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"Prendre de la hauteur"

Sport mardi 24 mars 2020

Il  a  été  le  premier  organisateur  de  CSI  5*  à  annuler  un  événement,  le Longines Masters de Hong Kong et l’Asia Horse Week, initialement prévus du 13 au 16 février. Reconnu par ses pairs comme un visionnaire, Christophe Ameeuw a su mettre à profit cette «avance» prise sur le monde sportif pour enrichir sa réflexion et commencer à envisager le «monde d’après». Entretien libre de droits avec un entrepreneur qui ne cessera de voir les crises comme des opportunités.  Vous  avez  été  le  premier  organisateur  d’un  CSI  5*,  l’un  des  premiers  organisateurs  d’un  événement  sportif d’importance  planétaire,  à  prendre  la  difficile  décision  d’annuler  votre  concours,  le  Longines  Masters  de Hong  Kong,  ainsi  que  l’Asia  Horse  Week.  

Vous  vous  en  seriez  sans  doute  bien  passé  mais  une  fois  encore, vous  avez  été  précurseur.  Plus  d’un  mois  et  demi  après  cette  décision,  quels  enseignements  tirez-vous  de cette crise, vous qui vivez aux côtés du COVID-19 depuis son arrivée en Chine en décembre? 

CHRISTOPHE  AMEEUW  : Il  y  a  quelques  jours,  j’ai  retrouvé  un  message  que  le  bureau  asiatique  d’EEM m’envoyait le 5 janvier et qui faisait état de cinquante malades dans la province chinoise de Wuhan, dont l’état de  santé  était  déjà  inquiétant.  Mi-mars,  quelques  semaines  plus  tard,  nous  sommes  dans  une  crise  mondiale chaotique, dont le monde sortira incontestablement changé : rien ne sera plus jamais comme avant, cette crise nous aura poussés à tous nous remettre en question. La première leçon tirée de cette crise est donc celle de la fragilité  du  modèle  événementiel  équestre  et  sportif.  Nous,  organisateurs  de  concours  de  premier  rang, croyions que rien ne pouvait nous arriver, nous arrêter. Et pourtant... Rien n’est jamais acquis et cette crise nous pousse  à  la  conclusion  que  le  système  événementiel  et  plus  généralement  le  système  mondial,  globalisé, vivaient dans des excès, qui les rendaient très fragiles. La deuxième leçon est celle de l’humilité. Ce COVID-19 nous a tous renvoyés à la case départ, et nous prévient aujourd’hui que le monde va changer : à nous de nous faire une place dans ce nouveau monde à venir, car ce nouveau monde ne voudra plus de nos anciens modèles. La troisième leçon que je tire de cette double annulation et de ce que vit le monde actuellement est celle de la hauteur à prendre. En mandarin, le signe «crise» désigne également l’opportunité. C’est le moment ou jamais de  remettre  en  question  cette  bulle  artificielle  que  le  monde  a  construite,  y  compris  dans  notre  domaine,  et dans  laquelle  nous  vivions  tous;  il  faut  profiter  de  cette  crise  pour  se  réinventer,  se  réorganiser,  se  structurer pour  trouver  un  modèle  bien  plus  solide,  qui  trouvera  tout  de  suite  sa  place  dans  ce  nouveau  monde.  C’est nécessaire,  indispensable.  Le  monde  du  cheval  était  lui  aussi  dans  la  surconsommation,  avec  un  nombre incalculable  d’événements,  de  voyages,  les  institutions  paraissaient  régulièrement  débordées.  Nous  devons aujourd’hui  regarder  vers  l’avenir,  laisser  derrière  nous  tout  ce  qui  n’était  pas  nécessaire  et  au  contraire développer tout ce qui nous tirera vers le haut, dans le respect des signaux que cette crise nous envoie. Dans le cas  précis  du  Longines  Masters  de  Hong  Kong  et  de  l’Asia  Horse  Week,  la  décision  a  été  particulièrement difficile à prendre. Elle revenait à l’organisateur, donc à EEM, puisque les institutions nous imposaient chaque jour de  nouvelles  contraintes,  mais  ne  nous  interdisaient  pas  de  maintenir  les  événements.  À  trois  semaines  du concours,  alors  que  tout  le  matériel  était  déjà  en  mer,  puisque  rien  ne  peut  être  stocké,  faute  de  place,  à  Hong Kong, même cette annulation était un challenge, que nous avons remporté, grâce aux relations saines et durables que nous avons bâties avec nos partenaires, privés et institutionnels, qui tous, nous ont témoigné un soutien et une reconnaissance qui font le plus grand bien. Le Longines Masters de Hong Kong et l’Asia Horse Week sont des événements  très  importants  dans  cette  partie  du  globe,  qui  se  tiennent  dans  une  ville  où  nous  sommes  les bienvenus, où même nous sommes attendus, au même titre que deux autres grands événements, le World Rugby Sevens  et  Art  Basel.  Au  moment  de  prendre  la  décision  d’annuler  le  Longines  Masters  de  Hong  Kong  et  l’Asia Horse Week, j’ai d’ailleurs consulté les organisateurs de ces deux événements pour avoir leur avis. L’événementiel équestre  ne  doit  pas  rester  cloisonné  et  doit  inévitablement  ouvrir  ses  horizons,  notamment  pour  bénéficier  de leviers de négociation réels : l’union fait la force.  

Comme  d’autres,  vous  évoquez  un  nouveau  monde  qui  naîtra  de  cette  crise  planétaire.  Appliqués  au  monde de l’équitation, quels messages devront absolument être retenus de ceux que nous envoie l’actuelle crise ? 

C.  A.  : Ces  dernières  années,  la  communauté  équestre  n’avait  qu’un  mot  à  la  bouche  :  celui  du  bien-être  des chevaux. C’est une notion primordiale dans notre sport et il n’est pas question de la remettre en cause. D’énormes progrès ont été réalisés dans ce domaine, qui ont donné de la crédibilité et de la respectabilité à notre sport. Pour autant,  cette  notion  de  welfare  occupera  désormais  le  haut  des  priorités  avec  d’autres  objectifs  que  la  crise mondiale  que  nous  traversons  nous  pousse  à  prendre  davantage  en  compte.  Cette  crise  est  celle  de  la  sur-mondialisation, de la surconsommation, d’une bulle économique inexistante et irréelle, de l’irrespect de la nature, de  l’environnement  et  de  la  planète,  du  non-sens  finalement  de  nombreuses  de  nos  actions  et  de  notre  mépris pour les générations à venir. Je le répète : nous avons tout à réinventer, en trouvant une place pour notre sport dans  ce  nouveau  monde,  en  étant  conscients  que  ce  nouveau  monde  ne  tolérera  sans  doute  plus  nos  garden-parties,  nos  camions  qui  pourraient  transporter  des  maisons  mais  qui  ne  transportent  que  trois  chevaux,  nos structures ultra-éphémères surdéveloppées pour trois ou quatre jours de concours.  


Alors que rien ne vous y obligeait, vous venez d’annoncer l’annulation du Longines Masters de Lausanne. Pour quelles raisons ?

C. A. : Pour deux raisons. La première, c’est celle de la date, du 18 au 21 juin. À ce jour, nul n’est capable de savoir si  nous  serons  sortis  de  cette  crise,  si  nous  serons  capables  d’accueillir  des  chevaux  et  du  public,  et  de  livrer l’événement. Je répondrais : «Peut-être, c’est possible... Mais peut-être que non également». La deuxième raison, plus  fondamentale  encore,  était  celle  du  dialogue  avec  les  fournisseurs,  les  partenaires,  les  clients,  qui,  étant donné le contexte actuel, peuvent se montrer frileux, voire ne pas pouvoir intervenir du fait du confinement et/ou de  l’économie  à  l’arrêt.  Après  l’annulation  du  Longines  Masters  de  Hong  Kong  et  de  l’Asia  Horse  Week,  nous avons  avancé  avec  prudence  dans  l’organisation  du  Longines  Masters  de  Lausanne,  avec  la  passion  qui caractérise l’équipe qui m’entoure. Malgré tout, la sagesse nous pousse à renoncer à l’étape suisse de notre série cette année. Cette période est difficile, étrange : à nous, acteurs de la filière équestre mondiale, de tirer les bons enseignements et de commencer à construire dès aujourd’hui le monde d’après.  

Communiqué