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Alban Poudret, le couteau suisse multi-tâche

Reportages mercredi 11 décembre 2019 Julien Counet

Le journalisme a toujours été une vocation pour Alban Poudret. Quelque soit le sport ou la discipline, il a toujours su s'adapter. Lancez-vous dans cette deuxième partie de notre entretien. 

Le passionné que vous êtes, qui suit le sport à la télévision, change-t-il lorsqu’il prend la plume ? Quel est votre rapport avec les cavaliers en tant que journaliste ? Vous gardez ce regard passionné ? 

« Le regard change mais ce qui me frappe encore aujourd’hui, c’est que je peux toujours garder ma passion d’enfant tout en sachant que je ne suis pas entouré d’enfants de chœur. Je ne suis pas dupe et je ne dois pas l’être, mais je garde encore ma passion pour le sport. Il y a beaucoup de belles histoires et de belles personnes, peut-être parfois dans un monde de brutes, mais c’est à l’image du monde actuel. Il y a néanmoins encore de très belles rencontres, de très belles histoires et de belles choses mais il est certain que petit à petit, j’ai compris que ce monde n’était pas idyllique. Si je repense à mes débuts, c’est certain que j’étais tout fou de pouvoir interviewer David Broome ou Raimondo d’Inzeo car vous voyez cela comme un privilège, mais je lisais aussi beaucoup. J’ai toujours été intéressé par le journalisme politique, la désinformation, les fake news, toutes ces choses-là me passionnaient déjà donc vous faites votre boulot de journaliste même si vous êtes tout fou quand une star vous accorde une demi-heure de son temps, vous voulez être journaliste et vous savez que vous devez poser aussi quelques questions dérangeantes. Je me rappelle de mon premier soir sur un concours international, c’était à Saumur. J’étais un peu paumé, je ne connaissais pas encore les journalistes, ni trop les cavaliers, donc je pars pour aller manger tout seul… et en quittant le terrain de Verrie, Eric Wauters me voit et me dit « Vous êtes seul ce soir ? Vous voulez venir manger avec nous ? Et on s’est retrouvé à quatre avec François Mathy senior et Nelson Pessoa. Je devais me pincer pour y croire, d’autant que la soirée avait été très amusante. Ils s’étaient raconté plein d’histoires. Ce sont aussi des moments où l’on apprenait  beaucoup de choses car ils ne se gênaient pas pour parler, ils faisaient plutôt confiance. On rigole, on apprend des choses… mais c’était aussi une époque où il y avait davantage de partage. Maintenant, c’est un peu chacun pour soi. Ce n’est plus très souvent qu’un cavalier demande à quelqu’un ce qu’il fait le soir alors que pourtant on se connaît beaucoup mieux. J’ai néanmoins passé des moments savoureux et j’ai de très très beaux souvenirs de ces soirées, de ces cavaliers. Aujourd’hui, je comprends aussi qu’ils ont de beaucoup plus longues journées, ils ont beaucoup d’élèves, il y a tout un business. Je comprends totalement. Il est néanmoins certain que, petit à petit, on voit aussi l’envers du décor, on apprend beaucoup mais ma passion est restée intacte. Je crois en ce sport et je pense toujours qu’on peut faire ce sport et gagner en restant honnête. Tant que je crois en cela et que j’ai des exemples autour de moi, j’ai la foi et la fougue. »

Lorsque vous revenez en Suisse, est-ce directement avec l’idée de fonder votre revue ou le but premier est-il de gagner votre vie et de vivre convenablement ? 

« Au départ, c’est faire ce métier-là, voyager, rencontrer des gens et évidemment gagner sa vie. Mes parents m’ont aidé quand il le fallait, mais ils ont aussi voulu que je me débrouille. Il fallait que je fasse ma place, mon salaire et tout. Je pense que c’est extrêmement important. Je voulais aussi prouver à mes parents que j’avais fait le bon choix et suivi le bon chemin. Eux-mêmes n’avaient jamais douté que je serais journaliste hippique, mais ils pensaient que c’était difficile d’en vivre, puis qu’il fallait une sécurité, autrement dit un diplôme universitaire. J’ai tout de suite pensé à faire un magazine mais ce n’était pas évident d’autant qu’il y avait déjà une revue, Panache, à laquelle je continuais de collaborer régulièrement. Je ne voulais donc pas les concurrencer mais malheureusement, ils avaient un peu de plomb dans l’aile. Il y avait une autre revue, un bulletin de quatre pages qui s’appelait le Dragon Romand, créée en 1919 dont nous fêtons le centenaire cette année. C’était une présentation simple mais avec quand même des comptes rendus de concours, des photos, des articles. La Cavalerie était finie depuis 10 ans et ils se sont dit qu’ils allaient peut-être faire un journal un peu plus costaud et moins axé sur toutes ces sociétés qui organisaient encore la plupart des concours en Suisse au niveau national et régional. Ils se sont alors approchés d’un grand groupe de presse « Edipresse », pour réfléchir à éventuellement faire une vraie revue. J’ai eu vent de tout cela et je me suis proposé pour faire un projet plus simple sur un bout de papier, sans budget très élaboré, mais j’y croyais. Je caricature à peine car j’avais quelques petites pages mais vraiment pas grand-chose, alors que les grands groupes avaient fait des « powerpoints », etc. Mais finalement, devant ma passion, les 40 délégués de ces sociétés ont décidé de faire confiance au petit jeunet par rapport au grand groupe de presse. On a donc lancé « Le Cavalier Romand ».

C’était quand exactement ? 

« C’est en février 1982 que le premier numéro du Cavalier Romand sort de presse. Ces sociétés en restent propriétaires et me paient 2 500 francs suisses par mois pour tout : mon salaire et mes frais. C’était modeste et c’était bien un boulot à plein temps, mais j’ai quand même réussi à continuer à bosser pour les autres magazines et les quotidiens, pour la radio, quelques piges de speaker et finalement, ça me convenait tout à fait. Parallèlement, les Suisses commençaient à faire de très beaux résultats. Le Matin, qui était le plus grand quotidien sportif, me payait la moitié de mes frais et m’envoyait dans les grands championnats et les Jeux olympiques. J’ai donc eu beaucoup de chance de combiner la radio, le Matin et différents médias. Cela me permettait de couvrir mes frais et parfois un peu plus. D’autant que la charge de travail a augmenté puisqu’on est rapidement passé à 32, 40 puis 60 pages. Ils ont vite compris qu’il y avait du boulot, que je commençais à avoir pas mal de correspondants et tout. Ils ont donc amélioré mes conditions mais du coup, ils ont perdu pas mal d’argent avec le Cavalier Romand. En 1989-1990, ils sont venus me voir en me disant « écoute, on perd de l’argent et ce n’est pas notre vocation d’être éditeur mais on veut bien te le céder à un prix modeste, si tu nous garantis que tu le fais jusqu’en l’an 2000 ou en tout cas que tu ne le vends pas d’ici à l’an 2000. Ça me paraissait très loin l’an 2000… mais j’ai signé ça. J’en suis, depuis, toujours resté le seul propriétaire. J’ai des amis, des relations qui m’ont proposé parfois même beaucoup d’argent pour le mettre en couleur car en 1990, il était toujours en noir et blanc et on était tout fier d’avoir 8 pages couleurs. J’ai eu trois belles offres. Ça m’a évidemment fait hésiter car le journal serait plus rapidement devenu plus beau, mais j’aurais peut-être aussi perdu mon indépendance. Maintenant, c’est une SARL dont mon épouse, Nathalie, détient aussi quelques parts, mais cela reste une entreprise familiale. »

André Jacques Le Goupil & Alban Poudret réunis, deux personnes qui ont  toujours su transmettre leur passion et suscité des vocations

Vous parliez également de votre rôle de speaker dans les concours. C’est quelque chose qui est arrivé très rapidement aussi pour pouvoir boucler vos fins de mois ? 

« En fait, mon but, c’est de communiquer ma passion. Dans la vie, je suis comme cela. Que ce soit pour l’Italie, les bons vins, Genesis et le rock progressif ou encore mille autres choses. J’adore aller en concert avec des amis. J’aime partager mes passions et je trouve qu’il n’y a rien de plus chouette dans la vie que ça. Être au micro, c’est juste un autre moyen de le faire. Cela permet encore plus de partager sa passion directement qu’en écrivant. C’est là que j’ai souvent le plus de plaisir car on vibre en même temps que le public, on essaie de souligner le côté passionnant et théâtral de notre sport sans en faire trop. Il ne s’agit pas de se mettre en scène mais de mettre en valeur le sport équestre. Je trouve que c’est néanmoins un très beau moyen de communiquer sa passion encore plus qu’à la télévision où je suis consultant depuis longtemps puisque j’ai travaillé plusieurs années pour France 3 et depuis vingt ans pour la Radio Télévision Suisse. C’est un exercice très intéressant aussi mais où il faut rester beaucoup plus journaliste, plus arbitre, plus neutre. Tandis qu’au micro, on a le droit d’être passionné. »

Philippe Guerdat & Alban Poudret, des passionnés réunis pour le concours de Genève ... mais surtout deux amis ayant un profond respect l'un pour l'autre. 

Quand vous décidez de devenir journaliste équestre, vous pensez directement à la presse écrite ? La radio et la télévision vous effleurent aussi l’esprit ou ce n’est pas imaginable ? 

« J’avais rêvé de tout ça mais parfois, les choses se présentent vraiment par hasard. J’ai suivi deux ans de cours de journalisme pour quand même avoir un diplôme et c’est cela qui m’a ouvert les portes de la radio. Mon chef des sports du Matin, Raymond Pittet, qui était un grand journaliste m’a dit : « Écoute Alban, même si tu te sens dans ton monde et marginal, c’est bien que tu sois un journaliste comme les autres et que tu fasses ces deux ans !» C’était très important pour le côté éthique, juridique et de partage avec les autres journalistes. Je suis ravi de l’avoir fait. Du coup, j’ai fait des petites émissions dans une radio locale puis la Radio Suisse Romande m’a proposé de les rejoindre. C’était typiquement dans les grands événements comme les JO de Los Angeles ou lors de championnats du monde, tout à coup, ils se rendaient compte que les Suisses commençaient à faire de bons résultats, et pour ça, les cavaliers m’ont beaucoup aidé. Ça a été une chance folle et cela continue aujourd’hui, je suis vraiment verni. C’est plus difficile aujourd’hui car les quotidiens ne défraient plus pour les déplacements, ce qui rend les choses beaucoup plus difficiles.

La télévision, j’en ai toujours secrètement rêvé mais en pensant que c’était impossible car en Suisse, c’est un journaliste de la télévision, salarié obligatoirement, et un consultant, cavalier, comme Philippe Guerdat l’a très bien fait durant très longtemps. Je savais que je ne serais jamais salarié à la télévision et jamais un cavalier et surtout pas de la trempe de Philippe… donc je n’avais pas ma place à la télévision. Par contre, en 1990, à Dortmund, je croise Laurent Desprez, journaliste de France 3, véritable homme de cheval, personnage d’une grande finesse qui faisait des émissions exceptionnelles sur le cheval et il avait réussi à proposer de nombreux Grand Prix le dimanche après-midi sur France 3. C’était quelqu’un que j’appréciais beaucoup. Le samedi soir, nous avions bien mangé et un peu bu dans une brasserie, et à minuit au moment de retourner à l’hôtel, Laurent me dit : « Alban, demain, tu commentes avec moi ». Patrick Caron était prévu avec lui mais au dernier moment, il devait s’occuper de Pierre Durand qui était deuxième de cette finale de Coupe du Monde derrière Milton et John Whitaker. C’était un des épisodes du fameux duel avec Jappeloup. C’était ma première expérience, puis j’ai eu la joie de faire plein de concours avec lui. Ça a été un immense bonheur où j’ai pu apprendre mon métier même si je ne me sentais pas très à l’aise car normalement, cela devait être des Pierre Durand, Eric Navet et autres à ma place. Je savais que je n’étais pas du même registre et je ne m’avisais pas de jouer au technicien. C’était un exercice un peu délicat mais ça ne s’est pas mal passé ; quelques années plus tard, en 1998-99, la télévision suisse m’a proposé la même chose.»


La suite, demain !

Crédit photos : Julien Counet