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Frédéric Neyrat, l'aventure BLH.

Interviews jeudi 12 juin 2014
Frédéric Neyrat, l'aventure BLH. Pour vous, passer de vétérinaire à étalonnier, c'était une évolution de carrière ou une évolution du métier en lui-même ? F.N. :  « J'ai toujours eu une préférence pour ce qui était zootechnique. J'ai toujours préféré essayer de faire des animaux en bon état que d'essayer de les réparer. C'est quelque chose qui m'a toujours semblé important, car la science vétérinaire équine a beaucoup évolué, puisqu'on partait du niveau zéro de la connaissance dans les années 70, en particulier dans les écoles vétérinaires, et cela a beaucoup évolué de manière positive. C'est aujourd'hui beaucoup plus scientifique, beaucoup plus rationnel, mais c'est toujours de la réparation et c'est aussi un peu frustrant. Moi, je n'aimais pas lorsqu'à la fin de ma pratique, les clients me disaient « docteur, je ne vous dis pas à la prochaine fois ! » parce qu'on intervenait toujours soit en pompier, soit en réparateur, alors que ça me semblait beaucoup plus intéressant d'essayer de faire les chevaux les mieux adaptés possible à ce à quoi on les destine, que ce soit le CSO, les courses ou une clientèle amateur plus ou moins sportive. Cette évolution, qui nous plaisait, a été en phase avec le développement en particulier des techniques modernes de reproduction : insémination, échographie, transfert d'embryons. Nous avons bénéficié de ce courant qui nous a permis de mettre en place notre boutique. D'un autre côté, c'était aussi intéressant après vingt ans de pratique en clientèle vétérinaire équine de changer et d'arrêter les urgences et les visites d'achats… même si les visites d'achat m'ont beaucoup appris sur ce que c'était un cheval de sport et je pense que c'était important, tout comme la pathologie locomotrice. Nous avons pu obliquer et changer de monde en bougeant beaucoup. Nous avons sillonné l'Europe dans tous les sens, en visitant la Belgique, la Hollande et beaucoup l'Allemagne, pour se mettre à la recherche des meilleurs étalons et rencontrer des gens qui géraient ces meilleurs étalons dans une dimension qui était tout autre que la filière française. La filière allemande de sport, c'est la filière française fois vingt, ce qui était pour nous très intéressant, de rencontrer des gens très pointus. Nous avons commencé à tisser un réseau avec des étalonniers belges, hollandais et surtout allemands, en particulier avec le Holstein Verband, qui était pour moi un exemple dans la manière dont il fallait gérer les choses sur le long terme, avec une vision très intéressante. » Travailler avec ces haras, c'est une satisfaction pour vous ? Cela nous a permis de créer petit à petit un réseau, des liens avec des haras d'excellence comme celui de Ludger Beerbaum, Markus Fuchs ou le Holstein Verband, ce qui nous permet de coller le plus possible à l'évolution la plus pointue en matière d'étalons et pouvoir servir l'élevage français en leur apportant les étalons qui incarnent la modernité et l'avenir. Notre métier de courtier en semence, c'est finalement de prévoir l'avenir 10 ans à l'avance.

Il ne s'agit pas de répéter ce qui a été fait il y a 10 ans, mais de proposer aux éleveurs la génétique qui sera la génétique gagnante dans 10 ans au plus haut niveau. On l'a vu quand on a eu confirmation de nos choix avec la production de Cornet Obolensky, Baloubet du Rouet ou For Pleasure, que l'on distribuait il y a 10-15 ans, et qui sont aujourd'hui les meilleurs pères au monde pour le haut niveau. Mais il ne faut pas oublier non plus que l'on sert tous les éleveurs, et que tous les éleveurs n'ont pas l'ambition de fournir des chevaux à l'élite mondiale. On doit aussi être performants pour servir 95% de la production, c'est-à-dire au niveau amateur de 110 à 150 cm, car à mon sens, Athina Onasis, c'est une cavalière amateur, donc on doit toujours garder en tête que l'on doit faire des chevaux faciles, jolis et valorisés dans leurs jeunes années facilement c'est-à-dire, sans que des professionnels soient obligés de les gratter deux heures par jour pour arriver à en faire quelque chose, et ça, ça a aussi été notre politique dans le choix de nos achats ces dernières années, lorsque nous avons acheté Epsom Gesmeray qui a fait les JO avec un cavalier coréen, qui n'était pas une des plus grandes cravaches du monde, ou Huppydam des Horts qui a été un très bon cheval sous la selle d'un espagnol junior, ou encore et c'est le meilleur des exemples, Con Air, qui était monté par José Larroca, qui est banquier et non cavalier professionnel, mais qui a réalisé des très bons jeux mondiaux à Lexington. Pour nous, ce cheval-là est typiquement le cheval intéressant pour les éleveurs, car il répond à cette facilité d'emploi, à l'élégance et possède de nombreux arguments qui sont la raison de son succès maintenant. »

Vos premiers contacts en élevage se sont déroulés pendant vos stages de vétérinaire ou vous aviez déjà une vocation d'éleveur ?

F.N. : « Non, c'est principalement ce que j'ai vu dans les pur-sang en Normandie qui m'a amené vers l'élevage. Ce que j'avais vu avant dans la Dombes, en région lyonnaise, c'était vraiment archaïque. Cela peut paraître méchant, mais il n'y avait rien de vraiment excitant, c'était l'élevage rural, agricole… la filière n'était pas mûre. Il faut bien voir que nous avons évolué en même temps qu'une filière, en même temps que la mise en place des techniques modernes de reproduction, etc.

Nous avons aussi évolué en concurrence avec les Haras Nationaux français, qui essayaient par tous les moyens de nous mettre la tête sous l'eau pendant des décennies. C'était aussi un des challenges de développer un secteur privé de l'étalonnage. Nous, nous sommes arrivés à l'étalonnage par la technique parce que nous étions vétérinaires, alors que d'autres sont arrivés dans l'étalonnage parce qu'ils ont fait naître de bons chevaux. Je prends l'exemple des Brohier, des Pignolet, des Levallois ou des Leredde en Normandie. Il y a différentes manières d'arriver à l'étalonnage, parce que pendant très longtemps, ce n'était qu'une activité secondaire à autre chose. Maintenant, quelques structures en France réussissent à vivre uniquement de l'étalonnage et l'insémination des juments. »

Malgré le succès d'aujourd'hui, avez-vous un petit regret de ne pas avoir exercé votre métier de vétérinaire rural comme vous l'aviez imaginé au départ ?

F.N. : « Non, je ne pense pas. Il faut dire les choses ont tellement changé, puis le cheval a un avantage, c'est que les gens donnent plus de moyens au vétérinaire pour suivre un cheval qu'une vache, puis faire un suivi zootechnique sur des cochons ne faisaient pas partie de mes envies, les bovins, à la limite, mais ce n'était ni dans ma sensibilité, ni dans le circuit que je fréquentais. Puis il y avait cet intérêt de faire un métier nouveau, qui était étalonnier, créer un centre d'insémination : ça n'existait pas. Si j'avais dû le faire dans les bovins, il aurait fallu que je m'installe dans un grand centre d'insémination bovin et ça ne m'intéressait vraiment pas. J'ai un peu un état d'esprit pionnier, c'est-à-dire que j'aime bien faire des choses qui n'ont jamais été faites. Par contre, ensuite le structurer, le rationnaliser, le légiférer : ça m'intéresse moins. Ça correspond à une génération, un type d'homme, à un moment donné. Les marchands de chevaux de ma génération, c'est un peu la même chose, ce sont des gars qui ont inventé le métier. Des Hubert Bourdy ou des Guy Martin, pour parler de la région lyonnaise, ce sont des gens qui ont été des locomotives pour notre région. Ce sont des pionniers et un peu des cow-boys. Ce ne sont pas des gens qui créent leur boutique en sortant d'une école de commerce. Je pense que cela correspond aussi à une époque. Sébastien, mon fils, lorsqu'il développe notre boutique aujourd'hui, il le fait avec un état d'esprit qui n'est pas le nôtre. » La suite, c'est demain.