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Famille Neyrat : 40 ans au service de l'élevage

Famille Neyrat
Sponsorisé dimanche 15 janvier 2023 -

Pour nous tous, éleveurs engagés dans la compétition, élever consiste à obtenir au fil des générations des chevaux toujours plus solides, toujours plus faciles, des chevaux qui sautent toujours plus haut et toujours plus vite. Pour parvenir à ce progrès génétique, la règle est simple et maintes fois démontrée : Il faut et il suffit de mettre à la reproduction les meilleurs sportifs (poulinières et étalons) puis d’obtenir de cette élite un maximum de descendants. Ce cadre théorique est simplissime mais en pratique tout est plus complexe car nos chers chevaux de sport tels qu’ils sont et tels qu’ils sont gérés ne sont pas les mammifères les plus fertiles, loin de là ! Par bonheur, l’acquisition et la diffusion généralisée, en une quarantaine d’années, de techniques de reproduction efficaces ont permis le progrès génétique que nous observons tous les jours sur les terrains de concours. Cette évolution, ces révolutions, je remercie les hommes, les chevaux et d’heureux concours de circonstances qui me permirent de les vivre de 1980 à nos jours. Elles furent, sont et seront exaltantes.

Jusqu’au mi-temps des années 1970, en France, les techniques d’élevage étaient simples, inchangées depuis des lustres : avec l’étalon souffleur, les juments étaient « passées à la barre » puis saillies par l’étalon local quand elles se « déclaraient » et enfin considérées comme pleines quand elles « refusaient » trois semaines plus tard. Les éleveurs les plus précautionneux faisaient alors appel aux quelques vétérinaires (une dizaine à peine sur le territoire) pour fouiller les juments de leur main experte afin de confirmer la gestation… ou non. La jumenterie était essentiellement paysanne, portée par des éleveurs passionnés, et aussi aristocratique : baronne Empain, prince de Broglie, naisseurs respectivement de Quick Star et Quidam de Revel, le savoureux prince d’Altora Colona, initiateur de l’étalonnage privé en France… Les poulinières étaient servies localement en monte en main par des étalons propriétés des Haras nationaux (HN) et par quelques rares étalons privés (dont le célèbre Jalisco B).

A l’aube des années 1980, l’élevage s’ébroua. Grâce à un partenariat public-privé, 1981 vit la première application de terrain de l’insémination artificielle de semence fraîche sous la houlette de l’INRA (Éric Palmer). Les HN récoltaient à la jumenterie du Haras du Pin la semence du fabuleux Galoubet A, propriété de Jean-François Pellegrin. Le cheval continuait à concourir en Coupe du monde avec Gilles Bertran de Balanda. Le Dr Blanchard, secondé par un jeune assistant, votre serviteur, était en charge du suivi gynécologique des juments regroupées au Haras de Villepelée, à quelques kilomètres du Pin. Mon ami Paul Hubert, de l’élevage vendéen des Isles, me signalait il y a peu que la Faculté d’Utrecht, aux Pays-Bas, avait développé dans les années 1975 l’insémination transportée. Ceci pour servir, avec la semence d’étalons Frisons du continent, les juments isolées dans les îles de la Frise.

En 1981, 1982 et 1983 apparurent les premiers échographes. Les chamans aux mains d’or furent remplacés par des techniciens de l’imagerie et le souffleur, par des ultrasons. Les premiers pas étaient franchis : les accidents liés à la saillie évités et ils étaient nombreux pour la jument ou l’étalon, la qualité de chaque éjaculat mesuré, les MST contrôlées, l’étalon récolté seulement un jour sur deux au lieu des épuisantes trois saillies quotidiennes traditionnelles. Le nombre de jument servies par un seul éjaculat était décuplé et par là même le nombre de jument servies par les meilleurs étalons. Tout cela devint possible grâce à l’insémination de semence fraîche. Assurer un suivi ovarien précis, ne féconder la jument qu’une seule fois, deux fois au maximum, pendant son cycle, la savoir gestante ou non quinze jours après la saillie, détecter les gestations gémellaires et les gérer : tout cela devint possible grâce à l’échographe. La décennie 80-90 nous fit donc passer du néolithique aux temps modernes.

Puis, les paillettes libérèrent l’élevage. Pierre Julienne, ingénieur à l’INRA et fondateur du Haras des Cruchettes en Normandie, développa l’insémination de semence congelée. Ainsi, nul besoin que l’étalon soit disponible lors des chaleurs des juments, nul besoin que la jument vienne dans le haras de l’étalon. Un Mai 68 à l’envers pour les juments et les étalons ! Mais quelle source de progrès génétique. D’une part, les étalons, jeunes et ceux dans la force de l’âge, ainsi libérés, pouvaient sinon devaient être testés en se confrontant à tous les autres chevaux sur tous les terrains de concours de saut d’obstacle. D’autre part, ces paillettes délocalisèrent l’élevage partout en France, éveillant ainsi les ambitions et les passions de néo-éleveurs : les « éleveurs pharmaciens », selon un terme bien condescendant, qui s’investirent et investirent dans des poulinières, des fermes, des haras…

Parallèlement, l’importation de la semence réfrigérée se développa. Il y eut Zeus ex Gordios, puis bien d’autres. Au fil des années et des progrès logistiques des transports express, les petites boîtes en polystyrène traversèrent la France en moins de 24h. Les bassins d’élevage d’Europe du Nord, plus concentrés, bénéficièrent, eux, du réseau HippoExpress qui livre la semence dans la journée. C’est donc par un travail sur la voie mâle que la première partie du progrès génétique fut réalisée. Et c’est ainsi qu’apparurent les premières sociétés de courtage de semence : PHI, Equitechnic, Eurogen, BLH et d’autres.

Face sombre de la médaille : tous les étalons n’étaient pas « congelables », bon nombre étant condamné par le couperet des 35% de spermatozoïdes mobiles exigés lors de la décongélation; à coup de huit paillettes par insémination, les étalons les plus en vogue ne satisfaisaient pas à la demande des éleveurs ; et la fertilité par chaleur des juments inséminées en congelé était diminuée par rapport à celle de la semence fraîche et ce malgré un suivi échographique de plus en plus pointu et lourd au fil des saisons.

Côté femelles, tout restait donc à inventer pour augmenter le nombre de poulains des meilleures juments. Les années 1990 furent celles de l’avènement du transfert d’embryon car la « gestation pour autrui » s’avérait la solution. À nouveau, l’INRA, s’inspirant de la technique bovine, fut moteur de l’innovation via les Haras Nationaux. Quelques vétérinaires passionnés étaient aussi sur les lignes. Notre premier poulain issu de transfert est né en 92 ; une épopée technico… administrative ! Cette « gestation pour autrui » allait permettre d’obtenir plusieurs poulains par an pour les juments d’élite. Les jeunes juments allaient pouvoir mener de front une carrière sportive et une carrière de reproductrice, réduisant ainsi l’intervalle entre générations et permettant aux éleveurs de conserver leur « souche » tout en vendant leurs protégées, après transfert, pour le sport.

Des poulinières de trait furent réquisitionnées comme receveuses mais on déchanta bien vite. Comme elles étaient trop laitières, trop placides, les poulains étaient obèses et nonchalants. Les jeunes Trotteuses, réformées des courses et ainsi sauvées de la boucherie, satisferont pleinement.

Le transfert s’avéra aussi une arme efficace pour les juments âgées : celles qui après de nombreuses gestations voyaient leur utérus fatigué incapable de porter une gestation ; celles qui arrivaient au haras après une longue carrière sportive étaient en effet bien peu capables de mener à terme des gestations et des lactations de qualité suffisante pour engendrer un futur athlète. Pour elles, le transfert s’impose pour des raisons techniques autant qu’éthiques.

« Poulinière n’est pas un métier de grand-mère », disait Fernand Leredde, le truculent éleveur des Rouges. Le transfert d’embryon s’avéra donc être une arme très efficace. Mais, face sombre de cette médaille, après deux à trois saisons de transfert d’embryons, l’utérus de ces juments donneuses souffre d’une inflammation chronique qui baisse drastiquement le taux de collecte d’embryons. Pour tenter de pallier ce problème, les vétérinaires doivent multiplier les irrigations intra-utérines (lavage, etc.) et autres traitements qui rendent le suivi gynécologique de plus en plus lourd et coûteux.

Fin des années 1990, les techniques d’insémination et le transfert d’embryon se diffusent donc largement, d’abord en France puis dans le reste de l’Europe. Elles permettent d’augmenter la « pression de sélection » sur le cheptel mâle et femelle. Éric Palmer, toujours lui, développa la technique du clonage, lourde, qui visait à dupliquer ce qui avait été réalisé par « la nature » une, deux ou trois décennies auparavant. Autant dire que l’avantage en termes de progrès génétique n’était pas clairement évident.

Au début des années 2000, deux virages essentiels. D’abord, l’internationalisation de la génétique mâle. Les éleveurs les plus pointus de chaque pays s’aperçoivent vite des bienfaits de l’out-crossing, c’est-à-dire du croisement de leurs juments avec des étalons issus de lignées très différentes. C’est la vigueur hybride. Les échanges de semence entre l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et la France se multiplient donc. Ceci d’autant plus facilement que les premiers classements des pères de gagnants issus des données sportives de la Fédération équestre internationale sont publiés. Le classement WBFSH est vite dépassé par les classements HorseTelex ou Hippomundo, beaucoup plus pertinents. Conséquence de cette internationalisation, les éleveurs concentrent leur choix sur quelques étalons européens seulement et en particulier ceux qui brillent au plus haut niveau sportif. En 2000, il s’agit de Baloubet du Rouet, For Pleasure et quelques autres grands champions. Leur semence congelée, très convoitée, devient rare et chère. De plus en plus rare, de plus en plus chère. Leur pouvoir fécondant n’est pas toujours au rendez-vous.

La parade fut l’insémination profonde. Exit la décongélation de huit paillettes pour chaque insémination. Une seule paillette dont le contenu est déposé en haut de la corne de l’utérus à l’aide d’une sonde spéciale fabriquée en Allemagne suffisait désormais. BLH fut à l’origine de la diffusion de cette technique en France. Nous envoyions alors aux confrères lesdites sondes scotchées à la cuve de transport !

Entre 2000 et 2015, l’engouement pour les sports équestres est tel que le prix des chevaux va croissant. De très nombreux cavaliers amateurs, professionnels ainsi que leur entourage se convertissent à l’élevage par passion et/ou intérêt bien compris, et ceci en mettant à la reproduction leurs championnes. Au fil du temps, les cavaliers et leur entourage d’investisseurs passionnés prennent souvent le flambeau porté naguère par les éleveurs agriculteurs.

Où en sommes-nous dans les années 2015? Côté étalons, il y a des concours pour les mâles de deux et trois ans à l’issue desquels des flopées de jeunots sont « approuvés ». 95% d’entre eux disparaîtront du haut de l’affiche dès qu’ils seront confrontés à la vraie compétition. On trouve des étalons de sept ans au moins, grands performers au plus haut niveau mondial, qui ont toute chance de devenir dans quelques années les leaders des classements des pères de gagnants. Leur semence fraîche, réfrigérée et/ou congelée est très demandée. Elle est parfois peu fertile du fait du stress de la compétition. Enfin, il y a les Sires ! Les quelques étalons très bien testés sur descendance, retirés du sport, vieux voire morts, très demandés et à la semence congelée rare, chère et souvent peu fertile.

Du côté des juments, on en trouve de jeunes, âgées de deux à six ans et issues de beaux croisements, que l’éleveur doit vendre pour alimenter sa trésorerie alors même qu’elles représentent l’avenir de son élevage. Cruel dilemme. Le transfert d’embryon est alors la solution. Il y a des juments en compétition de sept à seize, voire dix-huit ans, entièrement accaparées par le sport. Le transfert d’embryon est chronophage pour le cavalier. Par ailleurs, après quelques années de transferts, ce qui ne manque pas d’irriter chroniquement la muqueuse utérine, la jument donne beaucoup plus difficilement des embryons de bonne qualité. Enfin, il y a des juments qui sortent de compétition entre seize et dix-huit ans à qui l’on demande de débuter une carrière de poulinière. Si les ovaires de ces juments fonctionnent souvent normalement après une période d’adaptation, leur utérus et leur col sont souvent incompétents et donc incapables de donner des embryons et encore moins de vivre de belles gestations.

Entre 2015 et 2020, en Italie, un « stromboli zootechnique » va bouleverser à jamais l’élevage du cheval de sport. Le professeur Cesare Galli développe la « procréation médicalement assistée », un mode opératoire déjà largement diffusé pour aider les couples humains présentant des troubles de la fertilité. Cette technique révolutionnaire résout la quasi-totalité des problèmes que les gynécologues équins s’échinaient à résoudre jusqu’alors.

De quoi s’agit-il ? La première étape consiste à récolter les ovocytes contenus dans les follicules ovariens de la jument à l’aide d’une longue aiguille portée par une sonde échographique endovaginale. La séance dure une heure environ pendant laquelle la jument est bien tranquillisée et bénéficie d’une anesthésie épidurale, comme les femmes lors de l’accouchement. Le bien-être animal est respecté. Les complications (coliques, infections, hémorragies) sont rarissimes. Cette intervention s’appelle la ponction ovocytaire (Ovum Pick Up ou OPU en anglais). Au haras de Chatenay, notre équipe, dirigée par Sébastien Neyrat, a déjà réalisé en routine plusieurs centaines de ponctions depuis quatre ans. Réalisables toute l’année, celles-ci se déroulent de préférence l’hiver car les follicules de taille moyenne, ceux qui sont les plus recherchés pour l’ICSI, y sont les plus nombreux.

Ces ovocytes, après une préparation en laboratoire, sont expédiés en Italie par transporteur express pendant la nuit, en quelques heures, vers le Laboratoire Avantea du Pr Galli, leader mondial incontesté pour ce qui concerne la deuxième étape de la technique : l’ICSI ou injection intracytoplasmique de spermatozoïdes. Les ovocytes, portés à maturation en quelques jours, sont inséminés par une injection d’un seul spermatozoïde. Ceci pour qu’il donne naissance à un embryon qui sera, après quelques jours de développement, congelé dans l’azote liquide pour y être conservé, le temps souhaité par son propriétaire, avant son implantation dans une jument receveuse.

Une ponction donne vie à entre zéro et dix embryons, voire plus exceptionnellement. On obtient, en moyenne, un peu plus de deux embryons par ponction. Une nouvelle ponction peut être réalisée dès trente jours environ après la première lors d’une nouvelle poussée folliculaire. Lors de l’implantation dans une receveuse, 70 à 75% des embryons décongelés donnent une gestation constatée à quarante-cinq jours ; c’est un taux identique à celui des traditionnels transferts d’embryons frais.

On comprend tout de suite que la ponction ovocytaire suivie d’ICSI résout cinq problèmes majeurs.

1) L’utérus est court-circuité. On a vu plus haut qu’il est le maillon faible du tractus génital des juments devenues subfertiles après de nombreuses gestations, de nombreux transferts ou des juments débutant tard leur carrière de reproductrice. Exit donc l’effet délétère de son inflammation chronique.

2) En cinq jours, tout est fait. Les prélèvements sanitaires obligatoires sont effectués à l’arrivée de la jument au centre. La ponction est réalisée cinq jours plus tard en une heure à une heure et demie. Pour obtenir un peu plus de deux embryons par transfert traditionnel, cela aurait nécessité de nombreux examens gynécologiques, parfois des dizaines accompagnées de lavages utérins et autres traitements, ainsi que des frais de transport et de pension étalés pendant le printemps. Financièrement, une ponction qui donne trois embryons est plus économique que trois fastidieux et chronophages transferts d’embryons classiques. Si une jument donne six, voire dix embryons en une ponction, ce sont des années de suivis gynécologiques printaniers ainsi économisés !

3) Une fantastique économie de spermatozoïdes. Pour inséminer par ICSI tous les ovocytes récoltés, il suffit au technicien de laboratoire de décongeler un cinquième d’une paillette traditionnelle et de sélectionner dix spermatozoïdes vigoureux ! On comprend que cela permet aux gestionnaires d’étalons qui jouent le jeu de diminuer drastiquement le prix de « la saillie ».

4) Les étalons subfertiles sont enfin utilisables. Une semence congelée peu fertile, voire stérile en insémination traditionnelle peut donner des embryons par ICSI. Notons toutefois qu’il reste, en ICSI aussi, des étalons plus fertiles que d’autres.

5) Les embryons congelés sont gérés selon le bon vouloir de leur propriétaire. Ils sont stockables indéfiniment, commercialisables, en l’état, de gré à gré ou lors d’une vente aux enchères. Lors de la décongélation, Il n’est pas nécessaire de synchroniser les chaleurs de la donneuse et de la receveuse. Il suffit de décongeler l’embryon et de l’implanter dans la receveuse de son choix, cinq jours après son ovulation.

Ainsi, grâce à cette technique, le nombre de jeunes chevaux issus des juments d’élite est et sera multiplié ces prochaines années. La conséquence inéluctable est que la qualité des chevaux de sport fait et va faire un immense bond en avant. Raison pour laquelle de nombreux éleveurs se fournissent en jeune génétique femelle de très haut niveau pour satisfaire des ambitions désormais à leur portée. J’ai la chance, en fin de carrière professionnelle, de vivre et de participer à cette révolution et je me réjouis que les éleveurs puissent désormais profiter de ce très puissant levier génétique auquel succèderont – n’en doutons pas – de nouvelles évolutions, de nouvelles révolutions.

(publi-communiqué)