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“Depuis que nous nous sommes installés dans nos écuries, nous déjeunons tous les jours avec toute notre équipe”, Marlon Módolo Zanotelli (3/3)

Interviews vendredi 28 octobre 2022 Mélina Massias

Comme chaque année ou presque, Marlon Módolo Zanotelli n’a pas manqué de réussite. Travailleur acharné, déterminé et passionné, le Brésilien a enregistré de sacrés résultats en cette année 2022. De Paris, à Doha, en passant par Hickstead, Madrid, Rome ou plus récemment Oslo, le sympathique père de famille a souvent trusté les places d’honneurs dans les plus belles épreuves du monde, que ce soit aux rênes de Like A Diamond van het Schaeck, VDL Edgar M ou Harwich VDL. La première citée l’a d’ailleurs accompagné jusqu’aux championnats du monde de Herning, où le Brésil a joué de malchance et laissé échapper sa qualification olympique. Qu’importe, le pilier des Auriverde reste motivé et les yeux rivés sur Paris 2024. Fort des valeurs transmises par sa famille, avec laquelle il a parcouru le Brésil en camion, de concours en concours, au milieu des années 90, Marlon s’est forgé une sérieuse carrière. Passé par les écuries Philippaerts, Stephex, puis la structure Ashford Farm, pilotée par son ami et collaborateur Enda Caroll, le trentenaire vole désormais de ses propres ailes, en Belgique, où ses parents, son frère, son épouse, Angelica Augustsson Zanotelli, et une équipe fidèle et soudée œuvrent autour de lui. Rencontré à l’occasion du CSIO 5* de Barcelone, en préambule de l’épreuve majeure de vendredi, l’actuel septième meilleur cavalier du monde, s’est livré avec générosité. Dans cet ultime épisode, il revient sur son parcours phénoménal, du Brésil à la Belgique, l’influence de son père et de sa famille, ainsi que la reconnaissance nécessaire à accorder à toutes les personnes qui travaillent à ses côtés.

Les première et deuxième parties de cet entretien sont à (re)lire ici et ici.

Quel a été votre premier souvenir avec les chevaux ?

Mon père montait à cheval lui-même, donc je dirais probablement lorsque j’avais deux ou trois ans. Je me souviens, et j’ai d’ailleurs encore la photo, être assis sur un cheval avec mon père, dans la ferme d’un ami. Il avait des chevaux pour s’occuper des vaches et ce genre de choses. C’est mon premier souvenir à cheval. Ensuite, j’ai commencé à vraiment monter à quatre ans, en 1992. Mon père s’occupait d’une école d’équitation à San Luis, dans l’Etat de Maranhão, non loin d’où je suis né. C’est là où j’ai vraiment commencé à prendre des cours. Ensuite, à partir de 1994, nous avons commencé à parcourir le Brésil. Toute notre famille vivait à bord d’un camion, avec deux chevaux. Je pense que c’est à partir de là que ma passion pour les chevaux a vraiment pris de l’ampleur. J’étais vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept avec les chevaux. C’était une expérience incroyable pour nous tous de voyager dans ce camion avec les chevaux et d’aller de concours en concours. C’est une histoire vraiment intéressante. Nous gardons une formidable image de ces moments-là. Et quand on parle de camion, ce n’étaient pas les véhicules luxueux que nous avons aujourd’hui (rires). C’était un camion tout ce qu’il y a de plus simple. Mes parents étaient un peu fous pour se lancer dans cette aventure, notamment avec mon plus jeune frère, qui avait trois mois lorsque nous avons quitté la maison. Ma mère a été extrêmement courageuse de faire tout cela avec quatre enfants dans un camion, un groom et deux chevaux. Mais pour nous, ce n’était que du plaisir. D’ailleurs, j’ai déjà demandé plusieurs fois à mon père d’écrire un livre à ce sujet !

Marlon Mòdolo Zanotelli et l'attachant Harwich VDL. © Mélina Massias

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“J’ai toujours été un peu effrayé par le concours complet”

Votre père semble avoir été particulièrement important dans votre carrière. Quel rôle a-t-il joué pour vous ?

Tout. Grâce à lui, nous nous sommes intéressés aux chevaux, puis il a été mon entraîneur jusqu’à ce que je quitte le Brésil, donc jusqu’à mes dix-huit ans. Il m’a entraîné toute ma vie, m’a appris tout ce que je sais. C’est un homme de cheval, et il était cavalier par le passé. Mon père et ma mère m’ont inculqué des principes en tant que personnes. Ils sont tout pour moi. Et le déroulé de notre histoire est assez drôle. J’ai connu ma période en Europe, et lorsque je me suis lancé à mon compte, mes parents étaient de retour pour me soutenir. C’est intéressant de voir ce que la vie peut nous réserver. Mon père a toujours rêvé d’avoir une écurie avec sa famille, mais il n’a jamais insisté car il ne voulait pas interférer dans nos carrières. Aujourd’hui, nous travaillons tous ensemble. Mon frère Mario est mon chef d’écurie, il est mon bras droit. Il s’occupe de tout aux écuries. On sait à quel point nous vivons à mille à l’heure avec tous nos voyages. Il s’assure que tous les papiers sont en règle, que tous les rendez-vous vétérinaires et la nourriture sont en ordre pour les chevaux, etc. Il fait en sorte que tout soit organisé et que nous puissions nous concentrer sur le fait de monter à cheval. Marco s’occupe de l’élevage, comme je l’ai évoqué (dans la deuxième partie de cet entretien, ndlr), s’occupe aussi de repérer de nouveaux chevaux et nous aide avec les apprentis. Donc nous sommes tous ensemble. Marcel a ses propres écuries avec sa compagne aux Pays-Bas, à Kronenberg. Il n’est pas loin de nous et vient s’entraîner avec ses chevaux. Nous lui confions parfois des montures. Nous sommes tous très proches. Mes parents vivent à côté de notre propriété, juste de l’autre côté de la route. Ils ont leur propre terrain, où nous faisons un peu d’élevage également. Chaque jour, ils sont avec les enfants. Comme ils disent, ils font le meilleur métier qui soit. Ils ont toujours voulu s’occuper de leurs petits-enfants, à la maison et en concours. C’est vraiment chouette, surtout pour eux. Je pense que c’est un rêve devenu réalité pour mes parents d’être aussi proches de leur famille.

Like A Diamond van het Schaeck au côté de son cavalier, lors de la visite vétérinaire des Mondiaux de Herning. © Sportfot

Votre père était cavalier de concours complet. Avez-vous songé à suivre la même voie que lui ?

Il a beaucoup poussé pour ! (rires) Au Brésil, il est très difficile de faire du saut d’obstacles à haut niveau, tandis que le complet est un peu plus accessible. Il n’y a pas autant de cavaliers et les chevaux sont moins chers que ceux de jumping. Nous n’avions pas de soutien financier, donc il a toujours essayé de me diriger vers le complet. Pour être franc, j’ai toujours été un peu effrayé par cette discipline (rires). Cela n’a jamais été fait pour moi. Les cavaliers qui pratiquent le concours complet sont très courageux. De toute façon, j’ai toujours aimé le saut d’obstacles. Depuis gamin je voulais venir en Europe pour être proche des meilleurs mondiaux. Je pense que mon père ne s’attendait pas à ce que tout ça soit possible. Il m’a toujours incité à rêver de grandes choses et à croire qu’elles pourraient se réaliser, mais être ici, autour des meilleurs, et montrer cela à mes parents est un sentiment unique.

Grand Slam VDL devant le public du CSIO 5* de La Baule, en mai dernier. © Mélina Massias

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“Nous essayons de prendre soin de notre équipe autant que possible”

L’esprit de famille semble être au cœur de votre système et de votre vie. D’ailleurs, les membres de votre équipe tendent à rester à vos côtés de longues années…

C’est assurément la clef du succès. Il est difficile de trouver des personnes qui partagent le même état d’esprit, ont les mêmes principes et objectifs que vous. Bien sûr, cela est plus simple au sein de son cercle familial. Votre famille est votre famille et ses membres feraient tout pour vous. Peu importe ce qui se passe, ils sont là pour vous, à n’importe quel moment. Avoir des personnes comme Andrea, Sacha ou Manu, qui travaillent pour nous depuis des années, est précieux. Je pense qu’une des raisons qui peut expliquer cette longévité est le fait qu’ils partagent les mêmes ambitions que nous. Ils savent exactement quels sont leurs rôles et à quel point ils sont importants. Souvent, beaucoup de personnes ne les reconnaissent pas à leur juste valeur, ou eux-mêmes n’admettent pas l’importance de leur travail. Nous faisons attention qu’ils sachent à quel point chacun d’entre eux compte dans notre fonctionnement. Si on prend l’exemple de mon cavalier maison, Sacha, il monte les chevaux quatre jours par semaine, et moi trois. Il est un maillon essentiel de ma réussite puisqu’il garde mes chevaux en forme. Il en va de même avec Andrea. Elle endosse une immense responsabilité lorsqu’elle part en concours avec le camion et les chevaux, qu’elle élabore un plan avec mon frère et organise tout le côté administratif. Il est primordial que tout le monde soit conscient de son importance.

Andrea Hoenack, rouage essentiel depuis dix ans du clan Zanotelli. © Mélina Massias

Nous sommes une grande famille et mes parents sont habitués à transmettre cette ambiance. Ils ont souvent eu des élèves, qu’ils prenaient sous leur aile, tout comme les grooms, qu’ils traitaient comme des membres de la famille. Nous avons importé cela du Brésil. Mon père a toujours dit “lorsque nous aurons notre endroit à nous, nous prendrons le petit déjeuner et le déjeuner tous ensemble”. Depuis que nous nous sommes installés, c’est ce que nous faisons. Les grooms prennent le petit déjeuner tous ensemble, vers 9 heures, quand nous arrivons aux écuries après avoir emmené les enfants à l’école. Nous nous joignons à eux pour un café, et en profitons pour planifier la journée ou la semaine. Puis de 12h30 à 13h30 environ, nous mangeons ensemble. Nous nous asseyons tous ensemble. Ma mère prépare à manger pour tout le monde. Cela donne une bonne ambiance ; nous sommes toujours très occupés, courrons partout, alors c’est vraiment agréable de prendre le temps de se poser un moment et de passer du temps normal avec notre équipe, de ne pas seulement parler de la semaine et des concours. Enfin, c’est impossible de ne pas évoquer les chevaux lorsqu’on est entourés de gens de chevaux (rires). Mais le plus important est de profiter d’un moment convivial, différent et un peu plus calme. Je pense que cela rend notre fonctionnement un peu particulier. Nous essayons de prendre soin de notre équipe autant que possible, mais nous sommes aussi heureux pour eux s’ils trouvent quelque chose qui les motive davantage. Certaines personnes ont travaillé à nos côtés puis sont passées à autre chose et ont rejoint d’autres endroits, mais si c’est leur souhait, nous les soutenons toujours. Cela a toujours été important pour nous ; s’ils partent et réussissent ailleurs, c’est fantastique ! Et si jamais ils se rendent compte que ce n’est pas ce qui leur correspond, nos portes sont toujours ouvertes. Nous sommes très proches de notre staff. Mais les personnes qui assurent le plus ce côté sont mes parents et mon frère, qui sont à la maison toute la semaine et partagent beaucoup de temps avec notre équipe.

Direction la piste pour Marlon Mòdolo Zanotelli et Harwich VDL, précédés par leur ange gardienne : Andrea Hoenack. © Mélina Massias

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Toutes ces personnes travaillent bien souvent dans l’ombre. Quelles pistes pourraient être explorées pour les faire passer dans la lumière et accorder une plus grande reconnaissance à leurs rôles dans la réussite des cavaliers ?

Cela dépend de chaque personne. Pour chaque cavalier, le groom concours est l’une des personnes qui libère le plus de charge mentale et lui permet de se concentrer sur son travail. C’est en tout cas ce que je ressens. Lorsqu’on a de nouveaux grooms de façon très régulière, on doit s’assurer qu’ils savent comment fonctionne chaque cheval. Aujourd’hui, Andrea en sait clairement plus que moi sur mes chevaux et leur comportement au quotidien. Elle connaît tout par cœur. Elle pourrait dire pour quelle raison Diamond a les oreilles de tel ou tel côté. Si j’arrive aux écuries et que je lui demande “Andrea, comment vont les chevaux ?” et qu’elle me répond “Tout va bien”, je sais que tout va bien. Cela donne une vraie tranquillité d’esprit. Je pense que nos grooms le savent. Si vous posez la question à Andrea, je pense qu’elle est consciente de son importance. Peut-être qu’il faudrait parler davantage de cela, ça pourrait être une façon de faire. Les organisateurs de concours essayent de s’améliorer sur cet aspect. De plus en plus d’événements permettent aux grooms de venir en piste et de monter sur les podiums. C’est une idée formidable. Maintenant, lorsqu’on prend le départ d’une Coupe des nations, le nom et la photo de nos grooms apparaissent à côté de ceux de nos chevaux. Ces choses-là sont géniales. Nous devrions continuer en ce sens et le faire de plus en plus, parce que les grooms sont l’une des plus grandes parts de notre sport.

Andrea Hoenack et le sublime Grand Slam VDL. © Mélina Massias

Pour les cavaliers maison, cela est plus difficile à mettre en place, mais cette reconnaissance doit venir de nous. Si on discute avec eux de notre sentiment, de ce qu’on ressent avec tel ou tel cheval, je pense que la plupart d’entre eux apprécie. Même lorsqu’on leur dit que quelque chose ne va pas, ils sont reconnaissants d’avoir un retour sur ce qu’ils font. C’est toujours plus simple de relever ce qui ne va pas que l’inverse, mais nous devons leur rendre crédit lorsque les chevaux sont en forme. Les membres de nos équipes concèdent beaucoup d’efforts et apprécient ces échanges. Pendant chaque concours, comme ici, un large groupe de personnes reste à la maison. Alors, nous partageons toutes les vidéos du concours avec eux. Ces images ne restent pas qu’entre Andrea, mes parents, Angelica et moi : elles sont pour tout le monde. Ainsi, chacun se sent impliqué, regarde et suit nos résultats, qu’ils soient bons ou mauvais. Pour moi, il faut qu’ils se sentent concernés et aient le sentiment de faire partie de tout cela. En définitive, ils doivent être motivés pour faire ce qu’ils font tous les jours. C’est le plus important.

Like A Diamond van het Schaeck sous les lumières de Barcelone. © Mélina Massias

“Une de mes choses préférées est de simplement passer du temps avec mes enfants et ma femme”

L’accessibilité et la compréhension du saut d’obstacles - qui est, comme la plupart des disciplines équestres, assez particulier -, pour le grand public est un sujet qui revient souvent sur le devant de la table. Comment pourrait-on attirer un panel de spectateurs plus vaste et, en même temps, développer son intérêt pour ce sport ?

Au bout du compte, je pense qu’il faut simplifier les choses autant que possible, lorsque cela est faisable. Les épreuves à barrage sont plutôt simples à comprendre - on est sans-faute dans le temps, il y a le barrage, celui qui va le plus vite gagne. Les épreuves de vitesse sont encore plus abordables. Ensuite, je ne suis pas d’accord quand on dit que les Coupes des nations, qui incluent un drop score, sont difficiles à appréhender. Je pense qu’elles sont simplement mal présentées. À mon sens, si le score ne comptant pas pour l’équipe était annoncé à la fin, les gens comprendraient mieux. Maintenant, à chaque tour, le drop score est déjà pris en compte et cela complexifie les règles. Alors que si on ne l’annonce qu’avec le résultat définitif, après le passage du quatrième cavalier, on sait que le pire résultat est décompté et ce n’est pas très compliqué. Tout le monde saisit le concept. Autrement, on est vite perdu. “Est-ce que cette équipe avait fait une faute ? Ou ont-ils fait un sans-faute ? Huit points ?” C’est une petite chose qui peut changer la façon dont on introduit ces épreuves. Mais, en effet, c’est un sport particulier, un peu différent. Toutefois, beaucoup de choses peuvent être simplifiées, et nous sommes en bonne voie.

VDL Edgar M lors de la Coupe des nations de La Baule. © Mélina Massias

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Enfin, en dehors des chevaux et de votre discipline, trouvez-vous le temps de vous adonner à d’autres activités ?

J’apprécie les autres sports, mais je n’en pratique pas beaucoup. J’aime surfer, mais, forcément, en Belgique nous n’avons pas beaucoup l'occasion d’en faire (rires). J’adore le football (Marlon aurait pu devenir joueur professionnel avant qu’il ne quitte le Brésil, ndlr), mais je n’y joue pas car cela est assez dangereux. Je me suis déjà tordu la cheville et cassé des doigts, donc je m’abstiens car le risque est trop grand. Désormais, nous commençons à jouer de plus en plus au paddle, en famille ou entre amis. C’est un chouette jeu, qui est amusant et nous plaît beaucoup. Mais je pense qu’une de mes choses préférées est de simplement passer du temps avec mes enfants et ma femme. C’est génial. Je suis souvent loin, sur la route, etc. Nous parvenons souvent à faire venir nos enfants avec nous et nous passons toujours des week-ends fantastiques à ces occasions. Maintenant, ils ont l’école. Mélissa a six ans et doit aller à l’école, donc elle ne peut plus venir chaque week-end. J’essaye donc de passer du temps avec les enfants. Ils sont super rigolos et j’adore ces moments à leurs côtés.

L'impressionnant Harwich VDL, à Aix-la-Chapelle. © Mélina Massias

Photo à la Une : Le sourire de Marlon Mòdolo Zanotelli après sa victoire dans le Grand Prix du Longines Global Champions Tour de Paris. © Scoopdyga