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“Défendre ses convictions n’est pas un défaut, même si elles vont à l’encontre de certains intérêts partisans et corporatistes”, Yves Chauvin (3/3)

Chauvin
Interviews jeudi 16 novembre 2023 Thomas Danet Tribut

Président du Stud-book Selle Français de 2007 à 2012, puis de la Société hippique française (SHF) à partir de fin 2012, Yves Chauvin s’est retiré de la vie publique début 2021 pour “raisons personnelles” et d’une “année très difficile à gérer pour la SHF en raison de la pandémie”. Homme de valeurs et de convictions, reconnaissable à sa chevelure blanche, à sa voix et à son franc-parler, apte à rassembler autant qu’à cliver, Yves Chauvin reste une figure de l’élevage de chevaux de sport. Cet été, l’éleveur de Cacao, Jazz Band, Ominérale, Ricoré, Rialto, Uruguay et Baschung, parmi tant d’autres chevaux nés sous l’affixe Courcelle, a ouvert à Studforlife.com les portes dans sa demeure bressanne, sous les fenêtres de laquelle s’ébrouent ses poulains de l’année. Un entretien à lire en trois parties. Voici la dernière. 

Les première et deuxième parties de cet article sont à (re)lire ici et ici.

Au même titre que pour le stud-book Selle Français, continuez-vous à suivre les évolutions de la Société hippique française (SHF) ?

Quand je suis devenu président de la SHF, celle-ci venait de devenir société mère. Elle en possédait le titre mais était restée sur son territoire historique, à savoir l’organisation d’épreuves réservées aux jeunes chevaux. Deux nouvelles missions lui ont ainsi été confiées, à savoir l’élevage et la commercialisation.

Concernant l’élevage, celui-ci est représenté par les Associations nationales de race et les Associations régionales d’éleveurs. Nous avons alors construit un site d’engagement dédié à l’élevage. C’est via ce site que se font les engagements de tous les chevaux d’élevage ; chaque éleveur recevant par la suite les encouragements qui lui sont attribués sur son compte personnel. Ce site est le pendant pour l’élevage du site internet FFE Compet pour les sports équestres. En plus, pour les Associations régionales d’éleveurs, le site gère également les adhésions et les engagements. C’est un outil devenu indispensable aujourd’hui. En outre, il est aussi à préciser que la création de ce site a permis à la SHF de faire de substantielles économies.

Yves Chauvin garde un œil sur les évolutions de la SHF, dont il a été le président pendant plusieurs années. © Scoopdyga

Quant à la mission de valorisation, il s’agit du cœur de métier de la SHF, appliqué concrètement par le bais de son circuit de valorisation. Dans un premier temps, nous avons créé deux circuits différents entre les chevaux issus de stud-books étrangers et ceux dont le stud-book dépend du ministère français de l’Agriculture, ainsi que la création de deux championnats séparés lors des finales de Fontainebleau, permettant aux chevaux d’origine étrangère de pouvoir prendre part à notre circuit. La SHF a été attaquée à plusieurs reprises sur ce sujet mais il me semble important de rappeler que la cour de justice de l'Union européenne nous a donné raison. Ensuite, de nombreux pôles hippiques ont été créés. Dans le même temps, les exigences des cavaliers sur l’hébergement, la qualité des sols et des installations ont fait augmenter le coût de ces concours. Dans toutes les disciplines, exception faite du saut d’obstacles qui représente la grande majorité des départs, nous avions revu la participation financière de la SHF.

L’évolution sociologique des organisateurs, leur professionnalisation et la disparition programmée du bénévolat à plus ou moins long terme, influant sur le coût d’organisation des épreuves, vont obliger la SHF à revoir son mode de rémunération des organisateurs au risque d’en perdre une partie. 



L’une des missions fondamentales de la SHF est de former un maximum de jeunes chevaux sur son circuit.  Elle se doit de répondre à deux impératifs : réduire au maximum les coûts des utilisateurs de ses circuits en alliant proximité géographique et moindres frais d’engagement. 

On pourrait aussi imaginer augmenter les tarifs d’engagement, ainsi que les dotations, pour des concours qualificatifs de plus grande qualité en termes d’organisation, programmés à la suite d’étapes du Grand National ou de CSI, par exemple. Dernière piste de réflexion sur le sujet : nos règles mises en place nationalement ne sont pas toujours adaptées à certaines régions à faibles nombre de naissances. Les mêmes règles doivent-elles s’appliquer en Normandie, qui représentent 30% des naissances françaises et en Provence-Alpes-Côte-d'Azur, qui en compte beaucoup moins ? Dans ce cadre bien précis, il semblerait intéressant de se rapprocher des Comités régionaux d’équitation (CRE) et joindre nos deux circuits FFE-SHF afin de les rendre plus pratiques et efficaces.

Cette fille de Balou du Reventon grandit paisiblement dans les prés d'Yves Chauvin. © Thomas Danet Tribut

Enfin, concernant l’aspect commercialisation, en préambule, il me semble important de rappeler que ce n’est pas à la SHF de vendre les chevaux, ce qui ne doit pas l’empêcher de faire tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter cette commercialisation. C’est pourquoi nous avons créé SHF Market et SHF Vidéo. Ces deux outils, très novateurs à l’époque, semblent avoir prouvé leur efficacité. Par ailleurs, contrairement à certaines rumeurs, ils n’ont pas coûté cher à la SHF.

“Le retour d'une Prime aux naisseurs est une bonne chose”

Quel regard portez-vous sur des initiatives récentes tel que le label cavalier Jeunes Chevaux ou la création du New Tour en Normandie ?

Nous avions comme exemple le Winter Tour dans notre région (en Auvergne-Rhône-Alpes, ndlr), qui, hélas, n’existe plus, faute d’organisateur, ce que je regrette. Ce travail hivernal permettait de donner une première expérience aux chevaux, laissant ensuite le choix aux professionnels d’orienter la suite de leur saison. D’autres initiatives ont vu le jour ailleurs en utilisant les pôles hippiques régionaux. 

Concernant le New Tour normand, la SHF avait obtenu du Centre de promotion de l’élevage de Saint-Lô la possibilité de consacrer des journées à la préparation hivernale des jeunes chevaux. C’est ce que Cheval Normandie a réalisé avec succès et je ne peux que les féliciter. À mon sens, il s’agit d’une très bonne initiative. Il est à noter que c’est l’utilisation du site d’engagement SHF de l’élevage qui a aidé à structurer les engagements de ce circuit.

Concernant le label cavalier, nous avions déjà commencé à plancher sur le sujet, dans le but de faire émerger un label écuries de cavaliers Jeunes Chevaux. Je trouve positif de voir ressortir ce projet.

Ephémère Coucelle s'est classée deuxième d'une épreuve à 1,40m à Maastricht le week-end dernier sous la selle de Paul Delforge. © Sportfot



Êtes-vous encore investi dans différents organismes ?

Statutairement, je fais toujours partie du conseil d’administration de la SHF, mais je n’ai assisté à aucune réunion ni à aucun conseil d’administration depuis mon départ. Il faut savoir laisser les gens travailler, sans sentir le poids du passé sur leurs épaules. On ne peut pas être et avoir été. 

Regrettez-vous certaines de vos prises de position, entre autres concernant la gestion du budget lié au Fonds ÉPERON, dont bénéficie les maisons-mères ?

J’ai toujours entretenu de très bonnes relations avec le Fonds EPERON pour avoir travaillé avec eux pendant douze ans. Cependant, l’année affectée par la pandémie de Covid-19 a montré certains dysfonctionnements qui m’ont fortement interpellé… Défendre ses convictions lorsqu’elles sont justes n’est pas un défaut à mes yeux, même si elles vont à l’encontre de certains intérêts partisans et corporatistes.

Yves Chauvin a désormais davantage de temps à consacrer à son élevage Courcelle. © Thomas Danet Tribut

La SHF a annoncé en 2023 la mise en place d’une nouvelle Prime aux naisseurs (PAN). Qu'en pensez-vous ?

Le retour d’une PAN est, en effet, une bonne chose. La PAN nouvellement mise en place en 2023 provient d’un prélèvement sur les engagements, ce qui veut dire qu’indirectement, elle est financée par les utilisateurs du circuit. Nous avions réfléchi à mon époque, avec Arnaud Évain, à la mise en place d’un prélèvement d’un à deux pourcents sur les dotations, à mettre en place avec la Fédération française d’équitation (FFE). Cela aurait ainsi permis d’alimenter ce fonds. Léon Melchior avait eu la même idée, mais à une échelle internationale, en sollicitant la Fédération équestre internationale (FEI). Malheureusement, il a fallu constater que cette manière de récompenser nos éleveurs n’a pas eu le succès escompté, tant du côté SHF que du côté international de Leon Melchior. Il semble aussi important de voir concrètement quel montant cette nouvelle PAN représentera, ainsi que sa répartition.

Nous avions défendu l’idée de voir la finale des championnats du monde jeunes chevaux se dérouler sur différents sites chaque année”

La Fédération mondiale de l’élevage de chevaux de sport et Global Champions ont donné naissance à une nouvelle compétition s’apparentant à des championnats du monde des stud-books, réservée aux chevaux de cinq, six, sept, huit ans et étalons de huit et neuf ans à Valkenswaard, qui se sont disputés du 28 septembre au 1er octobre. Quel est votre point de vue d’éleveur quant à la tenue de cette nouvelle manifestation, une semaine après les traditionnels Mondiaux Jeunes Chevaux de Lanaken ?

Tout ce qui permet de mettre en valeur les jeunes chevaux est une bonne chose. Si jamais j’ai un jour l’honneur d’avoir un de mes chevaux sélectionné, je serai heureux - qui ne le serait pas ? - de pouvoir représenter mon pays. Toutefois, l’enchaînement de trois événements, à savoir Fontainebleau, Lanaken puis Valkenswaard, me paraît très difficile à réaliser. À mon sens, il faudrait que ces championnats du monde des stud-books soient organisés à tour de rôle par et dans différents pays. Avec Marc Damians, nous avions défendu l’idée de voir les championnats du monde Jeunes Chevaux se dérouler sur chaque année sur un site différent. Le fait est que cet événement se déroule depuis toujours au haras ZangersheideCela étant, il faut aussi savoir reconnaître l’organisation réellement remarquable de cette manifestation européenne, qui attire aujourd’hui bon nombre de chevaux, certes en grande majorité issus du Benelux, mais qui demeure un lieu de rencontres et d’échanges indiscutablement favorable au commerce des jeunes chevaux de sport. Concernant le nouvel événement de Valkenswaard, je n’ai pas d’opinion précise sur cette première édition, pour la simple raison qu’il ne m’a pas été possible d’y assister.  

Fin septembre, Valkenswaard a accueilli le championnat du monde des stud-books. © Stefano Grasso



Pourquoi les sélections pour les Mondiaux de Lanaken semblent-elles susciter si peu d’engouement chez les acteurs français de l’élevage ?

C’est simple : nos jeunes chevaux sont encore des “bébés” et beaucoup de propriétaires qui ont réussi Fontainebleau préfèrent s’abstenir d’aller à Lanaken quinze jours plus tard… 

Quels événements liés à l’élevage en France vous ont-ils le plus marqué durant vos différents mandats ?

Je citerai une nouvelle fois les journées Selle Français, pour le volet élevage et parce qu’elles regroupaient le saut d’obstacles, les ventes Nash et l’approbation des étalons sur un espace-temps court. C’était un véritable rassemblement pour l’ensemble de la filière. Concernant les Grandes Semaines, la question est difficile, car chaque Grande Semaine a revêtu un intérêt différent. Celles qui marquent le plus sont peut-être celles où les chevaux issus de votre élevage ont réussi. Et encore, dans mon cas, ce n’était pas forcément vrai. L’organisation de ces finales est aussi une aventure humaine, car toutes les équipes de la SHF se donnent à fond pour que tout se déroule au mieux.  J’étais très content de pouvoir organiser les finales de dressage à Fontainebleau, en 2020. Globalement, je peux dire que j’ai tenu à assister à un maximum de Grandes Semaines, quelle que soit la discipline, et cela m’a toujours procuré beaucoup de plaisir. J’admets toutefois avoir eu un penchant affectif pour la finale d’endurance, organisée à Uzès. L’endurance était un monde que je ne connaissais absolument pas à mon arrivée. Antonio Nogueira, chef d’orchestre de la manifestation, est quelqu’un de formidable. L’atmosphère générale y a toujours été très conviviale. De plus, la finale d’Uzès avait un parfum particulier car annonciatrice de la fin de saison, dans un cadre bucolique, typique du sud de la France.

Yves Chauvin aux côtés de sa chère Troublante Courcelle. © Thomas Danet Tribut

Photo à la Une : Yves Chauvin. © Scoopdyga