plus importantes.”

James Kann Cruz, ici à seulement huit ans, en route vers une cinquième place dans un Grand Prix à 1,50m à Mullinger, l'été dernier.

Pour Shane Sweetnam non plus, les prédispositions de James Kann Cruz ne font aucun doute. “Il a un bon look, sort du lot et a bien sûr toutes les qualités. Il est super talentueux, mais aussi très intelligent. Il est encore en apprentissage, et n’a que neuf ans, dont je fais attention à ne pas aller trop vite juste parce qu’il a des facilités. Je dois m’assurer que son mental est aussi prêt. Je dois simplement le guider dans la bonne direction”, complète l’Irlandais. “Il a une personnalité amusante et est futé. Il peut être câlin s’il l’a décidé, mais il aime avoir son espace à lui. Il semble apprécier lorsqu’il y a du public dans les épreuves majeures. Il a l’air de comprendre l’enjeu et réagit positivement à cette ambiance. Il a ses oreilles pointées vers l’avant constamment. Il adore sauter. Le plus difficile est souvent de le faire travailler sur le plat. Cela l’ennuie facilement. Alors, je le compare à un jeune cavalier irlandais : ils n’aiment pas monter sur le plat, mais adorent sauter. Tout est facile lorsque l’on saute avec James Kann Cruz, mais parfois il n’a pas envie de faire du plat (rires).”

Une lignée maternelle so irish

Ses innombrables qualités, James Kann Cruz les a évidemment héritées de ses ascendants. Son père, Kannan, n’est plus à présenter. Livrant très souvent une excellente technique à ses produits, l’ancien complice de Michel Hécart est aussi connu pour produire des chevaux assez tardifs. Pourtant, à neuf ans, son nouveau prodige de fils semble bien en avance sur son âge. Peut-être que l’explication est à chercher du côté de sa lignée maternelle ? En tout cas, celle-ci mérite un coup d'œil. “Nous avons acheté sa grand-mère, Tell Of Clover”, débute Patrick Connolly. “Elle a participé à la médaille d’or de l’équipe de Suisse aux championnats d’Europe Juniors (à Athènes, en 1994, ndlr). Elle était elle-même une d’origine irlandaise, puisqu’elle descendait de Clover Hill (ISH, Golden Beaker xx x Tara). Nous l’avons achetée via un marchand irlandais. Nous avons eu de la chance qu’elle revienne sur nos terres après sa carrière internationale. Ensuite, nous l’avons fait inséminer par Cruising (ISH, Sea Crest x Nordlys xx). Cela nous a donné CSF Telly Cruz, la mère de James Kann Cruz, que nous avons gardée en tant que poulinière.” 

Telly Cruz, la mère de James Kann Cruz. © Collection privée

D’abord investi dans le commerce de jeunes chevaux, achetés foals ou yearlings puis revendus à deux ou trois ans, l’élevage de la famille Connolly a pris une tout autre direction lorsque le patriarche a fait l’acquisition d’une pouliche de deux ans. Présent à Dublin, ce dernier a alors vu un certain Cruising, vainqueur du mythique Grand Prix d’Aix-la-Chapelle en 1999 avec Trevor Coyle et fils de l’excellente Mullacrew, qui a elle-même concouru jusqu’à 1,60m. Ce dernier aura été le premier étalon à se voir accorder les faveurs de l’exploitation celtique. Depuis le début des années 2000, l’affixe CSF voit ainsi naître entre seize et vingt chevaux par an. Parmi les plus beaux succès de la structure irlandaise, Ramiro Cruise (ISH, Ramiro B x Cruising), fils de Cummer Cruise, l’une des premières juments de l’aventure des Connolly, a été cédée aux écuries Tops et notamment vu aux rênes l’Australienne Edwina Tops-Alexander et de l’Italien Alberto Zorzi jusqu’à 1,55m, et WCE Cruco (ISH, Cruising x Darco), bon partenaire d’Alex Duffy, a, par exemple, été classé jusqu’en Grand Prix 4*. Sous la selle de Shane Breen, CSF Vendi Cruz (ISH, Ars Vivendi x Cruising) a également concouru jusqu’à 1,60m en 5*, tandis que WCE Falco (ISH, Cruising x Darco) a terminé troisième des championnats d’Europe Jeunes Cavaliers sous la selle de Luncinda Roche. À la liste des bons performers de l’élevage irlandais s’ajoutent CSF Sir Geroge, CSF Olympic Cruz, CSF Olympic Lady, CSF Princess Blue, CSF Royal, Paddy’s Dream, Warrenstown Wall Aware, etc.

James Kann Cruz, ici en Floride avec son nouveau pilote. © Sportfot

En outre, James Kann Cruz n’est pas la seule réussite de sa souche. Le gris compte plusieurs frères et sœurs, et trois ont déjà évolué sur la scène internationale : CSF Vinze (ISH, Luidam), CSF Premier Cruz (ISH, Hold Up Premier) et CSF Kanncruz, propre frère de James Kann Cruz. Tous ont évolué entre 1,50m et 1,35m. Deux descendants de Glasgow van’t Merelsnest âgés de six et cinq ans évoluent, quant à eux, sur le sol irlandais. “Kannan nous semblait être un bon choix pour CSF Telly Clover. Elle mesure environ 1,63m, elle est très dans le sang et a une bonne technique de saut. Elle semble aussi être très constante dans la production de chevaux capables de bien sauter. Nous n’avons pas eu de poulain d’elle cette année, mais elle nous a donné une pouliche de Zirocco Blue (ex Quamikase des Forêts, SF, Mr Blue x Voltaire) l’an dernier. Elle a été vendue aux enchères Goresbridge pour trente-cinq mille euros (à Anne et Marry Grannon, anciennes heureuses propriétaires de James Kann Cruz, ndlr). En ce moment, nous essayons de prélever des embryons de Telly Clover”, complète Patrick Connolly, qui a également deux filles de Diamant de Semilly (SF, Le Tôt de Semilly x Elf III), vouées à l’élevage. L’une d’entre elles, CSF Ali’s Diamond, a déjà été croisée à… Kannan, donnant ainsi un trois-quarts frère du phénomène James Kann Cruz. “C’est un poulain adorable et très dans le sang”, précise l’éleveur. Et d’ajouter : “Cela devient de plus difficile d’avoir des juments au pedigree entièrement irlandais. Il y a beaucoup de croisements avec d’autres stud-books, même ici, chez nous.”

Le trois-quarts frère de James Kann Cruz. © Collection privée

Un avenir radieux en perspective 

Difficile de trouver un défaut à James Kann Cruz. Son aisance presque insolente est frappante depuis ses débuts avec Shane Sweetnam. Avec son papier 100% irlandais, ce génial gris suit un parcours impeccable pour le pays du Trèfle. “C’est super qu’il soit monté par un cavalier irlandais et cela rend l’histoire un peu plus spéciale. Voir un de nos chevaux défendre les couleurs de notre équipe nationale est un rêve devenu réalité. Nous avons toujours espéré faire naître un cheval de son calibre”, apprécie Patrick Connolly. “Je suis ravi qu’il ait rejoint Shane et qu’il concourt toujours pour l’Irlande. Je crois que Shane sait et comprend qu’il a une superstar entre les mains. Je pense qu’il va prendre son temps cette année, et le construire progressivement pour l’année prochaine. À partir de là, il pourra faire tout ce qu’il veut : n’importe quel championnat et, je l’espère les Jeux olympiques”, se projette le sympathique Francis Connors. Pour Shane Sweetnam aussi, le fait que son nouveau complice soit irlandais est particulier : “Je n’ai pas eu beaucoup de chevaux irlandais à haut niveau. La dernière était probablement Solerina (mère par Diamond Lad), une autre fille de Cruising. Elle a beaucoup gagné pour moi. Elle était très intelligente, tout comme James Kann Cruz. Tous deux ont des caractères bien à eux. Je crois que c’est une marque de fabrique irlandaise, mais cela devient bénéfique pour le grand sport.” Et de conclure, sans détour : “Il ne fait aucun doute que James Kann Cruz sera un cheval de championnat. Cela dépend simplement du timing. Il n’y a rien qu’il ne puisse pas faire.”

James Kann Cruz, toujours déconcertant de facilité. © Mackenzie Clarke/FEI

Photo à la Une : Shane Sweetnam et James Kann Cruz dans la Coupe des nations de Rotterdam, fin juin. © Shannon Brinkman/FEI